Huile et vinaigre, un nouvel élan

  • Temps de lecture : 8 min

Au cœur du garde-manger, l’huile et le vinaigre ne sont pas forcément les ingrédients les plus considérés. Pourtant, cette catégorie de produits prend du galon, poussée par le marché de l’épicerie fine qui amène de nouvelles perspectives aux restaurateurs. Qu’ils soient de table, de cuisson ou plus innovants, les huiles et les vinaigres méritent un peu d’attention.

huile-vinaigre
Les huiles et vinaigres peuvent être utilisés par les chefs comme des exhausteurs de goût. Crédits : Unsplash

La qualité des huiles et des vinaigres utilisés en restauration va-t-elle pâtir du niveau d’inflation ? Le prix de l’huile de friture a bondi de 400%, de 300% pour l’huile d’olive et de 200% pour le vinaigre. Selon une analyse des tendances commerciales, de gestion et d’opinion diligentée par KPMG, Gira et l’Addition en début d’année, 43% des restaurateurs feront de leur stratégie d’achat une priorité en 2023. Dans quel sens ira-t-elle pour ces produits ? « Le vinaigre de vin a été un temps délaissé, avec deux ennemis essentiellement, le citron qui symbolise le goût de l’acide du Sud, et le vinaigre balsamique, parfois un peu dévoyé », souligne Chantal de Lamotte, directrice du salon de l’épicerie fine Gourmet Sélection, qui réunira, en septembre prochain, plus de 300 petits producteurs et faiseurs d’épicerie fine. Le vinaigre balsamique est pourtant le moteur de la croissance du marché des vinaigres. Hors Italie, il représente 40% du marché des vinaigres en valeur, selon Béatrice de Reynal de Nutrimarketing. Pour autant, on ne parle pas là de produits de spécialité : le vrai Aceto balsamico di Modena IGP se négocie à des prix élevés, plusieurs centaines d’euros le litre. Du côté des huiles, le triptyque olive, colza et tournesol se partage l’essentiel du marché, dont la tête s’alternent selon qu’on s’intéresse à un usage de table ou plutôt de cuisine.

Les CHR prescripteurs

Le marché de l’épicerie fine, et notamment des huiles et vinaigre, attend beaucoup de la restauration pour contribuer à la montée en gamme. « Le CHR est un ambassadeur pour promouvoir des produits de qualité et comment on les utilise. Pour autant, ils sont assez en retrait sur la question de l’épicerie fine et ce qu’ils proposent, notamment pour l’huile et le vinaigre, n’est généralement pas très ouvert. L’assaisonnement est peu exprimé dans la recette, à part si on est sur du très haut de gamme, très cuisiné, note Chantal de Lamotte. Cela peut s’expliquer par un problème d’offre, mais aussi de disponibilité du produit. Mais on voit que l’épicerie fi ne s’avance de plus en plus vers la restauration, et la jeune génération de chefs y est beaucoup plus sensible. Ils cherchent de nouveaux exhausteurs de goût et se posent alors la question de l’usage de l’huile et du vinaigre. » En outre, la premiumisation de la street-food et du snacking influence la manière d’utiliser cette gamme de produits. De plus en plus, l’assaisonnement est glissé à part pour être versé au dernier moment, sans altérer le goût du plat le temps du transport. Ainsi, Lesieur Professionnel se positionne sur ce segment et présente de nouvelles références en mignonnettes, sous sa marque Puget, dont une huile d’olive extra-vierge (20 cl) et une vinaigrette balsamique (20 cl).

Plus surprenant, la démarche entamée il y a quelques années par Perles de saveurs, propriété du groupe Jean Hénaff, démocratise la sphérification des sauces à base d’algues. Après le succès des perles de 4 mm, lancées il y a quelques années, la marque a pris le parti de se focaliser sur l’acide et l’acidulé pour la partie salée de sa nouvelle gamme de sphères (20 mm), établie à la fin de 2022. En parallèle d’une référence yuzu et poivre de timut, deux références vinaigrées : crème de balsamique brun et balsamique ambré et truffe (pots de 250 g, 30 sphères). « En cuisine, l’acidulé a remplacé l’acide depuis quelques années, notamment à travers les poké bowls, analyse de son côté le journaliste et auteur gastronomique Vincent Ferniot, qui présidera le concours d’innovations lors du salon Gourmet Sélection. Au détriment du vinaigre dont le goût n’appartient plus aux usages des moins de 25 ans. Mais on voit apparaître un travail plus pointu, sur des crus, sur des cépages qui permettent d’avoir une référence au terroir. Sur l’huile, on constate surtout un retour à l’artisanat. L’huile d’olive a ouvert le champ et fait de la place à des huiles de spécialité et à des nouveaux goûts d’huile. Mais c’est un parti pris, pas forcément très culturel en France. » Si les projecteurs ont tendance à être braqués vers les huiles de table, celles de fritures ne sont pas en reste du point de vue innovation. Par exemple, les marques Amphora et Risso ont respectivement sorti des produits en phase avec les nouvelles attentes de la restauration. Amphora garantit un approvisionnement maîtrisé pour son huile de friture bio restauration de tournesols et à haute teneur en acides oléiques (bidons de 7,5 litres). Un atout pour monter à haute température – autour de 180°C – tout en préservant la qualité de l’huile. Même promesse pour la Risso Chef Original, et son complexe de cinq huiles végétales (tournesol, tournesol oléique, maïs, colza et palme), désormais disponible en bidons de cinq litres.

Des ingrédients identitaires

La Vinaigrerie de Beaune (21) a choisi de faire du vinaigre un cercle vertueux. « Nous nous considérons comme des recycleurs. À travers la fabrication de notre vinaigre, nous faisons en sorte que la viticulture soit le moins impactant possible sur l’environnement. La réglementation encadre très bien la partie viticole de ce point de vue, mais il y a peu de dispositions concernant la partie oenologique et le traitement des sous-produits du vin, justifie Jean-Luc Maldant, directeur général de la marque. La distillation permet d’en valoriser une faible partie, mais c’est une démarche polluante. La vinaigrassion est de ce point de vue beaucoup plus intéressante car elle permet de valoriser une part importante des sous-produits. » Sa gamme décline des vinaigres de pinot noir, de chardonnay et même de vin jaune, pour certains infusés, avec la tradition locale de l’oeuf en meurette bourguignon en filigrane. « L’utilisation de l’huile et du vinaigre est très identitaire, rappelle Chantal de Lamotte, de Gourmet Sélection. Ils sont notamment à la base des sauces. C’est là que les produits de spécialités prennent tout leur sens. » Ainsi, la marque de condiments Kalios développe petit à petit sa gamme à l’attention des professionnels, avec comme leitmotiv le terroir et l’artisanat grecs. Après quatre cuvées d’huiles d’olive monovariétales, disponibles en bidons de 5 litres, mais aussi dans un nouveau format BIB de 2,5 litres, l’entreprise annonce une nouvelle huile infusée à l’aneth pour le début de l’été.

En attendant, elle complète sa série de vinaigres avec un balsamique blanc, attendu au début de mai. « Ce vinaigre est produit à partir de moût de raisin, issu de deux cépages traditionnels grecs, le moschofilero et le savatiano, qui sont cultivés dans le Péloponnèse, là où se trouve notre oliveraie », détaille Stéphanie Chantzios, directrice des ventes. Le vinaigre de raisin pur, vieilli un an en fût de chêne, est 100% naturel et préparé de façon artisanale. « Sa forte teneur en moût de raisin lui amène plus de rondeur, de fruité ce qui fait qu’il est moins porté sur l’acidité que d’autres balsamiques. Il y avait une attente de la part des chefs pour ce type de produits car il se prête aussi bien à la cuisine qu’à la pâtisserie », ajoute-t-elle. Ce vinaigre sera vendu d’abord en bouteilles de 25 cl, puis sera proposé en BIB de 2,5 litres à l’instar des autres vinaigres balsamiques. Des formats souples plébiscités pour leur prix, jusqu’à 30% inférieurs aux packagings en verre.

Les segments de spécialité

Selon une analyse publiée en novembre 2022 par Euromonitor International, les huiles dites de spécialité se présentent comme des opportunités de croissance. Notamment l’huile de pépins de raisin, de pépins de courges ou encore de sésame. Les grossistes restent cependant prudents sur ces produits de niche et n’en référencent généralement qu’une poignée. Les épiceries fines ou le sourcing en direct auprès des producteurs restent la meilleure option pour les restaurateurs qui souhaitent travailler avec ce type de produits, d’autant plus pour les vinaigres. « Ces produits sont de plus en plus plébiscités, c’est un marché qui présente des opportunités de développement significatives », note Chantal de Lamotte, rejointe en ce sens par le journaliste Vincent Ferniot. Il estime quant à lui que les vinaigres artisanaux « à l’acidité beaucoup plus douce » doivent reconquérir les palais trop souvent habitués à des vinaigres industriels trop vifs.

Ainsi, pour apporter du caractère au contenu de ses flacons, la Vinaigrerie de Beaune privilégie une méthode de fabrication dite dynamique. « Le vinaigre est à la croisée du vin et des spiritueux. On le complexifie en l’élevant de manière plus rapide. On préserve ainsi le goût fruité sans aller sur un goût d’acétate », détaille Jean-Luc Maldant. Après une première étape qui donne un vinaigre de récolte assez frais, celui-ci est vieilli en cuve puis en fût. « Nous récupérons d’anciens fûts de vins. Mais c’est aussi très intéressant pour nous d’utiliser ceux en bois neuf réalisés dans des chutes de la fabrication des tonneaux à vin. Le vinaigre absorbe davantage les essences », précise-t-il. Pour l’aromatisation des produits, là encore, le vinaigrier revalorise les pulpes de fruits, les drèches, le grué de cacao ou encore les follicules de café, qui viennent anoblir sa gamme. « Le grué de cacao convient bien pour une macération dans un pinot noir, par exemple », précise le directeur général.

Le vinaigre se présente aussi comme une opportunité pour les chefs qui souhaitent reconsidérer l’utilisation des exhausteurs de goût. « Au même titre qu’on revient vers les amers, les chefs s’intéressent de plus en plus à l’acide, souligne Jean-Luc Maldant qui planche actuellement sur un vinaigre de bière. Le vinaigre permet d’abaisser les doses de sucre, il arrive en support aromatique. On travaille de plus en plus avec des pâtissiers, sur des vinaigres plus fruités, pour déglacer des confitures par exemple. » Des produits pensés pour cet usage commencent donc à émerger. Ils sont parfois aromatisés, voire pensés pour la boisson. Le vinaigre flirte en effet de plus en plus avec l’univers du cocktail. L’entreprise Daregal, plus connue pour sa production d’herbes aromatiques surgelées, a fait ainsi un pas de côté en lançant le Cocktail Spark sous sa marque A l’olivier. Des mélanges prêts à l’emploi, composés de vinaigre de cidre et de 40% purées de fruits. Une illustration du potentiel du segment, aussi bien du point de vue créatif que d’une montée en gamme assumée.

PARTAGER