Hygiène : à l’épreuve du turnover pour la restauration

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Le respect des normes d’hygiène représente un véritable challenge à l’heure où la pénurie de main-d’œuvre impacte la restauration.

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Le respect des normes d’hygiène représente un véritable challenge à l’heure où la pénurie de main-d’œuvre impacte massivement la restauration. Crédit : Tork.

La pénurie de personnel impacte de manière globale l’activité de restaurateur. Le respect des normes d’hygiène ne fait pas exception. Face au turnover particulièrement important, le temps consacré à la formation des nouveaux arrivants, parfois non familiers au métier, prend un temps considérable. « L’impact du turnover est catastrophique, confirme Michel Veyret, directeur associé de l’agence BVC Expertise, spécialiste de la sécurité alimentaire en CHR. La sécurité alimentaire, c’est malheureusement la cinquième roue du carrosse. » La réglementation est pourtant très stricte sur le sujet et les conséquences peuvent être radicales en cas de manquement : fermeture administrative, amende, voire peines de prison.

La loi impose que chaque salarié travaillant dans la restauration soit formé au respect des normes HACCP. Cet apprentissage peut avoir lieu auprès d’organismes de formation ou au sein des entreprises, sous la supervision d’un responsable rompu, lui, aux prescriptions sur l’hygiène alimentaire. Ces connaissances, plus poussées, demandent une formation plus importante que doit avoir suivie au moins un salarié de l’entreprise. Charge à lui de transmettre les bonnes pratiques auprès du reste des collaborateurs et garantir le respect des règles d’hygiène. Une responsabilité lourde à assumer.

« Le niveau de formation n’est pas à la hauteur, estime Michel Veyret. La formation théorique sur deux jours ne suffit pas pour permettre aux cuisiniers de restituer correctement les choses à leur équipe. Il faut les mettre en situation, corriger les gestes. Je dis souvent, c’est leur code de la route, s’ils ne le respectent pas, il y aura des accidents. » Longtemps prise en charge dans le cadre du Compte personnel de formation, la formation Hygiène alimentaire n’est plus financée depuis le 1er janvier 2023. Un frein supplémentaire à la diffusion des bonnes pratiques au sein des entreprises, même si certaines font l’effort de déployer leur propre formation en interne.

Dans les enseignes du groupe FrogPubs, qui détient 10 établissements en France, une session à lieu chaque mois, en français ou en anglais selon le public, avec mise en situation à la sortie. « On les place en situation d’auditeur, pour qu’ils se rendent compte », commente Bruno Brown, responsable logistique des cuisines pour le groupe FrogPubs. Mais la tension de main-d’œuvre joue le plus souvent contre le niveau d’exigences auquel les professionnels pourraient légitimement s’attendre. « Les employeurs sont beaucoup plus cool avec les employés. Ils savent que s’ils font des remontrances, les employés s’en vont. Le rapport de force est du mauvais côté et nuit à l’application des normes réglementaires », poursuit Michel Veyret.

L’importance de l’hygiène 

Malgré un contexte peu favorable, impossible de se soustraire à cette obligation. En revanche, la question de l’hygiène peut également être un moteur, l’occasion d’instaurer plus de confiance, de responsabilité et d’autonomie chez les salariés, dans une démarche globale d’entreprise. Et surtout, sans pression. « Le discours sur l’hygiène doit être incessant pour qu’il ne passe pas à l’as, rappelle Samy Ben Jazia, responsable communication et marketing chez Tork Europe. Mais on n’est pas obligé d’être dans le flicage, à condition d’offrir une palette de solutions qui permettent de répondre en tout temps à tous les besoins. L’important est de positionner les bons distributeurs aux bons endroits. Le fait d’avoir le produit disponible incite à l’utilisation. » Le spécialiste de l’hygiène a fait. de l’efficacité son cheval de bataille. Très présente sur le volet de l’essuyage, l’entreprise a notamment développé des distributeurs permettant le stockage simultané d’un grand nombre d’essuie-mains, distribués sans gaspillage, à l’instar du Peak Serve. Tork fera d’ailleurs paraître, au mois d’octobre, un nouveau guide à l’attention des restaurateurs pour les aiguiller dans leurs pratiques.

« L’idée est d’approfondir la manière dont on peut optimiser la rétention du personnel, faire en sorte qu’il se sente bien tout en améliorant en même temps les coûts, sur notre périmètre de produits [essuyage, produits d’entretien, désodorisants, NDLR] », précise Samy Ben Jazia. Chez Traqfood, éditeur d’un logiciel de suivi des opérations d’hygiène et de traçabilité en restauration, la question de la rationalisation est également centrale. « Notre conseil prioritaire est de mettre en place des routines très claires, énonce Tomer Rajzbaum, ingénieur responsable qualité. Celle de la journée, de la semaine et celle du mois. Il faut éviter les fréquences alambiquées et générer des automatismes sur des moments précis, le matin, le soir, le dernier jour du mois. » L’application permet de centraliser l’ensemble des actions attendues sous forme de listes à cocher. Les salariés procèdent ainsi méthodiquement et sont guidés dans la progression des tâches. Une manière d’éviter les oublis, mais aussi de favoriser les automatismes. Le fonctionnement, inspiré de l’interface d’autres applications grand public, permet une prise en main rapide pour les néophytes. Un système de jauge permet aux opérateurs de suivre l’évolution du nettoyage, avec un objectif à atteindre.

La notion de challenge, presque ludique, change le rapport à la tâche. « Certains de nos clients mettent des primes à leurs salariés, par exemple lorsqu’ils ont complété leur tâche à 80 % », illustre-t-il. C’est cette méthode qu’a choisi de déployer le groupe de pubs-restaurants FrogPubs. L’enseigne a mis en place son propre référentiel d’audits et chaque établissement reçoit chaque mois la visite de Bruno Brown, responsable logistique des cuisines. « Depuis le début, nous avons standardisé et simplifié pour être sûrs d’avoir des résultats », explique-t-il. Une grille de notation maison hiérarchise les critères d’hygiène et permet l’attribution de points. Un établissement réussit l’audit s’il parvient à 75/100 : « Les directeurs d’établissements et les responsables des cuisines reçoivent une prime mensuelle, influencée par le résultat de l’audit. Mais le respect de l’hygiène conditionne également l’évaluation des employés et leurs perspectives d’évolution dans l’entreprise. »

L’investissement de FrogPubs sur la question a fait ses preuves. Malgré le turnover, aucun des établissements n’a connu de situation critique, notamment parce que la méthode s’adapte au public. « Peu de nos salariés ont fait l’école hôtelière. La plupart ne maîtrisent donc pas du tout les bases de l’HACCP. Mais aussi, beaucoup ne parlent pas couramment français, le lisent encore moins. La formation à l’oral est clairement le plus efficace et on utilise énormément les supports visuels, des pictogrammes », commente Bruno Brown. Une réalité que connaît l’ensemble de la profession et qui incite les restaurateurs à s’adapter, mais aussi les fabricants de produits de nettoyage. Plusieurs marques, à l’instar de Green Care Professionnal ou Ecolab, ont ainsi choisi de colorer les produits en fonction de leur usage, selon un code couleur universel : vert pour les surfaces des espaces de réception (sols, vitres), jaune pour le nettoyage des cuisines et zones de préparation alimentaire, rouge pour les sanitaires et bleu pour les lieux de restauration. Si cette astuce permet d’éviter les erreurs de produit, la question des dosages adéquats, des temps de pose et du rinçage reste épineuse. « Il faut choisir des produits faciles d’emploi, estime Tomer Rajzbaum chez Traqfood. C’est plus facile à dire qu’à faire, car les produits prêts à l’emploi ont un coût plus important. »

Green Care Professionnal a notamment mis sur le marché, il y a quelques mois, la gamme Ready for You. « Pour faciliter leur usage et la compréhension par les utilisateurs, notamment dans les petits établissements qui font face au turnover, chaque spray porte une étiquette avec un large visuel de son domaine d’utilisation, des pictogrammes de mode d’utilisation et un code couleur pour éviter la confusion, expliquent les représentants de la marque. Pour les établissements plus importants, nous recommandons l’installation de systèmes de dilution associée à des nettoyants concentrée de la gamme Kliks, que ce soit pour le lavage de la vaisselle, pour la plonge automatique ou manuelle ou pour le lavage des surfaces et des sols. Le collaborateur peut venir remplir son seau avec des solutions de nettoyage prêtes à être utilisées. Pour la plonge manuelle, il peut être intéressant aussi d’installer une pompe coup de poing au-dessus du bac à plonge. Chaque pression délivre la juste dose de détergent, ce qui facilite le travail et évite les surdosages inutiles. »

Le digital permet également de réduire le risque d’erreurs. Les logiciels de suivi de l’hygiène permettent généralement une validation par photos des produits utilisés, ce qui permet de réagir rapidement en cas d’erreur. « C’est important de pouvoir tracer chacune des actions, surtout si le manager n’est pas sur place en permanence, poursuit l’ingénieur de chez Traqfood. Il voit apparaître en rouge là où il y a eu des manques et peut sensibiliser à nouveau les équipes là où ça pêche ». Les outils ne remplaceront jamais le contact humain, rassurant.

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