Alix Bellegarde et Antonin Pons-Braley : le locavorisme vécu par un anthropologue

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Un anthropologue rouergat et sa compagne, cheffe de cuisine, ont posé leur sac dans le village de Bezonnes après le confinement. Ils ont choisi de créer un restaurant locavore, dans une ferme vieille mille ans. Un an après l’ouverture, un succès international est déjà au rendez-vous.

Alix Bellegarde et Antonin Pons-Braley et leurs deux enfants.
Alix Bellegarde et Antonin Pons-Braley et leurs deux enfants. Crédit : Jean-Michel Déhais.

Depuis près d’un an, les habitants de Bezonnes, hameau de Rodelle, ont la surprise de voir se poser des hélicoptères dans leur modeste village. Des grands de ce monde, dont une vedette hollywoodienne, auraient été aperçus dans le village. Ils sont attirés par La Table 42, ouverte au mois d’août 2022 par la famille Pons-Bellegarde. La genèse de cette création est surprenante. Antonin Pons-Braley, 34 ans, est un personnage hors normes. Ce brillant jeune homme, originaire de l’Aveyron, a de nombreuses cordes à son arc. Il est à la fois photographe, géographe et anthropologue. Il a sillonné le monde et occupe un poste de chercheur associé à l’Université de Montréal (Canada), au sein du « laboratoire des imaginaires du nord, du froid et de l’Arctique ». Lorsqu’il a rencontré sa compagne Alix Bellegarde, venue du monde de la danse et de l’art, le couple a continué les voyages de recherche dans des contrées où le thermomètre passe rarement au-dessus de zéro. Ainsi, bloqués par le confinement durant près de 18 mois aux Îles Féroé, ils ont vécu un instant suspendu, ponctué par la naissance du deuxième enfant de cette famille recomposée. « Nous souhations que notre fils vienne dans le berceau familial à Bezonnes, raconte Antonin. Nous avons visité la ferme millénaire abandonnée, dont avait hérité ma mère, et nous avons décidé de la faire revivre ». C’est ainsi qu’est né un projet de restaurant, d’épicerie, de librairie et de webzine. En quelques mois, d’adroits artisans – dont notamment l’ébéniste Flavien Desray – ont magnifiquement restauré cette ancienne demeure. Toute l’authenticité des murs, du mobilier et des boiseries a refait surface. Le projet consacré à la restauration s’est rapidement imposé. Alix a travaillé par le passé comme cheffe à domicile, avant de diriger les cuisines du restaurant Les Caves Maillol, à Perpignan. Antonin a, pour sa part, décidé de poursuivre son activité de chercheur anthropologue en imaginant la mise en place d’un restaurant strictement locavore, avant d’étudier ce que cela implique. C’est ainsi qu’est née La Table 42. Ce chiffre indique la distance, en kilomètres, qu’un homme peut parcourir en une journée. C’est à peu de chose près la distance du marathon. Les deux néorestaurateurs se sont ainsi imposé la contrainte de ne vendre, dans leur restaurant et leur épicerie, aucun ingrédient issu d’un rayon de plus de 42 km de l’établissement.

Un laboratoire du locavore

Dans ce « laboratoire du locavorisme », l’exigence imposée est stricte. Elle concerne aussi les épices, le sel, le sucre… Le végétal environnant, frais ou séché, vient se substituer aux ingrédients hors d’accès. Le couple s’engage ainsi dans de nouveaux champs de créativité que peu de cuisiniers s’aventurent à explorer. Le rythme de saison accroît cette difficulté. « Il faut réinventer sans cesse ce périmètre de 42 km », insiste Antonin. Alix a ainsi créé le premier garum de truite d’Aubrac, et fabrique son propre fromage et sa charcuterie. Elle a aussi imaginé une recette de carbonara avec du guanciale (gorge de porc). Rien n’est jeté dans le restaurant. Les épluchures sont séchées puis utilisées dans diverses préparations. Un travail expérimental est également effectué autour des fermentations.

Il faut réinventer sans cesse ce périmètre de 42 km.
Antonin Pons-Braley Antonin Pons-Braley, propriétaires de La Table 42, à Rodelle (Aveyron)

La structure dispose d’une boulangerie autonome. La maraîchère, Fabienne Desray, entretient deux potagers destinés à cette table. La sommelière, Juliette Mireté, s’astreint à cette discipline en jouant sur les vins locaux, comme ceux de Nicolas Carmarans. Elle veille aussi sur la cave où le restaurant commence à fabriquer son propre vin, à partir de quelques ceps de vigne du village appartenant à Antonin. La démarche de la famille Pons-Bellegarde s’exerce sans ostentation ni militantisme. L’ambiance s’affirme épicurienne. En outre, Alix et Antonin n’ont pas souhaité réserver l’expérience proposée par ce restaurant – d’une douzaine de places assises – aux seuls clients fortunés. Au déjeuner, le menu est à 48 €, tandis qu’au dîner, l’addition monte à 70 €, avec des accords mets vins. « Le midi, la sommelière choisit les vins et la cheffe compose. Le soir, c’est le contraire », explique Antonin. Cette accessibilité explique que 60 % de la clientèle habite à moins de trois heures de route. Les autres viennent de beaucoup plus loin, de Paris et du monde entier. Si le restaurant a un excellent bilan carbone, on ne peut pas en dire autant de ses clients. Mais le but n’est pas là. Antonin Pons-Braley poursuit une recherche d’anthropologie autour de cette expérience du locavorisme, et souhaite explorer toutes les implications de sa démarche. Il cite Victor Hugo, qui assurait qu’à partir d’un grain de sable, on peut comprendre l’univers. « Notre grain de sable à nous, poursuit-il, c’est ce rayon de 42 km ». L’expérience pourrait même aller plus loin. Puisque le couple nourrit le projet d’emmener son équipe sur les Îles Féroé, pour y créer un restaurant éphémère, avec les mêmes contraintes d’approvisionnement local.

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