Conceptualiser son restaurant : une nécessaire évolution

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Lancer de nouveaux concepts et poursuivre la digitalisation du secteur CHR sont les deux piliers sur lesquels les restaurateurs doivent s’appuyer pour dynamiser leur affaire et retrouver leurs chiffres d’avant-crise.

La clientèle est désormais à la recherche d'une véritable expérience lorsqu'elle se déplace au restaurant. Image d'illustration.
La clientèle est désormais à la recherche d'une véritable expérience lorsqu'elle se déplace au restaurant. Image d'illustration.

Après plus de deux ans à tenter de faire revenir le consommateur au restaurant, « le client est là », déclare Yves Sassi, président du club de la Franchise, un espace de rencontres entre franchiseurs et entreprises. Mais en deux années, et après une crise sanitaire qui a fortement impacté le secteur, les attentes des consommateurs ont changé et de nouveaux modèles ont émergé. D’après Yves Sassi, l’objectif de 2022 est avant tout de miser sur la conceptualisation : « Il faut développer les concepts, des activités fluides où l’on rentre pour déjeuner, mais où on peut aussi faire du coworking, cela devient un lieu de vie et c’est une évolution qui va se poursuivre dans d’autres domaines d’activité. »

De son côté, Philippe Lehartel, spécialiste de développement de marques de restauration rapide, pense que « la restauration classique s’est laissée porter par les subventions de l’État et n’a pas suffisamment entrepris de grandes transformations pour s’adapter à la livraison et au click and collect, contrairement à la restauration rapide ».

Une expérience en trois étapes

Selon Bernard Boutboul, du cabinet de conseil Gira, les consommateurs ne veulent plus aller dans un restaurant si cela n’a pas de sens : « Aujourd’hui, une assiette blanche avec entrecôte et frites, les clients n’en veulent plus puisqu’ils peuvent le faire chez eux. Il faut leur faire vivre une expérience. » Celle-ci doit avoir lieu à trois niveaux : dans l’assiette, dans le décor et dans le contact avec le client. Mais attention, « il faut une cohérence entre les trois éléments de ce triptyque », alerte le spécialiste.

Pour faire vivre une nouvelle expérience à travers l’assiette, il indique que le restaurateur peut décider « de faire manger à même la table, dans des bocaux, dans des cocottes ou même dans des contenants comestibles, comme l’a imaginé le chef Jean Imbert. Il y a aussi les bowls qui nous viennent d’Hawaï, qui proposent une expérience gustative avec du chaud et du froid ». Le tout avec une présentation esthétiquement plaisante, parfois même complètement décalée, puisque comme l’affirme Yves Sassi, « tout doit maintenant être  »instagrammable » ». Pour le décor, il faut miser sur un lieu impressionnant, « qui en met plein la vue » , poursuit Bernard Boutboul. Pour ce qui relève du contact avec le client, il cite l’exemple du restaurant Ora (Paris, 10e ), où les serveurs « font un véritable spectacle en lançant les salières et poivrières, en cohérence avec l’expérience que l’établissement propose » .

L’exemple Jo & Jo

Certains ont d’ailleurs déjà emboîté le pas de la conceptualisation. C’est le cas d’Alexis Brossard, responsable food and beverage and events pour la marque hôtelière Jo & Joe Paris Gentilly (94), appartenant au groupe Accor. Depuis 2019, cette « auberge de jeunesse » , comme il la décrit lui-même, se fonde sur le « vivre-ensemble ». Si 20 % de sa clientèle est familiale, l’établissement accueille également des groupes de travailleurs, des étudiants ou encore des voyages scolaires.

« On ne peut pas réserver de table chez nous et il n’y a pas de télévision, raconte-t-il . On veut que les clients se rencontrent à l’afterwork pour que les employés d’entreprise fassent connaissance avec les associations étudiantes. » Pour parfaire ce concept du vivre-ensemble, dans son restaurant, Jo&Joe dispose des plats simples à partager, comme des planches, des bols, dans une ambiance années 1960-1970. L’entreprise diversifie aussi son offre, afin d’attirer une pluralité de clientèle : « Nous avons déjà accueilli une convention manga, un festival de musique et nous pouvons également être une cantine scolaire. »

Nouvelles attentes

Frédéric Leclef, directeur général délégué de Lyf, prétend qu’ « au-delà de la réinvention du concept, il faut traiter le parcours client nominal avec des solutions face à l’impatience du consommateur en attendant la carte, l’addition, le paiement ». Et cela passe par un développement du parcours digitalisé. De ce fait, le restaurateur peut présenter « une alternative aux clients qui veulent un parcours différent, plus digitalisé et moins traditionnel et qui permettrait de décharger les employés ». Une transformation numérique qui a déjà commencé, puisque « 47 % des Français ont déjà scanné un QR code en restaurant ».

Cette numérisation permettrait également aux restaurateurs de gagner du temps. Geoffrey Cuberos, président fondateur de Tastycloud, une application proposant des menus digitalisés aux restaurateurs, raconte qu’adhérer à ce concept permet d’avoir « une plus grande flexibilité et une meilleure gestion de la carte. Il n’y a pas besoin de réimprimer les menus à chaque changement, pour s’adapter aux variations de la carte, aux produits de saison ou aux fluctuations de prix ». Une manière aussi de répondre aux attentes de transparence concernant la provenance des produits ainsi que de connaître les allergènes présents dans un plat. « Ces obligations de transparence n’étaient pas toujours respectées parce qu’il n’y avait pas de moyen pratique de les afficher sur la carte », continue Geoffrey Cuberos.

Analyser les données

En outre, passer le cap de la digitalisation du menu permet de récupérer les données des consommateurs, de comprendre la façon dont ils lisent la carte. Cette analyse des données client s’est révélée très utile pour certaines enseignes, notamment Del Arte. L’entreprise a réalisé 20 % de part de marché grâce à Uber Eats et a adapté son parcours client aux nouvelles attentes des consommateurs. Grâce au développement de la livraison, et plus particulièrement celui de la pizza, Del Arte a par ailleurs attiré une clientèle beaucoup plus jeune. Un nouveau segment aux attentes différentes auxquelles l’enseigne compte bien s’adapter. D’après Philippe Lehartel, « nous sommes amenés à revivre des crises similaires à celle que nous venons de traverser. Il faut que la restauration traditionnelle soit prête pour éviter que les dark kitchens ne prennent le pas. »

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