Jean-Gabriel de Bueil, pour le bonheur du métier

  • Temps de lecture : 4 min

Après avoir multiplié les adresses d’institutions parisiennes, Jean-Gabriel de Bueil a décidé de revenir aux fondamentaux en ne se consacrant qu’à une adresse. Non seulement Chez Georges connaît un succès spectaculaire, mais le restaurateur a retrouvé ses sensations et le plaisir d’exercer son métier.

Jean-Gabriel de Bueil.
Jean-Gabriel de Bueil. Crédit : Jean-Michel Déhais.

Dans son dernier Petit Pudlo des bistrots, le critique gastronomique, Gilles Pudlowski, a attribué le « Trophée de l’Hospitalité » au propriétaire de Chez Georges (Paris 2e), Jean-Gabriel de Bueil. Modeste, ce patron âgé de 50 ans justifie cette récompense par « sa longévité dans le métier ». Il détient cette institution de la rue du Mail depuis 2010. L’enseigne a été créée, à l’origine, par Georges Constant en 1964. Exploitant alors le Louis XIV (Paris 1er), près de la place des Victoires, ce chef décide de se déplacer de quelques dizaines de mètres pour lancer Chez Georges dans un bistrot datant de 1880, un ancien dépôt de charbon auvergnat. Un déménagement chanceux pour Georges Constant, puisqu’il obtient une étoile Michelin avant la transmission de l’affaire à son gendre, puis à son petit-fils, Arnaud.

Plus tard, lorsque Jean-Gabriel de Bueil rachète l’établissement, le restaurant continue d’attirer une belle clientèle. À l’époque, il possède déjà une collection de vieux bistrots parisiens. Il fait partie des jeunes loups en vue de la restauration. Formé dans la prestigieuse école hôtelière suisse de Glion, il effectue en effet un parcours remarqué avec Jean-Paul Bucher (Groupe Flo) qui le conduit à superviser cinq brasseries parisiennes : Floderer (10e , le Terminus Nord (10e), Julien (10e) le Vaudeville (2e) et le Bœuf sur le toit (8e). Il plonge dans le grand bain à l’âge de 28 ans en reprenant, avec l’aide d’un associé, le Bistrot de Paris (7e). Puis Chez René (5e), Chez Georges (2e ), Savy (8e) et Chez Fred (17e) tomberont tour à tour dans leur escarcelle. Ainsi, en près de 20 ans, il réunit avec succès cinq institutions parisiennes de la cuisine bourgeoise. Mais progressivement, il a le sentiment de s’éloigner de son métier : « Cela générait une frustration de n’être plus au contact avec le client. Je me suis un peu perdu. Je me suis aperçu que j’étais plus artisan qu’homme d’affaires. Curieux intellectuellement, je fais aussi ce métier pour faire des rencontres. J’ai le goût des autres. »

« J’ai le goût des autres. »
Jean-Gabriel de Bueil, Chez Georges, à Paris 2e

Peu à peu, il s’efforce de retrouver le terrain en passant plus de temps dans ses adresses. Sa vision stratégique évoluant, des désaccords avec son associé naissent alors et les deux hommes finissent par se séparer. Jean-Gabriel de Bueil revend toutes ses participations et profite d’acquérir – avec un associé – un vignoble de 5,5 ha sur l’appellation Chénas. Pour autant, pas question de se retirer au terme d’un parcours qu’il sent inachevé. « Je voulais donner du sens à mon métier », explique-t-il. C’est ainsi que, à la suite de la séparation avec son associé, il conserve Chez Georges. « La restauration me passionne, confesse-t-il. Mais logiquement, je n’aurais jamais dû faire ce métier. » Enfant, il évolue dans un milieu aisé. Son père est entrepreneur dans l’imprimerie publicitaire et la sérigraphie. Mais il a 10 ans lorsque son géniteur meurt. « Dans ces conditions, on a l’opportunité de se définir comme on l’entend. Mais je pense que si mon père et ma mère avaient vécu plus longtemps, ils m’auraient peut-être dissuadé de faire ce métier », résume-t-il.

Le retour Chez Georges

Il revient chez Georges dès 2021, en mettant un point d’honneur à assumer chaque service. Cette remise en question a été bénéfique à l’institution qui a vu son chiffre d’affaires doubler depuis son retour derrière le comptoir. Ce restaurant de 75 places assises sert en moyenne 200 couverts par jour. « C’est d’abord le résultat du travail de mon équipe de 13 personnes, rappelle Jean-Gabriel de Bueil. Le fait qu’un patron soit présent à l’intérieur de l’établissement, cela change tout. Chaque fois qu’on se développe, d’une certaine façon on se disperse, car personne n’a le don d’ubiquité. » Non seulement l’équipe est davantage mobilisée, mais surtout, Jean-Gabriel de Bueil possède un sens inné de l’accueil. Il connaît personnellement 80 % de la clientèle et appelle une grande partie de ses hôtes par leurs prénoms. « Très souvent je connais leurs enfants, voire leurs petits-enfants », assure-t-il.

Doué d’une mémoire exceptionnelle, il maîtrise les habitudes de chacun. Ainsi, chez Georges est demeuré un des derniers temples parisiens des abats, des viandes maturées et des poissons plats. Le restaurant dispose d’allocations dans les grands domaines bourguignons et évolue à un niveau de qualité et de service qui justifie un ticket moyen oscillant entre 70€, au déjeuner, et 100€ au dîner. Les clients apprécient ce restaurant qui a résisté à l’érosion des modes. Jean-Gabriel de Bueil cultive un certain conservatisme. L’équipe est majoritairement composée de professionnels quinquagénaires chevronnés. Le patron bannit les logiciels de réservation et maintient un gros cahier de réservations. Dans le même esprit, il écrit lui-même ses cartes d’une belle écriture tracée à l’encre violette. Chez Georges, c’est l’humain qui prime et c’est ce luxe d’un autre temps que viennent chercher les clients.

PARTAGER