Écrevisse à pattes rouges : le crustacé le plus rare de France

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L’écrevisse à pattes rouges, réputée pour sa chair fine et délicate, a presque disparu à l’état sauvage en France. Au-delà de la biodiversité, c’est également un pan de notre gastronomie qui est en péril. Toutefois, une poignée d’éleveurs font en sorte de préserver l’espèce tout en travaillant avec des restaurateurs, afin de lui redonner sa place à table.

écrevisse à pattes rouges
Les écrevisses atteignent la taille adulte au bout de 4 ans. Crédit Laura Duret.

De tous les crustacés, l’écrevisse à pattes rouges fait partie des plus fragiles. Des générations entières gardent en mémoire le souvenir de parties de pêche dans les ruisseaux de leur enfance, puis les fricassées qui ornaient la table familiale. De grands noms de la gastronomie ont aussi su amener à la postérité sa chair si fine. Notamment André Pic à travers son emblématique boudin de brochet Richelieu sauce écrevisses ou encore Fernand Point avec le gratin de queues d’écrevisse. Si le produit s’est quelque peu perdu, ce n’est pas par effet de mode. Désormais classée en danger d’extinction, l’espèce est quasiment introuvable à l’état sauvage.

L’écrevisse à pattes rouges (Astacus astacus) prospérait pourtant dans les cours d’eau de l’est de la France et du bassin aquitain. « La population a été impactée par plusieurs facteurs simultanés, explique Jérôme Moirot, l’un des seuls astaciculteurs professionnels de France. Il y a quelques années, il a repris un élevage pionnier, initié il y a 20 ans en Haute-Marne, pour faire perdurer l’espèce. L’écrevisse à pattes rouges est très sensible à la qualité de l’eau et elle se développe très lentement. Il faut quatre à cinq ans pour qu’elle atteigne une taille adulte. Elle a toujours vécu en équilibre dans les rivières, sans les surpeupler, en jouant un rôle de vigie et de nettoyeuse. Mais elle a subi la pollution des eaux, le braconnage et la surpêche à certaines époques. »

écrevisse à pattes rouges adulte
Les pinces ne se consomment pas, mais permettent la confection de bisques. Crédit Laura Duret.
Jérôme Moirot reproduit le milieu naturel des écrevisses dans des bassins extérieurs. Crédit Laura Duret.

L’invasion venue d’outre-atlantique

L’introduction des espèces d’écrevisses américaines, invasives, lui a aussi été fatale, dont pour celle à pattes rouges. Dans ses bassins à Thonnance-lès-Joinville (Haute-Marne), Jérôme Moirot fait le pari de redonner sa place au crustacé, dans la nature et sur les tables. « Je fournis à la fois des éleveurs amateurs, mais aussi le CNRS ou encore le parc zoologique de Paris. J’aimerais également contribuer à sa réintroduction dans les ruisseaux de la région. » La demande en gastronomie reste assez confidentielle. « C’est un produit rare et, de fait, cher. J’essaye par ailleurs de vendre le plus possible en local, pour que ça ait du sens. »

Acteur de bout en bout de sa petite filière, il jongle en permanence entre les besoins bien distincts de ces deux clientèles. « Je ne vends que les mâles en restauration, ils grandissent plus rapidement, souligne-t-il en montrant un beau spécimen de 6 ans d’environ 100g. C’est assez rare d’avoir des adultes de plus de 7-8 ans, car l’écrevisse connaît plusieurs phases de grande fragilité au cours de l’année, notamment au moment de la mue où le risque de mortalité est important, tout comme chez les juvéniles. »

De l’Occitanie au crustacé

C’est ce rapport étroit à l’imprévisibilité de la nature qui a convaincu l’ancien ferronnier de quitter son ancienne vie dans le Gard, pour les écrevisses, dont celles à pattes rouges. « On n’a pas le choix que d’aller à leur rythme. C’est bien qu’on ne puisse pas mettre notre patte comme dans d’autres types d’agricultures où on occulte certaines parties de l’activité. En volaille, les éleveurs ne s’occupent plus de faire naître les poussins, de l’abattage… Avec les écrevisses, on peut contrôler les étapes de l’éclosion à la vente, et ne pas avoir d’intrants dans la ferme. Ça me permet d’être indépendant, même s’il faut accepter d’attendre. »

L’écrevisse à pattes rouges mettra sans doute encore quelques années avant de reconquérir massivement les garde-manger des restaurants. Mais le soutien des chefs, par la mise en valeur de ce produit d’exception, saura y contribuer.

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