Foie gras, le retour perturbé d’un produit d’exception

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Cela n’a échappé à aucun restaurateur, le prix du foie gras a bondi. À l’approche des fêtes de fin d’année, la question se pose même de le mettre ou non à la carte.

Foie gras
Foie gras. Crédits : Cifog

Bonne nouvelle : les professionnels du secteur en ont fait la promesse, il y aura bien du foie gras pour les fêtes. Mais à quelles conditions ? Dans un contexte calamiteux pour la filière, lié à la grippe aviaire et à l’inflation, le restaurateur qui veut proposer du foie gras à sa carte doit cette année se creuser sérieusement les méninges. « Les restaurateurs font face à un doublement du prix du foie gras, mais aussi à la raréfaction de la ressource », concède Frédéric Masse, directeur général de la maison du même nom.

Selon les indicateurs du Cifog, l’interprofession des palmipèdes à foie gras, il faut s’attendre à une hausse de 0,50 € à 0,80 € par tranche. Une augmentation non négligeable, mais qui ne décourage pas forcément les consommateurs, à l’instar des 88 % de Français qui estiment que c’est un produit typique du terroir français à préserver selon une enquête Cifog. Les restaurateurs tiennent à servir leur clientèle et à valoriser le produit. En décembre 2021, 16 associations de chefs signaient d’ailleurs un manifeste de soutien à la filière foie gras, s’engageant « à le mettre à l’honneur à l’occasion des fêtes et tout au long de l’année ».

Les clients aussi sont moteurs de son maintien en restaurant, puisque 88 % s’attendent à en trouver à la carte. Le marché CHR représente d’ailleurs 40 % des débouchés. « Plus on approche des fêtes de fi n d’année, plus le foie gras est une promesse indispensable, souligne Frédéric Masse. Ce produit s’associe avec tellement d’aliments, qu’il est facile de faire évoluer sa proposition. »

Baisser les quantités

Face à cette situation, les réactions des restaurateurs sont multiples. « Certains décident de le retirer purement et simplement, mais une majorité le conserve car c’est un marqueur pour les clients, notamment étrangers », observe Frédéric Masse. Un côté patrimonial qui garantit les ventes, mais pas forcément la rentabilité, au vu du prix actuel de la matière première. Pour cela, la solution peut être de réduire la quantité de matière : de 50 g à 30 g en escalope et de 70 g à 100 g en terrine. « On peut aussi l’utiliser en ravioles, ce qui assure une meilleure maîtrise du coût, ou en insert dans un pâté en croûte. De cette façon, les restaurateurs s’y retrouvent généralement.

Le foie gras permet un coefficient confortable, la marge est généralement importante. Ça reste très rentable par rapport à un poisson frais de petite pêche ou à de belles viandes », estime-t-il. De son côté, le chef Nicolas Carro (Hôtel de Carantec*, Finistère), grand adepte du foie gras, a choisi de le distiller en fil rouge dans sa cuisine. « Lorsque je suis venu m’installer en Bretagne, j’ai dû développer une autre approche du foie gras, parce qu’ici les clients s’attendent d’avantage à des produits de la mer. C’est un élément intemporel et je l’intègre dans 20 % à 30 % de mes farces pour les lier, amener de l’onctuosité et un goût plus subtil », note-t-il.

Le contexte aura peut-être le mérite de débanaliser le foie gras et de redonner un peu de luxe au produit
Frédéric Masse, Directeur générale Maison Masse

Il a même détourné la recette du lièvre à la royale avec du cochon pour plaire à la clientèle locale. « Le foie gras s’accorde aussi très bien avec des produits de la mer, et je trouve que c’est un formidable levier d’attirance pour mettre en lumière des produits méconnus, cela ne me gêne pas qu’il ne soit pas toujours la star de l’assiette », ajoute le chef. Et s’il fallait plutôt voir le foie gras comme un petit extra ? La situation pourrait bien redonner son sens premier à la notion de « produit d’exception ». « De la même manière qu’on le fait pour la truffe depuis longtemps, il y a la possibilité de proposer un supplément foie gras sur certains plats. Le contexte aura peut-être le mérite de débanaliser le foie gras et de redonner un peu de luxe au produit », suggère Frédéric Masse.

Bien choisir son produit

Le terme « foie gras » cache en réalité une grande variété de produits. Foie cru à cuisiner, foie gras entier en terrine, bloc de foie gras… La rentabilité de la proposition tient donc particulièrement au juste choix du produit. « On ne consomme pas le même foie gras selon le moment et l’attention que l’on y porte, indique Frédéric Masse. Un bloc ou une terrine seront plus pertinents pour l’apéritif ou un cocktail, alors qu’à table, le client est plus réceptif à la préparation d’une belle escalope. » Dans le contexte de faible disponibilité, le Cifog encourage d’ailleurs à proposer des recettes de partage autour du foie gras, notamment autour de l’apéritif, thème justement retenu pour le dernier Challenge foie gras du Jeune créateur culinaire.

Sur sa carte, ce peut être l’occasion de réinventer la manière d’utiliser le foie gras. « Le niveau de qualité global est tout à fait honnête sur l’ensemble des produits, poursuit le fournisseur. La filière a mis pas mal de garde-fous, notamment en limitant l’adjonction d’eau dans la fabrication des blocs, pour éviter de descendre aussi bas que certains autres produits. » Ceux qui entendent valoriser le terroir et le travail des producteurs à travers leur carte pourront également se tourner vers des références marquées de l’IGP ou du Label Rouge qui garantissent à la fois l’origine France, mais aussi des pratiques d’élevage raisonnées (taille des élevages, temps d’élevage et de gavage, alimentation des animaux).

Dans cette logique, l’entreprise Maison Lafitte a choisi de travailler uniquement avec des éleveurs en Label Rouge. « Ce qui m’importe, c’est de savoir ce que le client va faire du foie gras, comment il va l’assaisonner, comment il va le cuire, avec quel barème de cuisson… Selon le cas, on ne lui livrera pas le même produit », explique Fabien Chevalier, directeur de l’entreprise. Cette position fait directement écho à l’importance du choix du produit selon l’usage.

En France, la demande s’oriente majoritairement vers des foies de 450 g, fermes et avec peu de fonte, car il s’agit d’un bon compromis pour confectionner des terrines ou des foies poêlés. Mais quid des pochages, des bouillons ou des farces ? « En réalité, un foie de 650 g aura plus de goût, poursuit le spécialiste. Les Japonais [deuxièmes consommateurs mondiaux, NDLR] sont clients de ce type de produits parce que ce qui les intéresse avant tout, c’est le goût. »

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