La cuisine de rue investit la France

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Asiatique, mexicaine ou encore française, la cuisine de rue se décline à toutes les sauces. Un mode de consommation nomade qui peut se révéler une source de créativité et de renouvellement de sa cuisine.

Des brochettes du marché de Bangkok aux vendeurs de hot dogs new-yorkais, la street food est une des traditions culinaires les plus universelles. En France, l’avènement des food courts , ces espaces communs de consommation, mais aussi des food trucks , prouve que les consommateurs y ont pris goût.

« La cuisine française se sert à table, nous ne sommes pas traditionnellement parlant un pays de street food , mais cette cuisine a le vent en poupe depuis plusieurs années, car les modes de consommation évoluent : les gens ont moins le temps de manger, sontattentifs à l’origine des produits et ouverts aux cuisines d’ailleurs » , analyse Émeric Richard, cofondateur du Lyon Street Food Festival (LSFF). Cet événement, dont la dernière édition s’est tenue en septembre 2021, est devenu en cinq ans le plus grand festival de cuisine du monde en France.

Au total, plus de 35 000 visiteurs s’y sont rendus et plus de 100 chefs y ont participé. Parmi eux, des novices de la street food comme des habitués. Julie et Laura Ollivon, fondatrices du food truck l’Impro Gourmande, font partie de cette seconde catégorie. Lors du premier confinement, les deux sœurs ont décidé de monter leur concept autour de la pâtisserie salée. « La France devient un pays de street food et cette cuisine se réinvente : on peut déguster d’excellents plats au pied d’un camion » , explique Julie Ollivon. Leur food truck sillonne les alentours de Lyon et propose des créations uniques. Lors du LSFF, elles ont présenté un éclair jambon beurre et un cupcake betterave et chèvre. Le reste de l’année, elles font évoluer le menu chaque semaine et proposent par exemple une tarte tatin à la tomate cerise, des chaussons de blettes au curry et à la viande hachée ou encore un hot dog sucré framboise, chocolat blanc et verveine. « La pâtisserie salée a toujours été notre but premier, mais on propose aussi d’autres choses, ajoute Julie. Ma sœur, qui s’occupe de la production, garde toujours en tête un esprit haut de gamme dans ses créations, avec des produits locaux ».

De par ses codes, la cuisine de rue permet aux chefs de sortir de leurs habitudes et de se réinventer. « La street food évoque une nourriture cuisinée sur place, ultra spécialisée, qu’on peut manger facilement et qui donne une place centrale aux produits », commente Émeric Richard du Lyon Street Food Festival. Pour lui, elle doit aussi être abordable : tous les participants du LSFF doivent cuisiner des portions vendues 5 € pièce au maximum. « Proposer des prix très bas permet à certains visiteurs de goûter les plats de très grands chefs et cela permet aussi de rencontrer le public » , ajoute-t-il. Lors de sa dernière édition, les 140 000 portions servies ont été autant de défis à relever pour certains participants. « Il y a des chefs dont ce n’est pas le métier, explique Émeric Richard. On leur demande de s’adapter, de ne surtout pas reproduire une grande assiette, mais une proposition qui soit accessible. » Le festival est aussi là pour faire découvrir de nouvelles cultures. En 2021, c’est la gastronomie africaine qui était à l’honneur, avec un hall dédié dans lequel 15 chefs ont représenté les cuisines des cinq régions du continent. Parmi eux, Jules Niang, pour qui le LSFF a été une porte d’entrée à la street food . Ce chef originaire de Mauritanie propose une « cuisine de contraste » , mêlant goûts africains et français dans son restaurant gastronomique Petit Ogre (Lyon, 3e arrondissement). « La cuisine de rue ne m’est pas familière en tant que cuisinier, je n’en avais jamais fait, mais elle me renvoie à mon enfance : en Afrique, elle est omniprésente, on en déguste partout », glisse-t-il. Pour sa première participation, le chef a imaginé une tartelette au mil – une céréale très présente dans les cuisines africaines – déclinée en version carnée avec de la truite d’Isère ou végétale avec du lachiri, une sauce normalement élaborée à base de feuilles de niébé, ici remplacées par des épinards. En cinq jours de festival, Jules Niang et ses équipes ont servi pas moins de 1 600 tartelettes. « C’était une autre échelle que ce que je fais au restaurant, qui fait 50 couverts, et le public était lui aussi différent », mentionne-t-il. Ravi de l’expérience, il souhaite recommencer et espère que la cuisine des différentes régions d’Afrique soit plus reconnue. « Les gens ont beaucoup de préjugés sur la cuisine africaine : ils pensent que tout est piquant, avec des goûts forts, ce qui est faux, remarque-t-il. Il y a dans cette cuisine une richesse inouïe, un terrain inexploré comparé à d’autres zones géographiques comme l’Asie. »

Casser les codes

Un constat partagé par Émeric Richard. « Cet événement est une invitation au voyage, l’Afrique nous semblait très importante, car sa gastronomie est peu représentée et souffre d’a priori pas forcément positifs, il faut la représenter et la faire découvrir, et la street food peut y participer », pense-t-il.

Si la cuisine de rue permet au public de découvrir de nouvelles saveurs dans un format accessible, elle constitue pour certains chefs un moyen de se réinventer et de s’amuser. Thierry-Rodolphe Capocci Delabrouille, du restaurant Chef Lyon (Lyon, 5e ), gère depuis le 1er octobre 2021 le corner de restauration Sales Gosses Fac-tory, situé dans un magasin éphémère au centre de la ville. Il y propose des plats totalement différents de ceux qu’il sert dans son restaurant. Ici, pas de légumes de saison finement travaillés ni d’assiette lustrée au vinaigre blanc. « On sert des plats ludiques, en décalage de ce qu’on voit d’habitude, souligne le chef. Nous sommes partis de grands classiques de la boulangerie et du snacking, revisités à notre sauce. » Poulet curry servi chaud dans un beignet, tarte citron et chamalow grillés : pour Thierry-Rodolphe Capocci Delabrouille, la street food est un terrain de jeu. « On joue sur les textures, les goûts, les couleurs. C’est très drôle de faire un sandwich au thon bien garni en mayonnaise quand d’habitude je le sers en tataki, dans une assiette léchée » , glisse-t-il. De plus, le ticket moyen de cette cuisine de décalage est de 13 € avec boisson, contre 50 € au restaurant Chef Lyon. Si le lieu dans lequel le restaurant se situe fermera ses portes fin décembre, il souhaite tout de même pérenniser le concept. « Ce lieu nous permet de tester les recettes, de voir ce que les clients préfèrent. Quand le pop-up store se terminera, je voudrais installer ce concept de manière durable dans le centre-ville », conclut Thierry-Rodolphe Capocci Delabrouille. 

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