Au coeur du chaudron du MOF cuisine

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Comme tous les quatre ans, des centaines de chefs aguerris convoitent l’emblématique col bleu, blanc, rouge, du meilleur ouvrier de France lors d’une épreuve aussi exceptionnelle que complexe. Pour cette édition 2018, le président Alain Ducasse avait donné rendez-vous aux 28 finalistes dans les cuisines du lycée hôtelier du Touquet.

Jeudi 22 novembre 2018, 19 heures. L’atmosphère est pesante dans la salle de réception du lycée hôtelier du Touquet où des centaines de personnes sont agglutinées dans l’attente des résultats du concours Un des meilleurs ouvriers de France, classe cuisine gastronomie. Au premier rang, les 28 chefs finalistes font face aux 42 membres du jury et au président Alain Ducasse, accompagné de ses acolytes Michel Roth, Jacques Maximin et Christophe Quantin. Impatience et fébrilité règnent alors sous les toques. Puis, au détour d’une phrase en apparence anodine, Christian Forestier, président du Coet-MOF, lâche une information précieuse : « Cette cuvée montre encore une fois l’exigence de l’événement puisque, sur les 600 candidats inscrits, environ 1 % est finalement récompensé. » Jusqu’ici disciplinée, l’audience laisse échapper quelques murmures tandis que les regards se crispent, se cherchent, tentant d’interpréter ce « environ 1 % ». Quelques minutes plus tard, c’est la délivrance pour sept heureux élus : Renaud Augier (La Tour d’argent Tokyo), Stéphane Collet (lycée hôtelier Saint-Martin à Amiens) Arnaud Faye (La Chèvre d’or, 2* Michelin), Fabrice Gendrier (Lenôtre à Plaisir), Franck Putelat (La Table de Franck Putelat, 2*), Julien Roucheteau (La Scène Thélème, 1*) et Frédéric Simonin (Frédéric-Simonin, 1*).

5 heures d’épreuve sous haute tension

Le matin même, rendez-vous en cuisine pour être au cœur de l’action. Après les 14 candidats du mercredi, c’était au tour des 14 autres, répartis dans trois laboratoires, de plancher pendant cinq heures sur cet examen hors du commun. Chaque chef est accompagné de deux commis désignés au hasard parmi les élèves en BTS du lycée hôte. Les trios entrent en cuisine, à 15 minutes d’intervalle, pour s’atteler à la préparation des trois plats révélés deux semaines avant l’épreuve. Au programme de la promotion 2018 : pavés de lieu jaune accompagnés de leur parmentier de homard, trilogie de lièvre, garnitures fruits-légumes et une pavlova, aspic de fruits frais, crème au citron. Au bout de quatre heures d’épreuve, le premier plat est envoyé, suivi des deux autres, toutes les trente minutes. Un retard de plus de trois minutes est sanctionné, au-delà de cinq minutes le plat n’est pas noté. Durant l’épreuve l’ambiance est contrastée. Les chefs évoluent dans leur bulle et font preuve d’une sérénité impressionnante. Pourtant, autour d’eux, c’est un ballet un peu chaotique qui s’organise, entre les journalistes qui tentent maladroitement de trouver leur place, les membres du jury qui déambulent en scrutant leurs moindres faits et gestes, et le personnel du lycée qui s’affaire à diverses tâches. Dans un coin, on remarque des jeunes élèves fascinés par ce spectacle qui partagent leur émotion : « Nous sommes en seconde et aujourd’hui nous sommes chargés de la plonge et de nettoyer la vaisselle de tout le monde. Nous sommes très contents d’être au cœur de l’action, d’habitude il n’y a pas autant de monde ici, ni du matériel aussi exceptionnel! »

Un système de notation complexe

À l’inverse, impossible d’impressionner les membres du jury qui ne lâchent pas leurs grilles de notation et leurs stylos. Antoine Laborde, ancien professeur et jury pour la sixième fois, nous explique son rôle : « Dans les cuisines on fonctionne en duo et on ne s’occupe que d’un plat. Moi je suis sur la pavlova. Les critères de notation sont nombreux et très précis. Ils portent sur la réalisation, les techniques, l’organisation, etc. À la fin, on se concerte et on harmonise nos grilles. Nous n’avons aucun échange avec les candidats. » Plus en retrait, le chef Alain Bernard s’occupe de la coordination : « Je veille à la sérénité de l’épreuve. Je suis très présent au moment du démarrage et de l’envoi. J’essaie d’avoir le rôle du bon père de famille. » L’envoi est d’ailleurs un moment d’une grande intensité où les cuisiniers voient le fruit de leur travail disparaître en un clin d’œil, sous une cloche, direction le jury dégustation. Nicolas Sintes, chef aux Fermes de Marie à Megève, et dont c’était la première finale, se confie à la fin de l’épreuve : « Quand on se prépare chez soi on n’a pas des grands chefs qui nous tournent autour. Dans le feu de l’action, on perd forcément un peu ses moyens. Le lièvre était particulièrement difficile, c’est une viande très sensible. Mais j’ai tout envoyé à l’heure, c’est le principal. Maintenant j’attends… » À côté de lui, son commis se remet à peine de cette expérience immersive : « Au début, les couteaux tremblent mais rapidement le chef nous met en confiance. C’était un superexercice pour nous, ça donne envie d’être à leur place plus tard. J’espère que l’issue sera heureuse pour le chef car nous avons bien travaillé. » Malheureusement Nicolas Sintes ne fera pas partie des sept lauréats qui seront appelés le soir même, par ordre alphabétique, par Alain Ducasse. La cérémonie a d’abord été marquée par un vibrant hommage à Paul Bocuse et Joël Robuchon, dont les mémoires planaient naturellement sur cette édition 2018. Puis les cris de joie et les pleurs des gagnants se sont mêlés à l’émotion contenue des recalés. Des réactions spectaculaires de la part de chefs aux carrières déjà exceptionnelles, qui montrent à quel point ce concours hors du temps demeure un monument de la gastronomie.

Nicolas Sintes et sa brigade

Nicolas Sintes envoie son plat

Guy Legay au contrôle sur le passe

Un jury très rigoureux

Renaud Augier La Tour d’argent Tokyo, MOF cuisine 2018 C’est un accomplissement et un soulagement immense. J’étais dans la session de mercredi, j’ai donc passé la journée d’aujourd’hui à cogiter et à refaire toutes les épreuves dans ma tête. J’étais content de moi mais je n’avais aucune certitude. Comme l’annonce des gagnants est par ordre alphabétique, j’ai été le premier appelé et là, ça a été le trou noir. J’ai entendu « Augier », on a crié autour de moi et je me suis dit « Putain mais c’est moi! »

Aurélien Gransagne Sodade (brasserie de Serge Vieira) à Chaudes-Aigues, dans le Cantal Je ne suis pas un grand fan des concours mais celui-ci a quelque chose de particulier. C’est une autre approche, une remise en question car on est son seul ennemi, on n’a pas à être meilleur que quelqu’un. On doit simplement faire ce qui est demandé, avec application et technique. Même si je n’ai pas été lauréat, je ressors forcément grandi d’un tel parcours, que ce soit grâce à ces deux jours mais aussi avec tout l’investissement en amont. Je vais rentrer tranquillement dans le Cantal et on verra en temps voulu pour la prochaine fois.

Mathieu Silvestre Premier chef de partie cuisine à la Table d’Olivier Nasti à Kaysersberg. À 26 ans il est le plus jeune finaliste. Forcément je suis déçu de ne pas repartir avec le col tricolore. Mais être le plus jeune finaliste, c’est déjà énorme. J’ai eu la chance de me préparer avec mon chef qui est lui-même MOF. Malgré tout, à ce niveau, ce sont des détails, la précision, qui font la différence et c’est peut-être ce qui me manque encore. En tout cas, ça a été une expérience magnifique, pleine d’émotion, notamment lorsque tous les membres du jury sont venus me voir à la fin pour m’embrasser, me taper sur l’épaule. Ils m’ont dit de persévérer. J’y compte bien : rendez-vous dans quatre ans! 

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