Vin : le défi des nouvelles générations

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Si les jeunes générations montrent moins de goût que leurs aînés pour le vin, les restaurateurs ont un rôle à jouer dans la transmission des codes en faisant preuve de pédagogie.

Les nouvelles générations ont un vif intérêt pour ce produit qu’elles consomment de manière déstructurée

Près de la moitié du marché du vin(47 %) repose sur les épaules des plus de 55 ans, si on en croit une enquête réalisée par IWSR à la demande des organisateurs de Wine Paris et de Vinexpo Paris, salon qui se tiendra les 13 et 15 février prochain. A contrario, les moins de 40 ans ne consomment que 28 % des volumes produits en France. Une tendance qui se traduit aussi dans la fréquence de consommation.

Les plus âgés consomment du vin en moyenne 9,6 fois par mois alors que les autres
tranches d’âge inférieures restent autour de 7. Si on se fie à la seule logique comptable, les vignerons devraient s’inquiéter de leur avenir. Pourtant ces chiffres doivent être fortement relativisés.

D’une part, parce que la France n’est pas un pays jeune. Les plus de 55 ans représentent 33,6 % de la population alors que la proportion des 18-39 ans ne dépasse
pas 23,4 %. D’autre part, et surtout, il y a fort à parier que le jeune non-buveur se métamorphose à moyen terme en amateur de vins.

Désaffection des 18-24 ans

Ce phénomène n’est pas nouveau. Depuis de nombreuses années, des études nous montrent que les jeunes sont plus versatiles en matière de consommation d’alcool alors que les plus âgés ont tendance à se concentrer sur le vin. Un peu comme si le goût de ce breuvage venait en vieillissant.

Déjà, en 2016, une étude commandée par Verallia sur la consommation des 18-24 ans pointait une désaffection de cette classe d’âge pour le vin et une préférence pour des boissons moins cher, comme la bière ou les spiritueux.

Mais dans le même temps, ces jeunes étaient loin de tourner le dos au vin, car 64 % d’entre eux affirmaient que leur consommation de vin augmentait chaque année et 25 % augurent même qu’elle continuerait à croître dans les cinq prochaines années.

Sale temps pour les rouges

En revanche, les producteurs de vin rouge doivent réellement s’interroger. Une enquête
menée par Kantar révélait au mois de novembre que la consommation de vin rouge avait baissé de 32 % en volume en France. L’enquête d’IWSR vient confirmer l’érosion du marché de cette couleur pourtant encore dominante.

Elle reste portée par les plus de 55 ans qui, à 54 %, préfèrent consommer du rouge. Mais, plus on remonte en catégorie d’âge et moins le vin rouge est bu. Il est même minoritaire dans les couleurs chez la génération Z (18-24 ans). Chez Richard, l’œnologue conseil, Myriam Huet reconnaît que la clientèle des bars et restaurants a tendance à bouder les rouges.

« Trop souvent, ils sont servis à température ambiante, donc soit trop chauds ou trop froids. Résultat, les clients se détournent vers des blancs ou des rosés dont la fraîcheur est garantie. C’est encore plus significatif en été. Mais je constate que les restaurateurs qui disposent d’armoires à vin vendent toujours autant de rouges. »

À la faveur de ce crépuscule des rouges, les rosés, mais surtout les blancs progressent ainsi significativement chez les jeunes. Ces derniers sont largement responsables de cette envolée de la catégorie. Les blancs représentent ainsi un tiers de la consommation de vin des millenials (25-39 ans).

Marie Durillon, responsable de la catégorie vins chez France Boissons détaille ce phénomène : « Les 18-25 ans veulent découvrir des profils organoleptiques différents de leurs aînés. En vieillissant le palais s’affine, on apprécie mieux les tanins avec l’âge. Je pense que le goût fruité représente la clé d’accès à l’univers des vins chez les
jeunes. Dans cet esprit, les blancs et les rosés sont parfaitement adaptés. »

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La consommation de vin en canette se démocratise.

En réalité, le goût du vin est loin d’être perdu en France. Quand on observe les chiffres, on constate ainsi que les plus de 55 ans ont une consommation somme toute banale. S’ils boivent régulièrement, ils dépensent peu et moins proportionnellement que les plus jeunes catégories.

Les millenials sont les moins regardants à la dépense. Cette tendance est encore plus marquée en CHR. Sans surprise. En matière de consommation de volumes, les plus âgés dominent nettement le secteur. Mais question dépense, ils sont nettement en retrait et apparaissent derrière les millenials.

On peut également se réjouir de constater que la génération Z se montre également plus dépensière que ses aînés en matière de vin au restaurant. Un constat aussi partagé par Pierre Vila Palleja, sommelier et propriétaire du restaurant le Petit Sommelier : « Les clients jeunes sont en effet plus dépensiers. Ils connaissent assez mal le vin et pour eux le prix reste un indicateur. »

Le verre, une clé d’entrée

Les CHR demeurent des espaces privilégiés pour découvrir cette boisson. En effet, 90 % des personnes interrogées déclarent consommer du vin en restaurant. Mais curieusement, le vin raisonne moins comme une évidence dans les cafés et les bars. L’étude montre en effet que la pénétration du vin dans ces lieux est de 49 % pour la génération Z et de seulement 15 % pour les plus de 55 ans.

On peut ainsi mesurer le travail qui a été fait autour du vin au verre et qui porte pleinement ses fruits pour les plus jeunes générations. La vente du vin au verre est déterminante pour séduire les jeunes qui sont de moins en moins nombreux à s’atta-
bler durablement dans un lieu. Il faut donc aller les chercher sur leur terrain.

« Les accords mets-vins ne sont pas du tout adaptés à cette clientèle jeune, confirme Marie Durillon. Leur moment de consommation, c’est durant l’apéritif dînatoire où il faut affronter la concurrence des bières et des cocktails, avec de la vente au verre. »

Je pense que le goût fruité représente la clé d’accès à l’univers des vins chez les jeunes.
Marie Durillon, responsable de la catégorie vins chez France Boissons

Hélène Franz, cheffe de groupe marketing chez Castel Frères, rajoute un argument économique en faveur de la vente au verre : « En effet, les consommateurs “ jeunes ” suivent la tendance du consommer moins mais mieux, et cela passe par la recherche d’une expérience plus qualitative, donc avec un budget plus important. Et cette tendance, nous la retrouvons également dans le vin. »

C’est pourquoi, afin de s’adapter à cette envie de « mieux boire » du consommateur,
Castel Frères recommande aux restaurateurs d’étoffer leurs cartes de vins au verre, notamment avec des grands crus par exemple, ce qui permet de rendre de grands vins accessibles.

Alors que les jeunes générations optent pour une consommation plus nomade et déstructurée, il convient aussi de réfléchir à de nouveaux contenants tels que la canette. Depuis deux ans, une ancienne sommelière, Brigitte Després, a créé La Robe du vin. Désormais, l’entreprise propose une douzaine de références conditionnées en canettes de 25 cl entièrement recyclables.

Elle indique qu’elle cible toute la population, mais particulièrement les jeunes : « 72 % des Français sont prêts à l’adopter et le chiffre monte à 87 % chez les moins de 35 ans. » Des tentatives d’autres marques avaient déjà eu lieu en canettes ainsi qu’en briques. Mais elles ne furent pas couronnées de succès.

Brigitte Després estime qu’elle peut faire la différence en offrant des vins de qualité issus de vignerons ou de caves coopératives sourcées. D’ailleurs, sur chaque canette, un QR code renvoie à une vidéo de 10 minutes avec une interview du vigneron, une immersion dans le domaine et une dégustation de la sommelière accompagnée d’un chef de cuisine qui réalise une recette en accord avec le vin.

Écoresponsabilité renforcée

La découverte du vin s’apparente à un parcours initiatique. La maîtrise de codes n’est pas évidente pour les jeunes, plus sensibles aux plaisirs immédiats. « Il faut leur proposer des vins qui se donnent immédiatement. ils n’ont pas envie de ces vins austères qu’il est recommandé de déboucher trois heures à l’avance », insiste
Myriam Huet, œnologue conseil chez Richard vins.

« Pour autant, ajoute-t-elle, il ne faut pas être dans la caricature. Les jeunes sont plus
exigeants qu’on ne le croit. » Il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact des questions environnementales sur cette clientèle qui accède au marché du vin. Ils se sentent beaucoup plus concernés que les plus âgés par ces problèmes.

« L’écoresponsabilité est une tendance particulièrement sensible chez les 18-25 ans et la réponse passe notamment par des produits bio ou en biodynamie », souligne chez France Boissons Marie Durillon. Chez Castel Frères, l’engagement pour la notion de mieux boire relève aussi d’une consommation responsable et par une attention particulière aux cuvées bio certifiées AB ou Terra Vitis.

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