Axa assigné au tribunal par un restaurateur

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Le restaurateur parisien Stéphane Manigold traîne son assureur, Axa, devant les tribunaux. Pourtant assuré contre les pertes d’exploitation liées à une fermeture administrative, il s’est vu refuser son indemnisation car la fermeture imposée provient du ministre de la Santé et non de la police. Cet argument discutable devra désormais être débattu devant le Tribunal de commerce de Paris.

Les clauses du contrat d’assurance de Stéphane Manigold, propriétaire de quatre restaurants parisiens dont Substance et la Maison Rostang,  prévoient « une extension pour les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative imposée par les services de police ou d’hygiène ou de sécurité ». À la lecture de ces termes, on peut donc logiquement penser que les établissements du restaurateur entrent dans les conditions de la vaste fermeture administrative qui frappe aujourd’hui la profession et qu’ils devraient à ce titre être indemnisés. Et bien non. Axa refuse cette indemnisation avec pour argument que « l’intention à l’origine de l’acceptation de cette extension de garantie qui ne visait que les décisions de fermeture administrative trouvant leur cause dans des faits survenus au sein de l’établissement assuré et liés aux activités assurées ». Axa estime ensuite que « les mesures de lutte contre la propagation du virus covid-19A prises par le gouvernement, et notamment l’arrêté du 14 mars 2020, n’ont pas été prises par les services de police ou d’hygiène ou de sécurité tels que visés dans la garantie, mais par le ministre des Solidarités et de la Santé pour ce qui est de l’arrêté ». En outre l’assureur considère qu’il ne s’agit pas d’une fermeture administrative « d’un strict point de vue juridique » mais  « d’une décision d’interdiction générale faite aux restaurants d’accueillir du public tout en les autorisant à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison. »

Stéphane Manigold et son avocate, Maître Anaïs Sauvagnac, ne l’entendent pas de cette oreille et assignent Axa devant le Tribunal de commerce de Paris, estimant que l’assureur « se soustrait à ses obligations en refusant d’exécuter la garantie contractuelle couvrant l’indemnisation au titre de mes pertes d’exploitation alors qu’aucune exclusion ne s’applique. » Maître Anaïs Sauvagnac considère notamment que le ministre de la Santé, comme ses collègues du gouvernement disposent de pouvoirs de police en considération de l’article 31.31.1 du code de santé publique.


6 000 entreprises concernées

Selon Stéphane Manigold, l’enjeu de cette bataille se chiffre en millions d’euros. Il reconnaît qu’en l’absence d’indemnisation son entreprise conserverait des chances de survie, mais que son développement serait considérablement freiné. Actuellement ce patron doit recouvrir à un prêt garanti par l’État alors que la prime d’assurances de pertes d’exploitation aurait suffi à maintenir ses restaurants à flots. « Je remarque qu’Axa vient d’indemniser le Japon à la suite du report des JO, souligne le restaurateur. Il plie devant un État, mais il considère peut-être que les restaurateurs ne sauront pas se défendre et il s’affranchit des règles. » 

« Il plie devant un État, mais il considère peut-être que les restaurateurs ne sauront pas se défendre et il s’affranchit des règles », Stéphane Manigold 


Ce différend représente d’ailleurs un baptême du feu pour ce restaurateur de 40 ans installé depuis peu. Pas décidé à s’incliner, il entend consacrer toute son énergie et son temps pour obtenir gain de cause en justice ou contraindre Axa à revoir sa position. Il a d’ailleurs créé un site d’informations et d’aides : www.sauvernous.org 

Mais Stéphane Manigold n’est en effet pas le seul dans ce cas. Si le contrat type d’Axa en la matière ne prévoit pas l’éventualité d’une fermeture administrative, les contrats proposés par ces courtiers, mentionnent parfois cette possibilité. C’est le cas de ceux de la Satec, courtier de Stéphane Manigold, qui présentent des intercalaires spécifiques. Un autre courtier, l’Egide, proposait aussi des contrats AXA avec des conditions prévoyant l’hypothèse d’une fermeture administrative. Au total, près de 6 000 entreprises disposeraient d’une police d’assurance rédigées en des termes identiques et pourraient s’engouffrer dans la brèche juridique ouverte par le restaurateur parisien et obtenir le remboursement de leurs pertes d’exploitation.

Selon Maître Meilhac, ces cas sont plus courants qu’on ne le croit. Cet avocat spécialisé dans les CHR, instruit actuellement une cinquantaine de litiges autour de contrats de pertes d’exploitations dont les termes pourraient couvrir le cas d’une pandémie. « Nous avons en effet repéré des différences notables entre les contrats proposés par les compagnies et ceux rédigés par leurs courtiers ou agents, indique-t-il en citant l’exemple qu’un contrat proposé par un agent prévoyant à la fois la possibilité d’une fermeture administrative et le risque d’épidémie. Mais une troisième clause indiquait que cette couverture ne s’exerçait plus si un autre établissement dans le département faisait l’objet d’une fermeture administrative pour les mêmes raisons. En clair, « nous couvrons les pandémies à partir du moment où elles ne sont pas contagieuses ». Naturellement l’avocat dénonce cette formulation absurde et espère la faire annuler devant les tribunaux car dans le droit civil, le juge garde la possibilité d’interpréter un contrat.

Ces conflits juridiques pourraient durer plusieurs années. Affaire à suivre, donc.

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