Dématérialisation : menace sur les titres-restaurant
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La disparition programmée de la Commission nationale des titres-restaurant, l’année prochaine, inquiète les restaurateurs qui, dans le cadre de la dématérialisation, souhaitent un contrôle accru de l’utilisation de ce moyen de paiement et un encadrement de la commission prélevée par les émetteurs.
Il y a quelques semaines, Le Figaro indiquait que les quatre émetteurs français de titres-restaurant en France, Ticket Restaurant (Edenred), Chèque Restaurant (Sodexo), Apetiz (Natixis Intertitres) et Chèque Déjeuner (Up), étaient depuis 2015 sous le projecteur d’une enquête de l’Autorité de la concurrence et que cette dernière s’apprêtait à lui infliger une amende record pour entente concurrentielle. L’enquête avait été diligentée à la suite d’une plainte de Resto Flash, un nouvel entrant sur le marché, qui accusait les 4 opérateurs en place d’échanger des informations en vue de freiner le processus de dématérialisation du marché du titre-restaurant. Cette entente, qui remonterait à treize ans, permettrait ainsi de freiner l’accession de nouveaux entrants sur le marché. Ces sociétés, ayant déjà été condamnées pour des faits d’entente en 1981 et en 2001, seraient ainsi considérées comme des récidivistes. La sanction pourrait alors être exemplaire et atteindre les 10 % du CA des entreprises visées.
Pour l’instant, à l’heure où nous mettons publions cet article, cette instance n’a toujours pas rendu son verdict.
La disparition programmée de la CNTR
Ce retard décisionnel laisse dans l’expectative certains observateurs avisés comme Romain Vidal, qui appelle de ses vœux un grand chantier de remise à plat du système et de la législation qui l’encadre. Ce jeune professionnel, nouvellement nommé secrétaire général du GNI Paris Île-de-France, est l’œil de la restauration sur la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR). Il a été élu l’année passée représentant du collège des « restaurants et assimilés, fruits et légumes » au sein de cette commission. Il succédait ainsi à Charly Bélisson. La situation actuelle inquiète vivement Romain Vidal, qui évoque la disparition programmée de la CNTR. En effet, dans le Jaune budgétaire de 2020, document prévisionnel de la politique économique de la France, il est clairement annoncé que « la diminution des coûts de fonctionnement (de la CNTR) découle d’une part de la réduction d’effectifs, avec des départs en retraite non remplacés, et d’autre part de la réduction des frais d’entretien de l’immeuble qui héberge le secrétariat général de la commission. » Et de conclure : « L’instance a vocation à être supprimée. » Le 25 octobre dernier, Patrick Bouderbala, président de la commission, issu des rangs du Medef, et son vice-président, Jean-Michel Reynaud, représentant FO, ont écrit au Premier ministre pour s’étonner d’une suppression de la CNTR, sans référence à la moindre concertation, et lui demander une audience. Les deux hommes rappelaient à Édouard des propositions de modernisation de la régulation du titre-restaurant afin de l’adapter aux enjeux actuels (digitalisation des acteurs, évolutions du marché de la restauration, etc.).
Blanchiment
Le président de l’instance rappelle également au Premier ministre les trois missions principales de la commission : la délivrance des agréments restaurateur (300 demandes par jour), le contrôle des sociétés (cantonnement des fonds, la traçabilité des paiements, le respect des plafonds). Cette mission n’est pas anodine, alors que le titre-restaurant est connu comme un moyen de blanchiment d’argent. « C’est même l’un des rares moyens de blanchir de l’argent en en gagnant, puisque l’on peut racheter des titres utilisés en dessous de leur valeur faciale », apprécie un connaisseur. On note d’ailleurs que le nombre de vols des titres augmente de manière impressionnante.
« Les restaurateurs paient au prix fort cette dématérialisation »
Enfin, cette commission permet aux quatre collèges (employeurs, salariés, émetteurs et restaurateurs et assimilés) d’avoir un regard sur la vie et le développement du titre-restaurant. Romain Vidal rappelle par exemple que c’est la CNTR qui a mis en place un dispositif limitant les dérives de l’utilisation des titres-restaurant en grande distribution. Le coût de fonctionnement annuel de la CNTR (environ 500 K€) est dérisoire au regard du poids de ce marché conséquent, de près de 6 milliards d’euros annuels, et qui connaît une progression plus rapide que la croissance. De plus en plus de dirigeants d’entreprise adoptent ce moyen d’augmenter le pouvoir d’achat de leurs salariés à l’abri des charges sociales et fiscales. Mais l’appétit des émetteurs inquiète de plus en plus les restaurateurs.
« Ces dernières années, nous sommes passés d’un taux de commission moyen de remboursement des titres de 3 à 5 %, argumente Romain Vidal. Je rappelle que le taux de commission d’un paiement par carte bancaire est en moyenne de 0,5 %. Des émetteurs comme Resto Flash se limitent à 1,5 % sans frais de TPE, tandis que certains conservent des frais fixes mensuels en plus des commissions variables et bancaires pouvant faire exploser le taux de commission. On nous a vendu la dématérialisation comme du rêve : rapidité, simplicité et moins cher. En réalité, les restaurateurs paient au prix fort cette dématérialisation. » Une pilule d’autant plus amère à avaler qu’à terme, la dématérialisation aurait dû faire baisser les coûts de fonctionnement grâce à l’automatisation des tâches. On peut même penser qu’une fois achevée, la CRT (Centrale de règlement des titres), le GIE mis en place pour assurer le règlement des restaurants, sera frappée d’obsolescence.
Les dérives possibles
La digitalisation des titres et des échanges soulève également d’autres problèmes détaillés par Romain Vidal : « De nouveaux acteurs comme Lunchr utilisent des systèmes qui couplent carte-restaurant et cartes bancaires. Dès lors, comment ventiler correctement sa caisse ? Je me bats aussi contre les drives des supermarchés qui souhaitent pouvoir utiliser les titres dématérialisés d’une manière qui les arrange. »
Avec la dématérialisation se pose aussi la question des perdus périmés, ces titres qui ne sont pas utilisés avant leur date de péremption. La somme, qui n’est pas anecdotique, revient alimenter les caisses des comités d’entreprise… À travers ses actions, Romain Vidal assure ne pas seulement défendre les intérêts des restaurateurs. Il craint en effet que si le titre-restaurant devient un moyen de paiement comme un autre, l’État puisse être tenté de revenir sur cet avantage social pourtant plébiscité par les Français. Face à la dématérialisation, une remise à plat des règles en profondeur semble aujourd’hui nécessaire.