Des restaurateurs craignent que la réouverture ne fasse pas long feu

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Interrogés à la suite des annonces d’Emmanuel Macron sur le calendrier de réouverture, et notamment le retour des terrasses au 19 mai, les restaurateurs restent partagés entre joie de pouvoir recommencer à servir des clients, et l’inquiétude forgée par plus d’un an de déconvenues successives, au rythme des déconfinements et reconfinements.

Nathan Helo, chef du restaurant Dupin (Paris 6e)

« Est-ce que ce n’est pas encore trop tôt ? C’est surtout cela qui nous inquiète. »

On reste très prudent puisqu’il n’a rien qui est vraiment arrêté pour l’instant. On a en plus cette épée de Damoclès sur la tête parce que la réouverture est sous réserve du taux d’incidence des régions. On sait qu’à Paris on n’est pas à la fête là-dessus. On reste donc assez prudent. Je pense qu’on n’est pas à l’abri qu’on nous dise que ce sera peut-être une semaine ou deux plus tard.

Il y a une autre chose qui m’inquiète aussi. J’espère que cela va vraiment être pour de bon et qu’on ne va pas revenir en arrière comme on l’a fait l’année dernière et à ce qu’on nous dise au mois de septembre qu’on reconfine. Autour de nous, en Allemagne, en Italie, ils ont un taux d’incidence pour une reprise qui est beaucoup plus bas que le notre. Ils sont sur du 150-200. Nous on est déjà à moins de 400. Cela représente quelque chose qui est assez énorme encore. Est-ce que ce n’est pas encore trop tôt ? C’est surtout cela qui nous inquiète.

Bien sûr qu’on est heureux de rouvrir, on attend cela depuis le début. On est prêt à rouvrir et quand on le pourra on le fera tout de suite. On s’adaptera. On va trouver des choses pour perdre le moins d’argent possible. Au départ on ne peut pas ouvrir le soir. Or, il y a peu de gens qui veulent manger au restaurant à 19 h pile. Sachant qu’à 21 h vous devez être chez vous, cela veut dire qu’il faut partir du restaurant au plus tard à 20 h 30. La clientèle que l’on va avoir le soir sera donc exclusivement la clientèle de quartier. Et les gens du quartier ne vont pas venir tous les soirs manger chez vous.

Si on nous dit qu’il ne faut ouvrir que les terrasses pendant un mois et demi – deux mois, cela ne vaudra pas le coup. Si c’est l’espace de 15 jours, cela va nous permettre de remettre un peu tout en route. C’est sûr qu’au départ on ne gagnera pas de sous, mais on va jouer le jeu de manière progressive. On est aussi dans l’attente de savoir quelles aides on va garder. C’est-à-dire qu’il y a certaines aides dont on dispose aujourd’hui parce qu’on est en fermeture administrative dont on ne disposera à mon avis plus. Si cela dure deux semaines et qu’ensuite on peut ouvrir le soir, c’est très bien. Si cela dure plus longtemps, ce sera problématique.

Pour l’instant, on part du principe qu’on sera sur le même protocole que celui d’avant : les QR codes, les espacements de tables, ne pas dépasser les six couverts par table, avoir les coordonnées des clients qui viennent manger chez nous, porter le masque tant qu’on n’a pas mangé le premier plat et porter le masque dès qu’on se lève et si possible entre les plats. Le problème jusqu’à présent est qu’on n’est que sur des « si ». Tout et n’importe quoi sortent. On ne sait pas véritablement à quelle sauce on va être mangé. On est vraiment sur de la spéculation. Malheureusement c’est cela qui nous fait un peu défaut : on prévoit tout sur de la spéculation. On essaie d’être en amont sur tout ce qui peut être annoncé.

Ce que je ne comprends pas, c’est qu’autant on a été très soutenu au niveau des aides, mais depuis un certain temps au niveau des annonces on est vraiment dans le flou. Il y a une certaine émulation qui est très positive parce qu’enfin on espère entrevoir le bout du tunnel. Mais actuellement on est un peu dans le flou.

David Rougier, Coup d’Oeil (Paris 11e)

« Si on fait le choix de ne pas rouvrir et qu’ils maintiennent les 10 000 euros, je resterai fermé jusqu’au moment où je pourrai rouvrir normalement. »

Je ne sais plus trop quoi penser. C’est positif pour ceux qui ont une grande terrasse qui est couverte. Déjà, ce n’est même pas sûr que Paris rouvre le 19 mai parce que ce sera en fonction du taux d’incidence. Quand j’ai créé mon business, c’était valable pour l’intérieur et l’extérieur, pas seulement pour l’extérieur. S’il se met à pleuvoir, les clients ne vont pas rester sous l’eau.

A l’intérieur j’ai quarante couverts. Trente à l’extérieur avec l’extension de la terrasse. En mai et juin derniers, il s’est mis plusieurs fois à pleuvoir vers 18 h 30 – 19 h, et forcément les gens ne restaient pas. Donc on attend de voir. Cela risque d’être compliqué s’ils suppriment complètement les aides. Le plus gros de mon chiffre d’affaires est réalisé entre 20 h et 2 h du matin. J’ai pris la décision : si on fait le choix de ne pas rouvrir et qu’ils maintiennent les 10.000 euros, je resterai fermé jusqu’au moment où je pourrai rouvrir normalement, à l’intérieur, sans jauge, avec le protocole. Il y a un paramètre qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’en juillet-août, le parisien ne reste pas à Paris et on n’aura pas encore les touristes. Donc il est clair que je ne rouvrirai qu’en septembre si les aides le permettent. Parce que même en temps normal, au mois d’août je perds de l’argent.

J’aimerais tellement pouvoir rouvrir, accueillir des clients. J’en rêve même la nuit. Mais je ne peux pas mettre en péril ma société. Après, je ne me plains pas trop financièrement parce qu’on est bien aidé. Je remercie d’ailleurs l’Etat de nous aider et j’espère qu’il sera par la suite encore là pour nous. Je me suis mis en mode spectateur, je ne fais plus de plan sur la comète, pour ne pas être stressé, angoissé. J’attends de voir ce que le Gouvernement va dire, s’il respecte le calendrier qu’il a diffusé. Cela serait bien que le Gouvernement dise maintenant s’il maintient ou pas les aides. Cela nous éviterait des crises d’angoisse. En fait, on est conscient qu’on est tous hyper bien aidé, mais il faudrait juste qu’on sache, et pas seulement un jour à l’avance.

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