Entretien avec Hadrien Clouet : « Les abus dans la restauration ne sont pas isolés »
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Le député Hadrien Clouet revient sur sa proposition de créer une commission d’enquête parlementaire consacrée au secteur de la restauration. Son ambition est de mettre en lumière les violences subies et avancer des solutions concrètes pour transformer durablement le modèle. Interview.
Qu’est-ce qui vous a conduit à lancer cette initiative ?
Ce projet n’est pas né d’une idée abstraite, mais d’une convergence de trois expériences. D’abord, les analyses académiques – le livre de Nora Bouazzouni sur les violences en cuisine, qui a démontré que les abus dans la restauration ne sont pas isolés, mais généralisés. Ensuite, mon expérience parlementaire. Dans ma circonscription, j’ai accompagné des salariés aux prud’hommes et vu de près leurs difficultés. Enfin, au sein même de mon équipe, plusieurs collaborateurs viennent du secteur et m’ont apporté des témoignages directs. Ces trois regards m’ont convaincu que nous sommes face à un problème systémique.
Quels sont les objectifs principaux de cette commission d’enquête ?
Il y en a quatre. D’abord, donner de la visibilité à la parole des salariés et des collectifs, trop souvent éclipsée par les discours patronaux et médiatiques. Ensuite, organiser les rencontres entre collectifs, syndicats et inspecteurs du travail pour créer un réseau de défense des droits. Troisièmement, exercer pleinement le rôle de contrôle du Parlement, face à l’inaction du gouvernement. Enfin, convaincre suffisamment de députés de signer la demande pour que la commission puisse voir le jour.
Quel est le diagnostic que vous posez sur le secteur de la restauration ?
C’est un secteur d’illégalisme majeur. La loi existe mais n’est pas toujours appliquée, et parfois même contournée par les politiques publiques. L’inspection du travail est affaiblie, les politiques migratoires précarisent volontairement la main-d’œuvre, la formation professionnelle ignore le droit du travail, et la proximité entre pouvoirs publics et patronat protège les employeurs. Le résultat, c’est un rapport de force totalement déséquilibré au détriment des salariés.
Quelles formes de violences cela engendre-t-il ?
Elles sont multiples. Économiques d’abord, avec des contrats saisonniers, des temps de travail illégaux, un turnover massif, un vie personnelle sacrifiée. Physiques ensuite, nous avons des témoignages d’apprentis brutalisés et trop souvent les accidents sont banalisés. Sexistes et sexuelles aussi, dans un milieu où l’isolement et les horaires favorisent les abus. Enfin, racistes, car beaucoup de travailleurs étrangers vivent sous la menace d’une expulsion s’ils contestent. Ces violences s’accumulent, et touchent particulièrement celles et ceux qui cumulent plusieurs vulnérabilités, comme une apprentie étrangère.
Quelles sont les conséquences de cette situation sur le secteur ?
Elles sont dramatiques. Un tiers des salariés quittent la restauration chaque année. 40% des apprentis abandonnent leur formation. Ce taux de rotation est unique en France. Mais il y a aussi une conséquence sociale. Avec un million de salariés, cela signifie que des millions de personnes sont passées par ce secteur et en connaissent les réalités. Toutefois, l’omerta recule. La parole se libère, des collectifs apparaissent, et même certains restaurateurs reconnaissent que le modèle actuel est intenable.
Quelles solutions concrètes proposez-vous ?
La commission d’enquête est l’outil central, car elle obligera les patrons à témoigner sous serment. Mais il faut aller plus loin et introduire le droit du travail dans la formation des apprentis, renforcer l’inspection et la médecine du travail, conditionner l’accès aux marchés publics au respect des droits sociaux, rendre la convention collective claire et accessible en ligne, et soutenir politiquement les collectifs de salariés. L’État doit aussi refuser d’agréer des conventions collectives indignes et imposer des standards. Le treizième mois, deux jours de repos consécutifs et paiement des heures supplémentaires.
Certains acteurs du secteur estiment que l’application stricte du Code du travail pourrait fragiliser leur modèle économique. Quelle est votre position ?
Le droit du travail n’est pas optionnel. Si un restaurant ne peut pas fonctionner légalement, il doit fermer. Le vrai problème, ce sont les rentes captées par les propriétaires, les fonds de commerce et les salaires astronomiques de quelques chefs médiatiques. Il faut aussi rompre avec l’idée que petits et grands restaurateurs partagent les mêmes intérêts. Les petits sont étranglés par les loyers et la concurrence déloyale de ceux qui ne respectent pas la loi. En réalité, une régulation claire protège aussi les employeurs honnêtes.
Quelles sont les prochaines étapes pour cette commission d’enquête ?
Nous avons une stratégie en trois temps. D’abord, un grand colloque pour mettre en lumière la parole des salariés et renforcer les réseaux. Ensuite, une relance de la campagne de signatures auprès de tous les députés, appuyée par les collectifs qui iront voir leurs élus. Enfin, un objectif clair, celui d’obtenir l’ouverture de la commission d’enquête avant Noël. Ce serait un signal fort envoyé aux salariés, au moment où la pression dans les restaurants est maximale et où des mobilisations – y compris des grèves – peuvent émerger.