Fromages franciliens, entre tradition et modernité

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L’Île-de-France poursuit une longue tradition fromagère. Emmenés par les AOP des bries et le réputé brillat-savarin, les producteurs de la région parisienne prouvent par ailleurs leur capacité à innover pour élargir l’éventail. Au-delà des pâtes fleuries, les tommes, chèvres cendrés ou affinés et même des fromages persillés de la région se font une place sur les plateaux.

fromages franciliens
Les bries de Meaux et de Melun AOP présentent d’importantes différences gustatives, le premier noisetté et souple, le second plus puissant et tenu. Crédit ODG du brie de Meaux et du brie de Melun.

La France, championne de la diversité des fromages, en totalise près de 1.200 variétés. Au sein de ce palmarès, l’Île-de-France n’est pas forcément la plus valorisée. Elle n’a pourtant pas à rougir, puisqu’une soixantaine de fromages franciliens racontent à leur façon l’histoire laitière de la région. Du fameux brie des rois aux innovations les plus récentes – comme le pavé de Paris – les fromages franciliens sont toujours au rendez-vous sur les plateaux et, de plus en plus, en cuisine.

L’Île-de-France poursuit depuis longtemps une quête fromagère. Les fromages lactiques à pâte molle voient le jour dès le Moyen Âge dans les contrées de la Brie, (la Seine-et-Marne actuelle). Comme ce fut le cas dans de nombreuses régions, les abbayes cisterciennes produisent du fromage en quantité avant que la pratique se répande dans la population locale. Le brie devient une arme politique, monnaie d’échange ou mets d’apparat sur les tables royales, jusqu’à être déclaré Rois des fromages au Congrès de Vienne (Autriche), en 1815.

Les bries dans toutes leurs différences

Désormais estampillés d’une appellation d’origine protégée (AOP), les bries de Meaux (6.860 tonnes annuelles, huit fabricants) et de Melun (223 tonnes, trois fabricants) sont les locomotives de l’image de la fromagerie francilienne. « Le brie de Melun reste malgré tout un fromage méconnu, constate Benoît Gourdon, animateur de l’Union interprofessionnelle des bries de Meaux et de Melun. Il est essentiellement consommé en Île-de-France et dans les départements limitrophes. C’est un produit totalement différent, plus puissant, mais il est aussi plus difficile à produire. Il y a néanmoins un vrai potentiel à le développer. »

La fabrication du brie de Melun, avec son égouttage lent, son diamètre plus petit (27 cm contre 36 pour un brie de Meaux) et son affinage plus long, lui confère des arômes de sous-bois plus puissants au nez alors que la pâte présente un goût de crème et de champignons assez soutenu, quand son homologue de Meaux déploie plutôt un goût de noisette, de champignons frais et de lait cru. La texture du Melun, même avec un affinage poussé, est rarement coulante.

Brie de Melun
Brie de Melun. Crédit DR.
Brie de Meaux
Brie de Meaux. Crédit DR.

Il existe également d’autres bries, plus confidentiels. Notamment le brie de Nangis, plus petit que les autres et moins affiné, auquel on associe parfois le coulommier, assez proche. Mais surtout, le brie noir, une rareté. Issu d’un affinage du brie de Meaux de plus de six mois, il donne un fromage corsé dont la fleur de surface s’est teintée jusqu’au marron. Cette spécialité, originaire de Nanteuil-sur-Marne (Seine-et-Marne), consiste notamment à démarrer l’affinage du fromage avant son égouttage total. La pâte se concentre ensuite pendant plusieurs mois, jusqu’à devenir friable. Ce fromage francilien est à la fois un fromage de dégustation et une base de condiment très intéressante en cuisine.

Le brillat-savarin, le brie IGP

Aux antipodes de ces saveurs concentrées, le brillat-savarin s’est, au contraire, imposé par son onctuosité et sa finesse. Popularisé dans les années 1930 par le crémier-fromager parisien Henri Androuët, ce fromage enrichi en crème de lait séduit les palais délicats avec son côté lactique et beurré. Le brillat-savarin bénéficie pour sa part d’une indication géographique protégée, partagée entre la Seine-et-Marne, l’Aube, l’Yonne, la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire. « Il n’y a pas forcément d’intérêt à pousser l’affinage sur ce produit. Il exprime son potentiel en sept à dix jours », souligne Maud Mathieu, animatrice au Groupement de production du brillat-savarin.

Le brillat-savarin détient l'IGP depuis 2017. Crédit Images et associés.
Brillat Savarin
brillat-savarin illustration. Crédit Images et associés.

La filière se porte bien, avec une production à tendance haussière (2.000 tonnes par an, huit fabricants), notamment grâce à la conquête des palais internationaux, mais aussi grâce à une évolution autour de sa consommation. « Le brillat-savarin est plus utilisé en cuisine que par le passé, à la fois jeune et plus affiné. » De par son évolution rapide, ce fromage plutôt acidulé au départ, puis plus rond permet d’exprimer plusieurs facettes dans une recette. Une évolution plutôt bienvenue à l’heure où l’inflation met à mal la régularité du plateau de fromages. « Avec l’inflation, on note une baisse de consommation sur le fromage, mais pas une baisse d’intérêt. Ces fromages restent des valeurs sûres pour les moments de consommation plaisir », estime Benoît Gourdon de l’Interprofession des bries.

Du 25 au 27 février, en marge du Salon de l’agriculture, à Paris, le Salon du fromage et des produits laitiers fera office de grand-messe pour le secteur. À cette occasion, de nombreuses innovations fromagères pourront se dévoiler. Et à ce jeu, les fromages franciliens ne sont pas en reste.

Le dynamisme des fermes indépendantes

Ferme de la Tremblaye
Après le premier persillé de chèvre, la Ferme de la Tremblaye (Yvelines) a créé le pavé de Paris, un fromage marbré au lait de vache jersiaise et de chèvre. Crédit DR.

De plus en plus de fermes indépendantes choisissent de transformer leur lait pour mieux valoriser leur production, imaginant parfois de véritables pépites.

La Ferme de la Tremblaye, dans les Yvelines, s’est distinguée à plusieurs reprises pour ses créations, notamment le saint-jacques, et présentera cette année le pavé de Paris. La ferme a trouvé le moyen d’y mêler le lait très jaune et gras de ses vaches jersiaises et du lait de chèvre, en un marbré original.

« Les laits ne sont pas mélangés mais superposés en strates, explique Baptiste Carrouché, gérant de la ferme. Les deux caillés sont déposés couche par couche pour créer la marbrure. On obtient un fromage à mi-chemin entre une pâte molle et une tomme, ce qui nous permet de l’affiner jusqu’à cinq ou six mois. »

Pour le goût, la rondeur du lait de vache apporte gourmandise et réconfort pour finir sur une longueur en bouche plus caprine, fruitée et sucrée. L’effet visuel, enfin, ne laisse pas de marbre avec sa forme de pavé de rue aux nuances de gris, en trompe-l’œil. « Sa forme cubique, c’est aussi un atout à la découpe pour limiter les pertes. » L’exploitation a également créé le tout premier bleu de chèvre, mis au point en 2013. « Il présente une croûte cendrée et un persillage bien contrasté grâce au côté blanc du lait de chèvre, explique Baptiste Carrouché. On n’a pas la même intensité qu’un roquefort, le bleu est plus doux pour ne pas masquer le goût du lait de chèvre. C’est un fromage qui fond bien aussi. »

Les fromages de chèvre franciliens

Les fromages de chèvre sont bien présents en Île-de-France. La région compte 26 élevages professionnels qui transforment tous à la ferme, dans la mesure où il n’existe aucune collecte pour le lait de chèvre. Si la plupart produisent des crottins, des bûchettes et des pyramides (cendrées ou non), quelques fabrications spécifiques ont réussi à se faire un nom. C’est le cas notamment du petit chèvre d’Île-de-France, à la forme évocatrice des contours régionaux. Ce fromage fermier au lait cru et entier présente une pâte bien blanche et dense, légèrement duveteuse, plutôt douce sur les fromages frais, plus onctueuse et fruitée après quelques jours d’affinage.

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Les fromages de chèvre d’Île-de-France sont tous de production fermière, à l’image du petit chèvre d’Île-de-France, invention récente à la forme caractéristique. Crédit DR.

Les productions fermières, de plus en plus prisées des consommateurs et des chefs, se maintiennent tant bien que mal. « En Île-de-France, nous sommes entre 20 et 30 producteurs seulement à pouvoir prétendre à l’appellation fermier », souligne Baptiste Carrouché. Au sein des appellations de brie, on compte une seule production de ce type, aucune sous l’IGP brillat-savarin. Des produits qui montrent une autre vision fromagère de la région, à l’instar du cheddar mis au point par la Laiterie la Chapelle, à Paris 18e.

Cette fromagerie artisanale, la seule de Paris intra-muros, collecte plusieurs fois par semaine le lait de la Ferme de Launay, située dans le Parc naturel du Vexin. Les fondateurs ont d’abord développé une gamme de tommes plus ou moins affinées, puis ils ont élargi leur palette à d’autres types de fromages, comme la raclette ou le cheddar, avec une pâte à la fois souple et friable, affinée sous cire. Une dynamique intéressante pour valoriser cet aspect du terroir francilien.

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