Addictions : alcool, cocaïne, héroïne… dangers en cuisine

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Face au stress et autres contraintes, les addictions se répandent dans l’univers du CHR. Comment les prévenir ? Une question d’autant plus cruciale que la responsabilité pénale du chef d’entreprise est engagée. Rencontre avec Eric Abihssira, vice-président confédéral et président de la commission sociale de l’Umih.

Eric Abihssira, vice-président confédéral et président de la commission sociale de l’Umih. ©DR

Avec la Mildeca*, l’Umih a publié un guide intitulé « Prévenir les conduites addictives dans les CHRD ». Il y a urgence ? 

C’est un sujet tabou mais qui l’est de moins en moins. Nous vivons dans un monde de l’image. Dans le passé, il existait plus de pudeur à évoquer ces questions pourtant importantes. Il est du rôle de l’Umih et de sa commission des affaires sociales de sensibiliser les entrepreneurs. Ce guide, élaboré avec la Mildeca, laquelle dépend des services du Premier ministre, est une première. Les restaurateurs comme les hôteliers doivent prendre conscience qu’ils sont dans l’obligation de traiter ces sujets, comme les engagent à la fois le code du travail et le code pénal.

Le secteur du CHR est-il plus touché que d’autres ? 

Les addictions sont multisectorielles. Je compare souvent une équipe en cuisine à celle d’un sport collectif, comme la Formule 1. Elle doit fournir dans un laps de temps court un effort intense, tout en demeurant extrêmement concentrée. Une fois le coup de feu achevé, les personnes doivent alors décompresser. Certaines y arrivent naturellement. D’autres usent de désinhibiteurs (alcool ou drogue). Quoi qu’il en soit, pour répondre à votre question, notre secteur n’est pas le plus touché, même si la prise de drogues est répandue.

Si l'entrepreneur n’agit pas, sa responsabilité pénale est alors engagée

Entre la restauration et l’hôtellerie, quelle branche est la plus concernée ? 

Les deux, néanmoins, la restauration arrive en tête. C’est le fameux coup de feux évoqué plus haut. L’univers hôtelier est différent. Une personne travaillant à la réception d’un hôtel est nettement moins stressée qu’une autre installée derrière les fourneaux. La pression y est moindre. La cuisine, c’est le cœur nucléaire du restaurant. Sans oublier pour autant l’équipe en salle où la pression y est également forte. Elle doit répondre rapidement aux moindres desiderata de la clientèle.

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8 % des hommes prennent au moins une fois par mois du cannabis. ©DR

Quelle est l’addiction la plus répandue ? 

Sans aucun doute, l’alcoolémie et cela depuis toujours. En revanche, de nouvelles addictions sont apparues ces dernières années. J’oserai dire que les drogues se sont « démocratisées » en quelque sorte. Je pense au cannabis, à la cocaïne, à l’héroïne… Par ailleurs, je tiens à préciser le fait suivant : si la brigade en cuisine demeure majoritairement masculine, celle en salle se féminise. Trois tendances à retenir parmi les actifs. Tout d’abord, on compte 27 % de fumeurs et 23 % de fumeuses. Ensuite, 19,8 % des hommes consomment de l’alcool de manière répétitive contre 8 % pour les femmes. Enfin, 8 % des hommes prennent au moins une fois par mois du cannabis. Les femmes ne sont que 4 %. Ces addictions ne représentent pas une exception française. Nous n’avons pas la paternité de ce mal qui est mondial.

Quand un membre est déficient, c’est toute l’équipe qui est en difficulté

Les entrepreneurs ont-ils conscience des dangers qu’ils encourent si un de leurs salariés se drogue ?

Nous enregistrons de très bonnes remontées terrain de la part de nos adhérents. Notre guide

« Prévenir les conduites addictives dans les CHRD » était attendu. Nous l’avons distribué en avril dernier, juste avant les vacances d’été. A cette période, la pression sur les équipes s’intensifie. Il existe une forte attente de leur part pour connaître les bonnes pratiques d’accompagnement d’un salarié en perdition. Du reste, un de mes collaborateurs (Eric Abihssira est à la tête de restaurants et d’hôtels à Nice – Ndlr) devenait alcoolique. Je l’ai alors aidé à sortir de cette mauvaise passe « en bon père de famille ». Aujourd’hui, il ne boit plus. Si l’entrepreneur n’agit pas, ne vient pas en aide, sa responsabilité pénale est alors engagée.

©DR

Les six sources d’addictions

1- Horaires de travail importants ou décalés

2- Proximité avec les produits

3- Précarités professionnelles

4- Tensions psychiques et tensions physiques

5- Insuffisance d’effectif et isolement

6- Stress

Quels sont les signes avant-coureurs et comment peut-il agir ?

Le premier signal est le retard répétitif d’un salarié dans sa prise de fonction. En ce qui me concerne, je fonctionne en équipe. Pas question d’établir une hiérarchie verticale. Au contraire. Le but est de créer un climat de confiance entre les salariés, voire une certaine connivence. Si l’un d’entre-eux est au bord du précipice, d’autres peuvent me prévenir. Il n’est pas question ici de parler de dénonciation, mais d’une main tendue. L’objectif est d’établir un dialogue avec ses salariés. Quand un membre est déficient, c’est toute l’équipe qui est en difficulté. Je le répète. La clé principale est l’échange. Car, quoi qu’on en dise, nous exerçons un beau métier.

*Mildeca : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives

Ils ont dit

-Thierry Marx, président confédéral de l’Umih.
« Notre secteur est particulièrement exposé parce qu’il conjugue un certain nombre de
facteurs de risques. En même temps, nous peinons à recruter de la main d’œuvre pérenne
et qualifiée. S’engager pour la protection des salariés est une des façons de répondre
aux enjeux d’attractivité du secteur. Prévenir les conduites addictives, c’est préserver
la santé et le bien-être des salariés en garantissant un environnement de travail sûr et
serein. »

-Docteur Nicolas Prisse, président de la Mildeca
« Les conduites addictives en milieu professionnel représentent un enjeu majeur de santé
et de sécurité. C’est la raison pour laquelle l’Umih est partenaire depuis 2021 de notre
démarche ESPER [les Entreprises et les Services Publics s’Engagent Résolument].
Aujourd’hui nous franchissons une nouvelle étape, qui nous permet de renforcer notre
mission de sensibilisation auprès d’un secteur particulièrement exposé. J’engage toutes les entreprises du secteur à se mobiliser avec nous dans la prévention des addictions.»











Mildeca : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives


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