La banlieue commence à prendre ses distances

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Le mouvement des Gilets jaunes a eu un impact sur l’activité des commerces de proximité depuis la fin de l’année 2018. Si les touristes étrangers ont été moins nombreux dans la capitale française durant cette période, de nombreux restaurateurs estiment que la clientèle de banlieue est moins présente. En cause, la circulation dans la capitale, mais aussi une offre de restauration qui se densifie en périphérie.

Les Parisiens plébiscitent les restaurants de leur ville. La moitié d’entre eux s’y rend au moins une fois par semaine le soir ou le week-end, selon un sondage réalisé par l’Institut BVA pour Areas (Elior groupe) en 2017. Mais la banlieue représente une source de clientèle précieuse pour nombre d’établissements festifs. Or, selon des témoignages concordants, la fréquentation des habitants des départements environnants tendrait à se tarir ces derniers mois.

En effet, de longue date, les habitants de la petite et grande couronne franchissent régulièrement le périphérique pour venir dîner à Paris. Mais ce phénomène serait-il envoie de ralentissement ces derniers mois ? Il est difficile de répondre à cette question de façon nette et définitive. Les professionnels de la restauration parisienne n’ont pas toujours une connaissance précise de l’origine géographique de leurs clients. De plus, les quartiers pari siens n’attirant pas les mêmes clientèles (touristes étrangers, clientèle locale, provinciaux ou banlieusards), les bistrots n’ont pas ressenti le même impact de la crise des Gilets jaunes depuis la fin de l’année 2018.

« Nous avons énormément de problèmes à recueillir des chiffres des restaurateurs, confirme Jean-Marc Banquet d’Orx, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) en Île-de-France. Nous savons qu’il y a eu des quartiers qui ont souffert des manifestations des Gilets jaunes, certains établissements ont même fermé le samedi. Mais pour les restaurants du midi ⟩ ceux où les salariés vont dépenser leurs tickets restaurants⟩, il n’y a pas eu d’impact. Le phénomène des Gilets jaunes touche surtout les zones où se trouvent les touristes, notamment près du Trocadéro et de la rue Kleber. Mais les collègues ont toujours du mal à communiquer leurs chiffres. »

Sentiment d’insécurité

Situé à quelques pas du jardin du Luxembourg, le restaurant de cuisine gastronomique La Ferrandaise (6e arr.) a subi une vraie baisse de son activité cette année, surtout le samedi. Les soixante couverts régulièrement effectués ce jour du week-end sont parfois tombés à dix.

« Un samedi de décembre, des Gilets jaunes ont brûlé plusieurs véhicules sur le boulevard Saint-Germain. Les clients m’ont dit qu’ils avaient peur. Alors, si certains me l’ont dit, je pense que d’autres partagent le même sentiment, confie Gilles Lamiot, propriétaire de cette table auvergnate traditionnelle. Depuis ce jour, nous avons connu une baisse du chiffre d’affaires jusqu’au 15 mai. Je sais qu’il y a eu des dépôts de bilan dans la profession. Quand les Gilets jaunes annonçaient leur passage, les bouches de métro étaient fermées aux alentours. Cette situation était compliquée pour notre clientèle qui habite en banlieue ou en province, poursuit Gilles Lamiot. Le mouvement des Gilets jaunes s’est calmé depuis quelques semaines et notre chiffre d’affaires remonte. »

Selon le patron de cette enseigne de la rue de Vaugirard, « les gens sont aussi plus attentifs à leur budget » ces dernières années. Alors que les Gilets jaunes battaient le pavé dans les rues parisiennes, « les banlieusards ont un peu déserté Paris, au profit des centres commerciaux, concède le président de l’Umih Île-de-France. Le centre commercial de Marne-la Vallée (Val d’Europe, NDLR) a fait de bons chiffres durant cette période. Quand les banlieusards font leurs courses, ils mangent aussi sur place », conclut Jean-Marc Banquet d’Orx.

Crédit Jérémy Denoyer

A la Ferrandaise, Gilles Lamiot estime que les gens sont plus attentifs à leur budget ces dernières années. © Jérémy Denoyer

Question budgétaire

L’aspect économique représente un facteur non négligeable d’une possible désertion des restaurants parisiens par les habitants de ban lieue.

« Avec la crise, les gens ont adapté leur niveau de vie. Les prix parisiens ne sont pas forcément les prix de banlieue, même si Paris reste une ville très attractive, reconnaît Sébastien Porte, propriétaire du bistrot Le Diplomate (17e arr.), dont la clientèle banlieusarde reste minime. Il y a aussi une différence entre les quartiers. Ceux jouissant d’un énorme volume de passages – plutôt à l’est de Paris -, avec un phénomène de consommation à l’anglo-saxonne, bénéficient d’une clientèle habituellement âgée entre 20 et 35 ans, dont la consommation est plutôt snacking et éphémère. A contrario, les grands établissements et les grandes brasseries sont davantage réservés aux Parisiens intra-muros, qui résident ici depuis longtemps et possèdent un pouvoir d’achat plus élevé. »

Le Petit Marcel

Selon Franck Renaudin, propriétaire de la brasserie Le Petit Marcel : « Heureusement que les banlieusards sont là ! » 

Manque de mobilité

Les stations de métro et de RER situées près des cortèges de manifestants ont régulièrement été fermées ces derniers samedis. Au-delà de ce fait ponctuel, les restaurateurs estiment qu’il est de plus en plus difficile de circuler entre Paris et la banlieue. « Les problèmes de circulation se sont accélérés ces derniers mois. Cette situation enlève de la liberté aux gens ; ils ne peuvent se déplacer comme ils le veulent et cela modifie leurs types de sorties », observe Sébastien Porte. À la tête du Mazenay (3e arr.), près du quartier des Halles, Lan Groison fait le même constat : « Pour les habitants de banlieue, cela peut être compliqué devenir jusqu’ici. Mon mari met deux fois plus de temps pour aller à Rungis depuis le début de l’année. »

Pour autant, le centre de Paris semble avoir conservé une bonne cote auprès de la clientèle de ban lieue. « Les Gilets jaunes ont fait plonger notre chiffre d’affaires. Notre ticket moyen a baissé, car les touristes étrangers sont moins nombreux. Or, ce sont eux qui consomment le plus. Mais les banlieusards, heureusement qu’ils sont là ! La clientèle de province était parfois bloquée alors que celle de banlieue connaît mieux Paris », soutient Franck Renaudin, propriétaire de la brasse rie Le Petit Marcel, nichée rue Rambuteau (4e arr.), entre le Forum des Halles et le Centre Pompidou.

Sur le trottoir d’en face, Jawad El Arabi, gérant de La French Guinguette, confirme cette tendance : « La clientèle de banlieue est toujours aussi fidèle, elle représente 50 % de notre clientèle du soir. »

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