Du ballon ovale à la restauration

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Alors que la Coupe du monde de rugby touche à sa fin, certains joueurs s’apprêtent à raccrocher les crampons. Une nouvelle vie s’ouvre alors, synonyme de reconversion, qui rime bien souvent avec restauration, secteur privilégié par les rugbymen pour leur après-carrière.

Rugbymen tenant le ballon de rugby
Rugbymen tenant le ballon de rugby. Crédit Unsplash.

« Il est où David ? J’ai besoin de lui pour débloquer le pad ! », lance une serveuse de La Belloteka à Biarritz (64) à sa collègue. Quelques mètres en contrebas de la rue, sur la terrasse du bar Le Comptoir du foie gras, le fameux David apporte des verres à deux figures bien connues des amoureux de rugby : Pepito Elhorga et Imanol Harinordoquy. Le serveur d’un instant n’est pas non plus une tête inconnue du monde de l’ovalie, puisqu’il n’est autre que David Roumieu, talonneur aux 300 matchs en professionnel. Il est 19h30, l’ancien rugbyman quitte ses anciens collègues de terrain pour venir prendre place à son poste, aux côtés de ses nouveaux partenaires et employés avec qui il s’apprête à livrer, comme tous les soirs, une bataille acharnée : celle d’un coup de feu en restauration dans une des zones les plus touristiques de France.

Cela fait cinq ans que David Roumieu a mis de côté son maillot de rugby pour enfiler le tablier de restaurateur. Une reconversion en restauration qui était une évidence pour le joueur passé notamment par La Rochelle, Bayonne et le Stade toulousain. « J’ai toujours voulu avoir mon affaire et j’apprécie le monde de la restauration, raconte-t-il. Je suis un gourmand, j’aime la convivialité, je ne me voyais pas travailler dans les assurances ou autre. Après le Covid, je me suis rendu compte à quel point ce milieu était important. » Cette reconversion ne s’est tout de même dessinée que deux semaines avant le retrait des terrains. « Le brasseur partenaire de l’Aviron bayonnais m’a appelé pour me dire qu’un local était disponible près des Halles de Biarritz, j’ai sauté sur l’occasion », se souvient-il.

En plus de La Belloteka et d’une brasserie dans le centre commercial BAB2 à Anglet, il vient récemment de racheter le bar Le Comptoir du foie gras, également à Biarritz. Il n’est pas le seul à décider de troquer le ballon ovale pour les plateaux de service, le téléphone et le carnet de réservations. Comme lui, ils sont un certain nombre d’anciens rugbymen à avoir envisagé la restauration comme une opportunité d’après-carrière. Dans la cité biarrote, David Couzinet, ancienne gloire du Biarritz Olympique est à la tête du bar Etxola Bibi sur les hauteurs de la côte des Basques. Imanol Harinordoquy, troisième ligne aux 82 sélections en Bleu, qui a pris sa retraite en 2016, a quant à lui ouvert le bar Les Contrebandiers en 2014.

Un nom qu’il a franchisé notamment à Saint-Étienne (42) et à Pau. Du côté de Clermont-Ferrand (63), Aurélien Rougerie, ancien trois-quart du XV de France, a lancé la brasserie-pub HPark by Aurélien Rougerie. Jérôme Fillol, l’ancien demi de mêlée, s’est quant à lui associé au chef Paul Gouzien pour reprendre le restaurant La Belle Saison en 2018. Une bonne table bordelaise créée par un autre ancien sportif, footballeur cette fois, Christophe Dugarry.

Au rang des futurs retraités ayant passé le pas, Benoît Paillaugue, ancien coéquipier de Kélian Galletier à Montpellier, vient d’ouvrir Le BarRéau port de La Flotte (17), sur l’île de Ré. Le demi de mêlée, qui raccrochera les crampons à l’issue de la Coupe du monde, n’est cependant pas un novice du secteur. En 2018, il s’était associé au chef Romain Salomone pour lancer le restaurant Alter Ego dans la capitale héraultaise. De l’autre côté du pont de l’île de Ré, sur le continent, le pilier international Uini Atonio a racheté le restaurant Le Belvédère. Ce dernier a annoncé qu’il prendrait sa retraite à l’issue de la Coupe du monde, avec, peut-être, une médaille de champion du monde en guise de décoration pour son futur établissement.

Accompagnement des projets

L’après-carrière dans la restauration ne se fait cependant pas d’un claquement de doigts. La réflexion et la concrétisation d’un projet ne sont pas toujours aisées, bien que ces sportifs soient obligés de suivre un double cursus durant leurs années en « espoir ». « L’après-carrière, on commence surtout à y penser quand la trentaine approche, quand on commence à avoir les genoux qui grincent », plaisante Kélian Galletier. Comme David Roumieu, certains décident de se lancer tout de suite et apprennent sur le tas. « J’aime le management et je me suis bien entouré. J’apprends petit à petit et je me fais accompagner sur certains points comme la comptabilité », ajoute-t-il.

D’autres mettent plus de temps à définir leur projet et ont la possibilité de se faire accompagner pendant et après leur carrière, notamment par le syndicat des joueurs, Provale. Celui-ci s’est créé au début des années 2000, quand le rugby est devenu professionnel, pour représenter les joueurs devant les différentes institutions et commissions afin de faire valoir leurs droits et intérêts pendant et après leur carrière. Une institution qui s’est dotée, depuis quelques années, d’une partie formation ayant pour but de promouvoir la reconversion des joueurs. « On va accompagner les joueurs via un bilan de compétences pour faire émerger et structurer des projets de reconversion. On les aide à trouver les formations adéquates notamment grâce à nos partenariats avec des établissements d’enseignement supérieur », explique Pierre Drouet, responsable de la structure.

Pendant leur carrière, les joueurs peuvent, par exemple, se former au management et à la sommellerie grâce à un partenariat entre le syndicat et l’école de commerce Kedge. Sur les 340 joueurs qui ont été accompagnés par Provale l’année passée, Pierre Drouet évalue à 15 % le nombre de joueurs ayant fait le choix d’une reconversion dans la restauration. Un taux qu’il estime cependant bien plus élevé, car certains multiplient les projets d’après-carrière et la restauration n’est pas toujours leur activité principale. Il cite Julien Pierre, ancien seconde ligne internationale. Il s’est associé avec son coéquipier Julien Bonnaire et le chef Samuel Suissa pour établir le groupe Colette, comprenant six établissements. Une activité qui s’inscrit en parallèle de la création du label Fair Play For Planet, visant à promouvoir les pratiques durables dans le sport.

Connivence entre les deux mondes

Ce fort attrait pour la reconversion en restauration s’explique notamment par une forme de connivence entre ces deux mondes. « Un restaurant se rapproche plus de ce qu’on a vécu dans le rugby. C’est un sport qui a un côté bon vivant, un côté terroir », souligne celui qui affiche à sa carte son plat phare, « La Roume » (son surnom pendant sa carrière), une côte de bœuf de 1 kg cuite à la braise. « Je ne me voyais pas faire des sushis ! Partager un morceau de viande entre copains, c’est important et ça n’a pas de prix », ajoute l’ancien première ligne. Un côté territoire-viandard dans lequel s’est aussi engouffré Kélian Galletier, troisième ligne de l’Usap aux six sélections en équipe de France. Ce dernier a fondé Chez Bébelle en 2019, une enseigne présente dans les Halles du Lez à Montpellier, avec son cousin, Guillaume Galletier, joueur à Brive.

Le concept, qui s’inspire de l’établissement éponyme à Narbonne tenu par un ancien rugbyman narbonnais, est simple : le comptoir fait face à une boucherie. Quand un client commande une pièce de viande, celle-ci est annoncée au haut-parleur. Les employés de la boucherie lancent la pièce à travers l’allée, tels des talonneurs au rugby effectuant un lancer en touche, directement au cuisinier qui s’empresse de la cuire. « On a cette chance au rugby de ne pas être au gramme près comme certains sportifs, sourit-il. On a un rapport avec la nourriture qui est réel, on aime bien manger, boire et partager ces moments. C’est fondamental dans la cohésion d’un groupe. Les rugbymen sont des gourmets, on aime la restauration. » Une aventure qui vient cependant de prendre fin due à « une période complexe de Covid puis d’inflation ».

Le responsable de Provale formation n’est pas non plus surpris de voir tant de joueurs choisir la restauration, secteur qui leur permet de mettre à profit les « soft skills » développés durant leur carrière : « Ils ont cette capacité à travailler en groupe et retrouvent l’esprit d’entraide, ce besoin de ne pas lâcher et le challenge d’un coup de feu. » Des propos partagés par Kélian Galletier, pour qui les opportunités qu’offre la restauration aux anciens rugbymen sont plus nombreuses que dans d’autres secteurs : « Investir dans un restaurant, devenir gérant, manager, permet de mettre à profit dans le cadre de son après-carrière, la médiatisation que le rugby a aujourd’hui et l’image que les gens ont de ce sport. Une image de convivialité, de partage et d’échange, mais aussi celle que nous, on a développée en tant que joueur. Cela peut aider à développer un business. »

Le troisième ligne a créé Factory Club, un réseau qui met en lien des sportifs et des entrepreneurs dans un but de collaboration. « Un sportif de haut niveau va amener du réseau, de l’image, de la notoriété. Il est un facilitateur », énumère-t-il, encourageant les joueurs à investir et à s’impliquer dans des projets. « On a des compétences, des qualités qu’on ne soupçonne pas des fois en tant que sportifs. »

Pour Paul Drouet, « Il y a autant de situations et de projets que de joueurs. Certains commencent à y penser qu’une fois leur retraite prise alors que d’autres vont l’anticiper très tôt », explique-t-il. Une anticipation à l’image de Romain Ntamack, pierre angulaire du XV de France (qui a dû déclarer forfait pour la Coupe du monde), qui a investi dans le projet Maison Good, un restaurant qui a ouvert ses portes en décembre 2021 à Toulouse. À l’époque, le demi d’ouverture n’était âgé que de 22 ans.

Le choix de la franchise

Benoît Cabello, ancien talonneur passé par Clermont-Ferrand et Perpignan, fait partie de ceux qui n’avaient pas vraiment anticipé. « J’ai pensé assez tardivement à l’après-carrière. Je n’étais pas sûr de ce que je voulais faire après le rugby », raconte-t-il. Le joueur a été accompagné par Provale : « Ils m’ont aidé, quand j’étais dans le doute, à trouver un intérêt post-carrière. » Le champion de France 2010 a finalement fait le choix de la restauration. « J’ai basculé dans la restauration, car mes parents avaient un restaurant saisonnier à Argelès-sur-Mer, j’ai toujours baigné là-dedans donc logiquement j’ai voulu ouvrir mon propre établissement », relate-t-il. En 2019, il ouvre une franchise Au Bureau à Cabestany (66), associé à sa sœur, son beau-frère et un ami.

« Je connaissais le Au Bureau de Clermont-Ferrand, on y allait souvent manger avec l’équipe. Je me suis intéressé à cette franchise, il n’y en avait pas sur Perpignan. On a déposé un dossier et le profil d’ancien de joueur de rugby professionnel leur a plu. Le côté franchise m’a rassuré. Le groupe Bertrand est un groupe solide. Cela permet d’avoir déjà des bases pour se lancer et le travail est simplifié », assure-t-il.

Depuis, les choses sont allées très vite pour lui. Il se retrouve désormais à la tête également d’un Hippopotamus et d’un Léon à Perpignan, d’un second Au Bureau à Narbonne et vient d’en ouvrir un troisième du côté de Carcassonne. « À Perpignan nous sommes une équipe de 27, au quotidien c’est du management. Mon bagage de rugbyman m’apporte beaucoup, comme la rigueur, la communication et l’esprit d’équipe, ce sont des valeurs importantes et c’est ce qui va faire que les services se passent bien. C’est une belle aventure. Je ne regrette pas mon choix même si c’est dur au quotidien », commente-t-il. Benoît Cabello incite même tous les futurs retraités à faire ce choix.

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