Assurances : la révolte des restaurateurs

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« Assurez ! Ou on va tous y rester. » C’est avec ce cri du cœur que de nombreux acteurs du CHR interpellent les assurances depuis le début de la crise. Copieusement remontés par l’absence de solidarité des assureurs, les restaurateurs exigent la mise en place d’un « état de catastrophe naturelle sanitaire » (sans valeur juridique aujourd’hui), qui contraindrait le milieu de l’assurance à éponger les pertes liées à l’absence d’exploitation. Les assureurs ne l’entendent pas de cette oreille.

Le chef Stéphane Jégo, le restaurateur Stéphane Manigold ou encore le collectif Restoensemble  : nombreux sont les acteurs du CHR à demander, via des pétitions et des actions sur les réseaux sociaux, que les assureurs mettent la main au portefeuille. Avec le hashtag #chefenperil notamment, on peut voir çà et là, sur Instagram et Twitter, des chefs ou des restaurateurs, et même des salariés, s’afficher avec des pancartes sur lesquelles il est inscrit  : « Assurez  ! Ou on va tous y rester. » Un cri du cœur pour que les restaurants ne subissent pas une hécatombe et parviennent à rouvrir leurs portes après la crise. L’épidémie de coronavirus a, en effet, poussé le Gouvernement à fermer tous les commerces non essentiels à la vie quotidienne, engendrant des pertes énormes pour les restaurateurs et cafetiers. Ces derniers sont nombreux à avoir sollicité leurs assurances pour obtenir une indemnisation, mais « le risque d’épidémie est exclu dans la quasi-totalité des contrats couvrant les entreprises ». Si le Gouvernement a annoncé 45 milliards d’euros d’aides aux entreprises qui permettront de financer le chômage partiel, les charges sociales ou les prêts bancaires, les professionnels exigent que les assurances participent à l’effort national pour compenser leurs pertes d’exploitation. « C’est dramatique pour les petites entreprises. Moi j’ai la chance d’avoir un peu de trésorerie pour tenir un ou deux mois, et d’avoir un mari qui travaille, parce que là je ne vais pas rentrer de salaire. Mais honnêtement je n’attendais rien de mon assurance, je la prends parce que c’est obligatoire », témoigne ainsi une restauratrice parisienne.


Pourtant, Me Philippe Meilhac, avocat parisien qui planche depuis de nombreuses années sur différents dossiers opposant des exploitants à la mairie de Paris, estime que dans certains cas, les assurances pourraient plier  : « Différents patrons d’établissements m’ont soumis la problématique de la perte d’exploitation, pour certains il y a une possibilité de faire quelque chose eu égard à la fermeture qui a été décrétée par le Gouvernement. Il y a une fermeture imposée, on peut donc jouer sur ce paramètre vis-à-vis des compagnies d’assurances. Il faut que chacun s’intéresse de près à son contrat d’assurance  ; les situations individuelles pourront faire, à terme, bouger les lignes sur le dossier du coronavirus. Beaucoup de polices d’assurance prévoient une indemnisation en cas de catastrophes naturelles, il y a peut-être un espoir qu’un arrêté gouvernemental assimile la catastrophe sanitaire à la catastrophe naturelle. » 

Le chef Stéphane Jégo a lancé une pétition, afin d’obtenir la contribution des assurances.

Le chef Stéphane Jégo a lancé une pétition, afin d’obtenir la contribution des assurances. © NBOYER


UN ENGAGEMENT TIMIDE

Le 23 mars dernier, les assureurs se sont engagés à soutenir les commerçants dont l’activité est impactée par le coronavirus. La Fédération française de l’assurance (qui représente 280 sociétés) a ainsi annoncé que le secteur allait s’investir et contribuer à hauteur de 200 millions d’euros au fonds de solidarité mis en place par le Gouvernement. La Fédération a aussi expliqué qu’elle allait différer le paiement des loyers des TPE et PME dont l’activité est interrompue. Les assureurs se sont, par ailleurs, engagés à maintenir les droits des entreprises qui ne seraient plus en mesure d’honorer leurs cotisations. Mais, face au coronavirus, les restaurateurs ne peuvent pas vraiment mettre à contribution leur assurance, pour la perte d’exploitation, comme lors d’une catastrophe naturelle. « Les contrats d’assurance n’avaient pas prévu ce type d’aléa », a déclaré le 25 mars, au Sénat, le Premier ministre Édouard Philippe. Les assurances, en lien avec le Gouvernement, réfléchiraient donc à la création d’un nouveau type de couverture lié à ce type de situation.


Pour Roland Héguy, président confédéral de l’Umih, « l’état d’urgence sanitaire a été déclaré par le Gouvernement, mais il est insuffisant pour impliquer les assurances. Il faut faire pression sur elles pour qu’elles prennent leur part de responsabilité en remboursant une partie de pertes d’exploitation. Si elles ne font pas ce geste, des milliers de TPE disparaîtront. Nous ne pouvons pas nous contenter des 200 millions d’euros qu’elle ont versé dans le fonds de solidarité et du milliard d’euros versés dans la caisse des indemnités journalières (fonds de solidarité) mise en place par le Gouvernement, qui représente 45 milliards d’euros. À situation exceptionnelle, effort exceptionnel. Tout le monde fait des efforts, mais pas les assurances. » Même son de cloche chez Didier Chenet, président du GNI. « La position des assurances nous indigne et notamment leur refus d’assumer toute responsabilité, tant sur les pertes d’exploitation que de la marchandise. Je ne comprends pas pourquoi l’État ne décrète pas un cas naturel de force majeure. Le versement des 200 millions d’euros au fonds de solidarité, mis en place par le Gouvernement en faveur des très petites entreprises (TPE) et des indépendants, n’est pas à la hauteur de l’enjeu », martèle-t-il.


CATASTROPHE NATURELLE SANITAIRE

Jean-Virgile Crance, qui préside le GNC, plaide comme beaucoup pour l’instauration d’un état de catastrophe naturelle sanitaire. En attendant, il estime que « le comportement des assurances n’est pas admissible ». Il demande donc que « cette catastrophe sanitaire soit transformée en catastrophe naturelle pour contraindre les assureurs à réagir ». Et d’ajouter  : « L’État peut utiliser la menace de la nationalisation. Tout le monde doit se mettre autour d’une table. » De son côté, le chef Stéphane Jégo (restaurant L’Ami Jean), à l’origine de la pétition « Sauvons nos restaurants et producteurs », fulmine  : « On nous dit qu’on va réfléchir à de nouveaux contrats pour l’après. C’est-à-dire que pour la prochaine pandémie, on aura peut-être quelque chose. Mais en attendant on fait quoi  ? On ferme  ! », Stéphane Jégo essuie, chaque jour, des pertes avoisinant les 9 000 €. Sa pétition, qui dépasse les 100  000 signatures, enjoint le Gouvernement à décréter « l’état de catastrophe naturelle sanitaire »  ; un terme qui n’a cependant, aujourd’hui, pas de valeur juridique.


Face à la détresse des restaurateurs et des commerçants, les assureurs ne semblent pas disposer à couvrir massivement les pertes d’exploitation. Dans un entretien accordé à L’Argus de l’assurance, Guillaume Borie, directeur général délégué d’Axa France estime que « la situation que nous vivons est exceptionnelle et unique, comme le démontre l’ampleur des plans de soutien du Gouvernement. Cela suffit à expliquer que ce risque n’est pas assurable. Nous parlons de dizaines de milliards d’euros d’indemnisation potentielle sur le seul marché français. L’assurance repose sur la mutualisation et l’aléa. Les deux ont disparu avec le coronavirus. » Ainsi, Axa France a bien l’intention de camper sur ses positions  : « Nous ne reviendrons pas sur l’exclusion de la perte d’exploitation sans dommages dans la situation actuelle. » 

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