Les restaurants végétaux au menu

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Avec une forte augmentation du marché végétal en France depuis plusieurs années, l’interdiction d’appeler des produits sans viande « steak » ou « nuggets » a été prononcée par le gouvernement en février. Depuis, le Conseil d’État a décidé de suspendre le décret. Un produit végétal pourra donc continuer à porter le nom de « steak » ou « saucisse ». Et pour cause, la cuisine végétale garde de beaux jours devant elle, même en campagne où règnent les traditions.

restaurants végétaux
Plat Éphéméride. Crédit DR.

Plus de 50% des Français souhaitent augmenter leur consommation de produits végétaux dans les années à venir, selon l’Ifop. Le mouvement végétalien, ou vegan, qui correspond au régime alimentaire excluant tous les produits d’origine animale (viande, poisson, œufs, produits laitiers, miel, etc.) gagne du terrain ces dernières années en France, bien que la part de la population française végétalienne reste dérisoire. Selon Danone, le marché des produits végétaliens en France a triplé au cours des sept dernières années et devrait encore augmenter de 50% d’ici à 2025.

Pourtant, seulement 0,3% de la population française est végétalienne, soit 200.000 Français en moyenne. Prise de conscience du bien-être animal, scandales alimentaires, remise en cause des bienfaits du lait et de la viande, recherche d’une alimentation saine ou encore par souci écologique sont autant de raisons qui ont poussé les Français à se détourner des produits carnés au profit des protéines végétales. L’institut Xerfi Precepta tablait sur un pic de ventes des alternatives végétales à 400M€ en 2022, puis une baisse à 394M€ pour 2025.

Nouveau décret

« Steaks végé », « nuggets veggie », « saucisses sans viande », « lardons vegan »… Ces appellations avaient été interdites le 27 février 2024. En effet, le gouvernement avait publié un nouveau décret au Journal officiel interdisant l’utilisation de dénominations liées aux produits d’origine animale pour ceux qui ne contiennent pas de viande. Une demande de longue date du lobby agricole et animal, estimant que ces termes pouvaient créer de la confusion chez le consommateur. « C’était une demande de nos éléveurs », avait affirmé sur X (ex-Twitter) le Premier ministre Gabriel Attal, à la suite des revendications des agriculteurs.

Mais cette mesure n’avait pas fait l’unanimité. D’abord, parce qu’elle ne concernait que les entreprises françaises, ce qui ne pénaliserait que les fabricants de l’Hexagone qui travaillent le plus souvent avec des produits agricoles français. Ensuite, car une mesure similaire avait déjà été prise en 2022, suspendue par le Conseil d’État. Happyvore, usine française dédiée au simili-carné implantée dans le Loiret, avait d’ailleurs tourné en dérision ce décret en créant un visuel de leurs saucisses végétales intitulé : « 4 tubes végétaux mi-longs mi-ronds aux herbes de Provence ». Face à cette résistance, le juge des référés du Conseil d’État a de nouveau décidé de suspendre ce nouveau décret qui devait entrer en vigueur le 1er mai 2024. Un produit végétal va donc pouvoir continuer à s’appeler « steak » ou « saucisse ».

Végétal ou végan ?

Dans le petit village basque de Sare (Pyrénées-Atlantiques), parmi les restaurants traditionnels où le cochon, l’axoa de veau ou encore l’entrecôte sont à l’honneur, L’Éphéméride a ouvert il y a près de deux ans. Cet établissement propose chaque midi des menus sans viande. Dans cette région où règnent de fortes traditions gastronomiques carnées, le restaurant de Marion Boidin a bien été accueilli. « Je ne me suis jamais posé la question comme chacun propose une cuisine à son image », conf e la cheffe basque, qui met un point d’honneur à définir sa cuisine de « végétale » et « non vegan », « un nouveau panel de saveurs à découvrir », souligne-t-elle.

L’école végétale Vert la table propose des formations. Elle a pour ambition d’enseigner la création d’une assiette nutritionnellement intéressante, notamment sur les protéines végétales. Crédit Charlotte Arnal.
Atelier Vert la table
Atelier Vert la table. Crédit Julienne Hugy.

De fait, Marion Boidin ne se sent absolument pas concernée par ce nouveau décret. « Ce ne sont pas des termes que j’utilise car je ne cherche pas à reproduire de la viande, affirme-t-elle. Je propose une cuisine très créative, colorée, en fonction des saisons et si on écoute la nature, elle nous offre ce dont notre corps a besoin à la bonne période, par exemple l’été on a besoin de s’hydrater, on a des légumes gorgés d’eau comme les tomates et les concombres, à l’arrivée du froid on a les courges réconfortantes, ce n’est pas plus compliqué. » Marion Boidin a l’ambition de partager et d’éveiller les consciences à son niveau à travers ce projet.

Faire découvrir un univers

Si certains clients sont parfois surpris de trouver un restaurant végétal en pleine campagne basque, la restauratrice se fait un plaisir de répondre aux questions que cela suscite. « La cuisine est ouverte sur la salle, je fais découvrir des saveurs parfois méconnues et cela suscite de l’intérêt, même des débats entre les convives, s’amuse-t-elle. Une fois, un petit garçon a demandé ce qu’était le sarrasin et ses parents lui ont répondu que c’était les galettes bretonnes, alors je me suis permis de leur apporter des précisions et j’ai pu faire découvrir un superaliment à toute la famille, c’est comme ça que les mentalités évolueront. »

De son côté, Florence Lappen, directrice de l’école végétale Vert la table, estime à seulement 1 à 2% de vegan et 5% de végétariens en France. Elle regrette pourtant que la viande et le poisson restent les seuls à l’honneur dans les assiettes. « La gastronomie française est en train de s’appauvrir, on tend vers une uniformisation des repas, dans les brasseries on ne trouve plus que des burgers, des steaks frites ou du saumon avec du riz », déplore-t-elle.

Apport nutritionnel intéressant

Trouver une alternative végétarienne ou vegan dans un restaurant traditionnel est parfois ardu. « Si une personne a un régime alimentaire particulier sur un groupe d’amis, le restaurant va être choisi en fonction d’elle. Si on a envie de manger autre chose que de la viande, on se retrouve avec des accompagnements comme des frites et de la salade ou de la ratatouille en plein hiver. Les restaurateurs font une grossière erreur, fustige Florence Lappen. Ils sont perdants à plein de niveaux, sur le chiffre d’affaires comme pour leur image. »

Celle-ci rappelle qu’il y a non seulement la question du végétarisme, mais aussi les intolérances alimentaires. « L’alimentation c’est la santé, c’est dommage qu’il n’y ait pas d’alternatives végétales rassasiantes parce qu’avec des frites et de la salade, on a encore faim. Même nutritionnellement parlant un steak frites n’amène pas grand-chose, d’un point de vue gustatif et nutritionnel. Même pour les restaurateurs, cuire un morceau de viande sorti de chez le boucher, ce n’est pas très créatif », lance la directrice de l’école qui ne mâche pas ses mots.

Plat réalisé à Vert la table
Plat réalisé à Vert la table. Crédit Julienne Hugy.
Florence Lappen
Florence Lappen, directrice de l’école végétale Vert la table. Crédit Franck Telin.

Dans son école végétale, Florence Lappen reçoit des restaurateurs ou des autodidactes. « Souvent, ils ont déjà une ouverture au végétal ou alors ce sont des restaurateurs qui veulent proposer une alternative végétarienne qualitative à la carte et qui n’y arrivent pas. » Son but est de leur enseigner la création d’une assiette nutritionnellement intéressante, notamment sur les protéines végétales. « Mettre une aubergine au milieu de l’assiette, ça ne nourrit pas, plaisante-t-elle. Souvent, il y a la peur de manquer quand on mange végétarien mais si une assiette est bien composée, elle contient tout ce qu’il faut. »

Une assiette végétale complète

Pour Florence Lappen, une assiette végétale complète doit contenir des céréales, des légumineuses, des légumes crus et cuits, des bonnes huiles, des graines et surtout des aromates et des épices pour donner du goût. « Avec très peu de choses, on peut donner beaucoup de goût. La cuisine végétale se base là-dessus, assure-t-elle. Réussir à donner du goût à une assiette vegan est un vrai pari car la base de la cuisine française et de l’enseignement en école de cuisine se base sur la cuisson des viandes et poissons, les jus de viande, etc. ».

Par ailleurs, Claire Vallée s’est distinguée comme étant la première cheffe vegan étoilée. Si son restaurant ONA à Arès (Gironde) a fermé, il n’en reste pas moins le premier. Aujourd’hui, cinq établissements distingués par le Guide Michelin – tous en dehors de l’Hexagone – proposent une cuisine uniquement végétarienne ou végétalienne. Aujourd’hui, 133 restaurants distingués d’une, deux, ou trois étoiles proposent des menus satisfaisant les exigences des végétariens avec, au moins un menu végé.

Apprentissage de la cuisine végétale

Florence Lappen propose une formation de trois semaines pour donner des clés à l’alimentation végétale. En outre, elle a établi des formations à distance plus courtes, avec des capsules d’une heure à moindre coût et des outils rapides pour créer des assiettes végétales. « Je vais essayer de prendre des éléments déjà présents dans la cuisine pour ne pas tout refaire, par exemple, retirer le beurre d’un plat et le remplacer par de l’huile d’olive, réfléchir à ce qui est déjà végétal dans notre cuisine qu’on peut ajouter ou supprimer sans refaire toute une préparation, c’est assez simple. Les restaurateurs se font tout un monde de la complexité de cette cuisine, alors que c’est très accessible. »

De plus en plus d’écoles généralistes disposent, elles aussi, de formations à la cuisine vegan comme l’école Ducasse, le Cordon Bleu ou encore l’Atelier des chefs. Même le CAP cuisine s’est vu doté d’une unité sur la cuisine végétale.