Les champignons sortent des bois

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La saison des champignons a commencé. Pour en mettre au menu, pas besoin de chausser les bottes ni d’aller battre la campagne. Cèpes, girolles et autres chanterelles font en effet l’objet d’un commerce très organisé. Certaines espèces rares restent cependant difficiles à dénicher, même chez son grossiste.

champignon
Fréquente en automne dans tout l’hémisphère Nord, la girolle se révèle être le champignon le plus vendu à l’échelle mondiale. Crédit : DR.

Enfin l’automne ! Attendue par beaucoup, la saison des champignons peut commencer. Sans surprise, en forêt comme dans l’assiette, le trio cèpes-girolles-morilles reste le plus recherché. « Pourtant, sur vingt-trois mille espèces recensées en France, un assez grand nombre est comestible et une bonne centaine présente un intérêt culinaire, affirme BenoîtPeyre, mycophile reconnu, auteur de nombreux ouvrages consacrés au sujet. Pour favoriser la disponibilité de l’offre, le marché mondial s’est focalisé sur les grands classiques. La russule belette, le meunier ou encore le pied violet que j’évoque dans mon livre [Champignons oubliés, les chefs passent à table, NDLR] ont beau être délicieux, ils sont introuvables sur les étals! »

Le gros du négoce mondial de champignons sylvestres se résume à un peu moins d’une dizaine d’espèces. Alors, fini les lactaires, mousserons et autres coulemelles de nos grands-pères ? « C’est vrai qu’il nous arrive encore de proposer des variétés inhabituelles, mais cela reste un marché de niche », nuance Pierre Scaglia, directeur général de Paris Saveurs, spécialiste français du négoce de champignons sylvestres.

« L’amanite des Césars, par exemple, est très appréciée en restauration étoilée. Bien davantage que le cèpe, on dit que c’est le champignon roi. Son goût est étonnant: très proche du homard! On peut la déguster crue, avec un fi let d’huile d’olive, ou juste saisie, nature. Nous avons toujours des clients pour les champignons originaux. Un coup de fil et c’est vendu. Malheureusement, ils deviennent de plus en plus rares, certainement à cause du réchauffement climatique. »

Au nombre des curiosités mycologiques dont dispose parfois l’entreprise : le lactaire délicieux, très apprécié dans le sud de la France, le tricholome de la Saint-Georges, au goût prononcé de farine, ou encore le sparassis crépu. Célèbre pour son nettoyage fastidieux, cette grosse éponge alvéolée est reconnaissable à sa délicate odeur de chou-fleur. Certains chefs la proposent farcie ou escalopée.

Le champignon Sylvestre, un marché mondialisé 

« Le gros de nos ventes concerne surtout les cèpes, girolles, trompettes-de-la-mort, chanterelles et pieds-de-mouton, reprend Pierre Scaglia. Nous avons aussi de belles morilles en provenance de Chine ou du Canada, mais ce n’est pas ce que nous vendons le plus en quantité, car c’est un produit assez onéreux. Dans l’ensemble, les champignons restent un produit assez accessible. Cela dépend des pousses: la rareté fait toujours le prix. » Implantée depuis 2002 au cœur du Marché d’intérêt national de Rungis, l’entreprise brasse chaque année 1 300 tonnes de champignons divers en provenance du monde entier. Import, tri, reconditionnement, négoce… ParisSaveurs est l’une des plaques tournantes de ce commerce dont l’activité est loin de se limiter aux trois mois d’automne.

« En ce moment, nous avons beaucoup de girolles qui viennent de Biélorussie et de Lituanie, détaille le chef d’entreprise, tombé dans le champignon il y a 30ans. On commence aussi à avoir des chanterelles de Suède, mais c’est vraiment le début. Les cèpes arrivent. » Si les pays du nord sont souvent les premiers à commercialiser leurs cueillettes, la France suit généralement assez rapidement, dès octobre. L’Espagne et le Portugal prennent ensuite le relais, parfois en se chevauchant selon les années, suivis par la Roumanie.

Les bonnes années, dès novembre, le Canada est un gros pourvoyeur de girolles. On y récolte aussi de grandes quantités de morilles, dont la particularité est de pousser sur les terres mises à nu par les feux de forêt. Quant aux chanterelles, grises ou jaunes, ces espèces courantes dans l’hémisphère Nord peuvent perdurer presque tout l’hiver. En France, l’entreprise possède un important dépôt dans les Landes, première région productrice de ces champignons au pied tubulaire, cousin de la girolle. Résistant au froid, le pied-de-mouton se récolte jusqu’en février.

En fonction des pousses et des espèces, la saison se prolonge par la suite durant le printemps, et même en été. « C’est vraiment une alchimie du climat, sourit le dirigeant. On ne maîtrise pas tout. » Au total, Paris Saveurs propose une vingtaine d’espèces sauvages, ainsi que des champignons de cultures asiatiques, mais pas de champignons de Paris. L’essentiel de son activité concerne le frais, avec un soin particulier apporté au « re-tri » de l’ensemble des colis avant conditionnement et expédition.

« Un champignon abîmé peut rapidement gâter tous les autres et il faut toujours vérifier qu’un non-comestible ne s’est pas glissé parmi les autres, insiste Pierre Scaglia. Pour notre gamme séchéemorilles, trompettes et girolles–,nous ne travaillons qu’avec le haut du panier, pour une réhydratation optimale. Idem pour le surgelé. Nous n’avons pas une offre très étendue, mais centrée sur la qualité: cèpes bouchons, morceaux, morilles et girolles. Et rien qui ne soit pas d’origine européenne… Il faut le reconnaître, les champignons chinois subissent moins de contrôles tout au long de la chaîne. »

L’entreprise ne propose pas de conserves, ni aucun produit d’aide culinaire, poudre ou fonds de sauce. Ses clients sont, d’un côté, la grande et moyenne distribution (barquettes) ; de l’autre, des grossistes installés partout en France. Le négociant approvisionne également le réseau des Cash and Carry, notamment l’enseigne Métro avec des colis de 1 et 3 kg.

Un produit boudé par les plus jeunes ? 

Si le négociant ne travaille que rarement en direct avec les restaurateurs, il conserve cependant un petit cercle de clients fidèles. Chef du restaurant La Bourgogne à Maisons Alfort (Val-de-Marne), Stéphane Chevereau est de ceux-là. Ouvert depuis 1981, l’établissement propose une cuisine gastronomique française où les champignons occupent régulièrement une place de choix. « Ce sont des produits qu’il faut dénaturer le moins possible, pointe le restaurateur. J’ajoute parfois des dés d’abricots secs dans les girolles, mais ni ail ni persil. La plupart du temps, je les fais juste sauter. Je fais aussi de la crème avec les gros cèpes. » Vers novembre, le menu affiche souvent des morilles en risotto et poularde du Gers, ou fraîches avec œuf mollet. Quant aux amanites des Césars, le chef conseille de les choisir petites, le chapeau pas encore déployé et le voile encore présent.

« Il m’est arrivé d’en faire en carpaccio avec des saint-jacques, ou juste sautées. C’est tellement subtil, il ne faut rien rajouter, et surtout ne pas trop les cuire. » Seule ombre au tableau, Stéphane Chevereau constate un désamour pour les champignons chez toute une tranche d’âge. « Mes enfants, tous trois jeunes adultes, n’en mangent pas, note-t-il. Les jeunes cuisiniers ne s’y intéressent pas vraiment non plus. Parmi nos clients, ce sont souvent les plus âgés qui sont en demande. »

Son explication, une absence du produit dans les foyers, et des palais trop sollicités par les cuisines du monde. Un sentiment partagé par Pierre Scaglia : « Il y a une vraie méconnaissance. Autrefois, on apprenait à apprécier les champignons avec nos anciens. Le lien à la terre, les balades en forêt, la cueillette… Tout ça est moins ancré. En revanche, dès que c’est la saison, on parle des champignons dans les émissions culinaires. C’est positif dans l’imaginaire des gens, ça reste un produit noble. »

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