À l’Hôtel de Crillon, les boissons rythment l’accord

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Au restaurant L’Écrin*, au sein de l’Hôtel de Crillon, le repas est entièrement tourné vers la boisson. Le duo Xavier Thuizat et Boris Campanella a mis au point une mécanique de précision pour que les accords soient dictés par ce qui se trouve dans le verre des convives et non par l’assiette. Une expérience déroutante, mais bien accompagnée.

Xavier Thuizat, chef sommelier (à gauche), et le chef Boris Campanella
Xavier Thuizat, chef sommelier à l'Hôtel de Crillon(à gauche), et le chef Boris Campanella. Crédits : Laura Duret / Au Coeur du CHR.

Pas de couverts, pas de serviettes, encore moins d’assiette de présentation. À l’Écrin*, cocon gastronomique de l’Hôtel de Crillon (Paris, 8e), c’est un verre de champagne qui accueille les convives. Le message est clair, ici, le liquide est roi. « Je me suis rendu compte que 50 % de ma carte n’était pas valorisée dans une configuration classique d’accord mets-vins, explique Xavier Thuizat, chef sommelier du palace qui constitue, depuis 17 ans, une cave d’exception de 2.300 références. En renversant les choses, on peut faire un repas au champagne, au porto, au saké, ça ouvre de nouvelles possibilités. »

Il y a tout juste un an, il a mis au point avec le chef Boris Campanella un menu qui rend hommage aux boissons. Le concept ravira évidemment les puristes, qu’ils soient amateurs de grands vins de bordeaux, de cognac ou même de saké, l’un des nombreux atouts dans la manche du sommelier. Et décline aussi ce qui se fait de mieux en soft entre infusions, sirops, cafés froids et fermentations.

Concernant les mets, c’est l’inconnu. L’histoire va s’écrire dans une apparente improvisation, une fois la boisson choisie. Aucun plat n’est construit à l’avance. La carte liste simplement les ingrédients de saison potentiellement travaillés. La suite, c’est le temps d’un coup de fil. Le duo a mis en place un code pour mettre au point chacun des plats. « On se parle par talkie-walkie et j’annote toutes les commandes pour que le chef adapte la recette : concentrer, poivrer, etc., explique Xavier Thuizat. Un jour, il y avait un
double accord entre le chardonnay du Jura et le saké. Pour cette raison, on a ajouté du citron confit car l’acidité fait le lien. On marque toute la composition sur les bons de commande pour que l’en-semble du service puisse répondre à d’éventuelles questions. C’est une communication constante. »

Une mise en place au cordeau

Ce tour de magie cache évidemment un truc. « Les sauces minute, ça n’existe pas, rassure Boris Campanella. Nos mises en place comprennent de grandes bases et, notamment, des sauces que nous avons travaillées ensemble, suivant les différents profils aromatiques des vins. Cela nous permet d’établir des trames [une douzaine en tout, NDLR] et d’imaginer comment twister, modifier, fumer, glacer, colorer, laquer… en fonction du choix du vin. La garniture n’est pas figée, la cuis-son non plus. » Cette cuisine de l’immédiateté correspond bien au style de Boris Campanella, adepte des assiettes lisibles avec peu d’ingrédients, avec en filigrane des agrumes, son ADN. Le service du vin est un voyage, pas limité à des appellations ronflantes, on positionne véritablement la place du vigneron dans l’expérience gastronomique. « L’explicatif est plutôt sur le “pourquoi” de l’accord, au-delà de celui sur la création du plat, précise le sommelier.

Je me suis rendu compte que 50 % de ma carte n’était pas valorisée dans une configuration classique d’accord mets-vins. 
Xavier Thuizat, chef sommelier

La cuisine du chef est au service des vignerons, comme une photo des produits du terroir presque bruts, pour avoir la vérité du goût. Il peut rendre hommage à un bourgogne en assouplissant une sauce, parce qu’il sait que la structure tanique de ces vins est très délicate. À l’inverse, la concentrer pour un syrah ou un cabernet. On a une base sur le chardonnay par exemple. Il n’y a pas de recettes spécifiques pour un pouligny, un meursault ou un chassagne. Par contre, la sauce sera plus fine sur le pouligny, plus dense sur le meursault, surtout s’il est plus vieux. » Les variations se jouent sur les condiments, les assaisonnements, les réductions et les cuissons. « Il y a une part de risque et, lors de certains services, on doit faire quelques pirouettes pour coller aux choix des clients, s’amuse le chef. On sort de notre zone de confort, sans figer notre approche, et on découvre nous aussi de nouvelles choses. » q

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