Face au virus, les dernières alternatives des CHR

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Les restaurants et bars doivent respecter, depuis le 15 mars, l’arrêté du ministère de la Santé, précisant la fermeture des « lieux accueillant du public non indispensables à la vie de la Nation ». Mais les commerces alimentaires sont néanmoins « autorisés à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison ». Depuis quelques jours, les professionnels de la restauration s’adaptent à ces mesures sanitaires.

« Je propose tous mes plats garnis pour 10 € et les gens sont contents. » José Beitia, patron de La Bodega (Paris, 11e), a choisi la formule de la vente à emporter depuis mardi dernier, afin de continuer l’activité de son bar-tabac-restaurant. Habituellement, les plats basques de cet établissement sont vendus entre 16 et 20 €. Mais depuis la décision gouvernementale de fermer les salles de restaurant, afin d’endiguer le coronavirus en France, les habitudes de consommation ont changé, et cela risque de durer plusieurs semaines. « Les clients qui m’appellent ou viennent pour une commande me remercient, poursuit José Beitia, qui souhaite avant tout s’inscrire dans la continuité. Nous ne sommes pas là pour exploiter le malheur et j’espère que mes collègues n’utiliseront pas cette situation pour en tirer profit. » La Bodega, qui vend également du tabac, invite désormais ses clients à entrer un par un pour respecter les mesures de sécurité. Malgré les restrictions de déplacements, les habitués de l’épicerie basque seront au rendez-vous, assure le propriétaire : « Ce sont des gens fidèles. Ils préfèrent manger un plat à 10 € avec de bons produits, plutôt qu’un sandwich. »

Le Maryland, rue de Turbigo – Paris 3e © Jérémy Denoyer


Plusieurs restaurants parisiens ont dû s’adapter dans l’urgence, le week-end de l’annonce, pour ne pas jeter leurs stocks. Ce fut le cas de l’enseigne Holybelly, dont les provisions des deux restaurants de la rue Lucien-Sampaix (Paris 10e) – regroupant environ une tonne de denrées alimentaires – furent données sans emballage en échange d’une libre participation, après une annonce sur le réseau social Instagram. À travers un reportage vidéo, Le Parisien a suivi l’organisation de dernière minute Chez Casimir (Paris, 10e), dont les frigos étaient également pleins au lendemain de la décision prise par l’exécutif. « Normalement, nous sommes ouverts le dimanche et nous faisons boulangerie, donc nous avions énormément de pain et de pâte à pain, explique Margot, une employée du restaurant. Nous avons donc décidé de faire de la vente à emporter toute la journée : des barquettes de salades, charcuterie, fromage, pain… pour que les gens continuent de bien manger. »

LIVRAISON « SANS CONTACT » ET GRATUITE

Les plates-formes spécialisées dans la livraison de repas se sont également adaptées à la situation, alors que leur activité pourrait s’accélérer davantage dans les prochains jours. Avant la fermeture des salles, « la restauration hors domicile » était déjà « plus faible », admettait les ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation ainsi que de l’Économie et des Finances, le 10 mars. Dans ce contexte, l’application Uber Eats fut saturée pendant quelques heures, à Paris, lundi dernier. Mais le service de la plate-forme a rapidement repris et applique maintenant « les mesures de sécurité nécessaires à la livraison sans contact ».

Pour la sécurité des utilisateurs et de ses livreurs, la plate-forme recommande donc « fortement d’éviter tout contact » au moment de la livraison, en sélectionnant l’option « Livraison à ma porte » en commentaire. Dans la même journée, Deliveroo a mis en place cette même mesure de sécurité sanitaire. « Quand votre livreur arrivera, il frappera, déposera son sac isotherme ouvert devant votre porte, reculera de 2 m et attendra que vous récupériez votre commande, détaille l’entreprise de livraison. Le livreur effectuera de son côté une livraison sans contact avec le restaurant. » Uber Eats a annoncé, ce 19 mars, une nouvelle série d’actions à destination de ses clients, restaurants partenaires et livreurs. La gratuité de la livraison (déjà effective le midi depuis la fermeture des salles) s’appliquera à toutes les commandes des utilisateurs jusqu’au 31 mars. Les partenaires de la plate-forme pourront « percevoir leurs revenus de manière quotidienne et non plus une fois par semaine » ; les restaurants souhaitant rejoindre l’application ne paieront « aucun frais d’activation » jusqu’à la fin du mois et ces inscriptions seront accélérées par « une équipe dédiée ».

Enfin, les livreurs – fortement exposés au coronavirus – seront remboursés de « tout achat de produits sanitaires » et recevront une indemnisation « pouvant aller jusqu’à quatorze jours » s’ils sont diagnostiqués « avec le Covid-19 » ou placés « en quarantaine ». Malgré ses dispositions, les livreurs sont-ils réellement protégés du virus ? « Il y a deux poids, deux mesures : d’un côté, on ferme les restaurants et on demande aux gens de rester confi nés chez eux, et de l’autre, on ne touche pas à la livraison, malgré les risques. Il faut arrêter ces services », suggère au Figaro Édouard Bernasse, le secrétaire général du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP).

FERMETURE TOTALE OU HORAIRES AMÉNAGÉS

Dans ce contexte, certains professionnels ne prennent pas de risques. Les bars-tabacs parisiens sont nombreux à avoir baissé leur rideau. D’autres font grise mine : leurs chaises sont retournées et les fumeurs attendent sur le trottoir que l’unique client ressorte du bureau de tabac. Parfois, les horaires ont été aménagés. Mercredi dernier, le Maryland, habituellement dans la frénésie des happy hours en fin d’après-midi, était tout simplement fermé. Cette brasserie-tabac de la rue de Turbigo (Paris, 3e), quasi déserte, a décidé de limiter ses horaires d’ouverture « du dimanche au vendredi de 10 h à 14 h jusqu’à nouvel ordre ». Des dernières latitudes laissées au CHR ne sont en effet pas pleinement utilisées par les professionnels. D’une part, une bonne partie de la clientèle se montre méfiante et répugne à s’aventurer vers un comptoir de VAE. D’autre part, dans certains quartiers de bureaux, la clientèle des travailleurs, consommatrice de restauration rapide, n’est plus présente.

Enfin, de nombreux opérateurs ne souhaitent tout simplement pas exposer leurs salariés au moindre risque pour un bénéfice très aléatoire. Par ailleurs, les grandes chaînes de restauration rapide ont opté en grande majorité pour des choix fermes. « Pour faire face à la crise du coronavirus, la plupart de nos restaurants ont déjà fermé », explique McDonald’s sur son site internet, même si certains restaurants ont maintenu leurs livraisons et leur drive. Ce n’est pas le cas des deux enseignes du groupe Bertrand, Burger King et Quick, qui ont tout arrêté, écoutant ainsi le conseil de leur patron, Jérôme Tafani : « Restez chez vous. » Il est ainsi placardé sur la vitrine du Burger King de la place de République (Paris 3e). « Nous avons décidé de fermer complètement nos restaurants, et ce jusqu’à nouvel ordre. » L’enseigne KFC a également décidé de fermer ses unités. La chaîne Domino’s Pizza, qui proposait en début de semaine un service de « livraison sans contact, avec un règlement uniquement en ligne », s’est résolue finalement à clore ses magasins. « Nous sommes en guerre », a prévenu le président de la République. Notre vie sociale et l’activité des bars et restaurants en sont aujourd’hui complètement bouleversées.

Accroître sa présence en distribution

Quelques semaines avant la mise en place des mesures de confinement, l’opérateur de livraisons, Uber Eats, annonçait son ambition de proposer 3 000 restaurants virtuels à la livraison en France à la fin de 2020. Il a déjà mis en ligne un millier de ces établissements qui figurent parmi les 20 000 restaurants bien réels référencés par l’opérateur. Il s’agit de restaurants qui n’ont d’existence que sur la toile. 12 % d’entre eux émanent de Dark Kitchen, mais les trois quarts sont portés par des restaurants indépendants et 55 % sont parisiens. « Des restaurants qui réalisent du sushi, par exemple, peuvent se diversifier vers une production compatible, comme le poke bowl, et créer un restaurant virtuel qui va distribuer ces repas sous une autre identité », explique Chloë Baruchel, innovation restaurant manager chez Uber Eats. Cette présence élargie va ainsi permettre au restaurant d’accroître ses chances de générer des commandes.

Certains restaurants créent ainsi sur le site deux ou trois restaurants virtuels avec des cartes spécifiques. Selon un rapport de Deloitte, réalisé en novembre 2019, « les personnes qui gèrent des restaurants virtuels à Paris ont vu leurs ventes augmenter en moyenne de 50 %. »

Le maintien des produits au chaud chez Dark Kitchen Paris 17e avant leur départ en livraison. © Jérémy Denoyer

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