L’estofinado, l’autre spécialité aveyronnaise

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Plat traditionnel du bassin de Decazeville, témoin de son passé minier, l’estofinado étonne quant à son ingrédient singulier : le stockfish. Preuve que le terroir peut s’ouvrir à des influences extérieures qui restent bien ancrées au fil des générations.

Certains symboles de la gastronomie locale sont directement inspirés des richesses du territoire, comme la viande ou le fromage. Mais parfois, les traditions culinaires prennent racine dans des habitudes, des produits venus d’ailleurs, le principe de libre-échange ayant libéré les frontières gourmandes au cours des derniers siècles. C’est vrai avec les épices par exemple (avec le piment d’Espelette), mais en Aveyron, une spécialité attise la curiosité : l’estofinado. Le produit qui lui donne toute sa singularité se trouve pourtant à des milliers de kilomètres de la vallée du Lot, au nord de l’Europe. Cet ingrédient secret ? Le cabillaud séché, appelé stockfish, tout droit venu de Norvège.

« On pourrait dire que c’est une brandade de morue, mais ça n’a rien à voir. Celui qui dit cela se trompe » , avertit Jacques Scotti. Même si on retrouve les mêmes ingrédients à l’intérieur avec le poisson, les pommes de terre, les œufs, l’ail et le persil, l’art de l’estofinado se niche dans les détails. « D’abord, il ne s’agit pas de morue, donc de poisson salé, mais de cabillaud séché. Et cela n’a rien à voir. Puis, le secret, c’est cette huile très chaude que l’on verse sur les ingrédients disposés dans un certain ordre ». Rien à voir avec le hasard ou l’approximation donc. L’estofinado se faufile dans les traditions culinaires aveyronnaises de l’ouest du département, autour de la vallée du Lot, et se perpétue de génération en génération, comptant sur l’héritage du geste et de la précieuse recette. Si bien qu’ils sont quelques chefs à s’être rassemblés en tant que maîtres estofinaïres, comme Jacques Scotti, et qu’une Confrérie existe pour célébrer ce met particulier et le faire perdurer.

Mais comment le cabillaud séché s’est-il retrouvé au cœur de la gourmandise aveyronnaise ? « Le bassin de Decazeville est une ancienne région minière, on comptait des milliers de mineurs qui étaient très pauvres, et l’estofinade était le plat du pauvre. Lorsqu’ils allaient vendre le charbon à Bordeaux, en empruntant le Lot puis la Garonne sur leur bateau, ils revenaient avec du poisson séché car cela se gardait très bien. Jusqu’à 10 ans ! », explique le chef aveyronnais.


Estofinado poisson plat traditionnel Aveyron
Le cabillaud séché.

UN PLAT DU PAUVRE ENTRE NORVÈGE ET AVEYRON

Ainsi, dans les auberges, on préparait l’estofinado, des vendanges jusqu’à Pâques. « A l’époque, on n’avait pas d’eau froide en plein été, et c’était dans la rivière que l’on réhydratait le poisson ». Des rivières fraîches d’automne et d’hiver qui permettaient de ne pas rendre le poisson impropre à la consommation pendant cette étape indispensable. Aujourd’hui, dans son restaurant, Jacques Scotti réhydrate son stockfish tout droit venu de Norvège, des îles Lofoten. « Pendant une semaine, le stockfish est placé dans la chambre froide à 2 degrés, dans de l’eau. Et on change cette eau tous les jours » . Le poisson est ensuite cuit pendant 1h 30 dans un court-bouillon. Peau et arêtes enlevées, la chair est ensuite émiettée. « On creuse ensuite un puits dans la purée de pommes de terre, on dispose le poisson émietté, on refait un puits, on dispose les oeufs frais, le persil et l’ail haché, le sel et le poivre. Je dispose aussi des œufs durs autour, comme ma grand-mère » . Ensuite ? Une huile très chaude, ou de la graisse de canard est versée sur ce mélange, battu petit à petit. Résultat : « la chimie s’opère, tout se mélange, et c’est un vrai bonheur » . Parce que dans l’Aveyron, il n’y a pas que l’aligot. L’estofinado vaut aussi le détour jusque dans la vallée du Lot.


stockfish Aveyron

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