La reconquête de l’eau minérale au restaurant

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Depuis quelques années, l’eau minérale doit batailler pour conserver sa place sur les tables des restaurants. En cause, son prix de vente et des alternatives qui séduisent les consommateurs. On assiste ainsi à une véritable premiumisation de l’eau destinée aux CHR et à la montée en flèche de l’argument « terroir ».

Eau minérale
Eau minérale

La question de l’eau au restaurant fait débat depuis quelques années à la suite de l’apparition des solutions d’eau microfiltrée. Bien obligés de cohabiter avec ces nouveaux arrivants, et avec un taux de prise de la carafe toujours élevé (37 %*), les minéraliers ont-ils pour autant perdu du terrain sur les tables des restaurants ? A fortiori, oui, selon une étude CHD Expert, 77 % des consommateurs commandent de l’eau minérale au restaurant, une proportion en baisse depuis 2016.

Pour autant, l’eau minérale demeure un repère pour les restaurateurs comme pour leurs clients. Elle sécurise leur choix en garantissant une minéralité et un goût constants car les contrôles autour de l’eau en bouteille sont très stricts. Cet attachement est aussi lié à la tradition. On trouve, par exemple, de la Badoit dans les restaurants, ou plutôt dans les bouillons, depuis 1837… Ces marques iconiques, à l’instar d’Évian, de Perrier ou de Vittel, ont su se rendre incontournables à la fois auprès des consommateurs, mais aussi auprès des chefs en soutenant la profession à grand renfort d’événementiel (partenariat avec les Bocuse d’Or pour San Pellegrino, avec le salon Equip’hotel pour Perrier et Vittel, avec le festival Omnivore pour Badoit, tremplins aux jeunes talents de l’hôtellerie et de la restauration à travers le San Pellegrino Young chef ou la Bourse Badoit), mais aussi d’une mobilisation financière pendant la crise sanitaire.

L’eau minérale, une question d’image

Danone Eaux a notamment contribué à l’opération J’aime mon bistrot, et mis en place plusieurs dispositifs d’aide et de promotions pour les CHR tandis que Nestlé Waters annonce avoir « pris la décision de ne pas augmenter les tarifs en 2021 sur les formats CHR » en guise de solidarité. La question du prix est en effet cruciale et charge aux restaurateurs de trouver le plus juste. En effet, 4 Français sur 10** trouvent que l’eau minérale y est vendue trop cher. « Un client qui va au restaurant pour prendre du plaisir est capable de dépenser un peu plus pour des produits de qualité. Un restaurant qui propose de l’eau en bouteille s’engage pour le bon, estime Nicolas Cherdronnet, directeur des ventes du groupe Ogeu (Plancoët, Ogeu, Quezac, Valécrin…) avant de nuancer. Mais il faut que les restaurateurs vendent au bon prix pour que le client ne se retrouve pas avec 25 % de la note pour l’eau. Il faut que tout le monde s’y retrouve tout en permettant au client de trouver une eau accessible dans n’importe quel type de restaurant. »

L’eau minérale naturelle Ogeu accompagne les repas des tables du Sud-Ouest.

« C’est intéressant pour un chef de mettre sur sa table des eaux de marque, des sources bien identifiées, estime Alexandre Varo, directeur national des ventes CHD Nestlé waters. Il recherche à la fois à développer du goût, du caractère mais aussi l’image qui est associée. » Cette image de marque est largement véhiculée par l’esthétique des bouteilles. Pour Perrier, la saisonnalité donne à la marque l’occasion de faire le buzz grâce à des collaborations avec des artistes pour habiller la bouteille, cette année avec l’artiste japonais Takashi Murakami. La bouteille comme un bel objet de table, c’est aussi le pari de l’eau corse Saint-Georges, qui s’est associée au designer Philippe Starck pour dessiner une bouteille tout en sobriété. « Le packaging et l’esthétique sont déterminants surtout sur le marché de l’eau », relève Hervé Maudet, directeur général de l’eau Abatilles, puisée dans le bassin d’Arcachon. Grâce à son flacon en forme de bouteille bordelaise, ce produit dispose d’une vraie signature qui peut tout à fait constituer un déclencheur d’achat. C’est ainsi que cette eau neutre en goût se fait doucement une place sur les tables parisiennes, notamment la Brasserie Lipp.

Le terroir fait fureur

L’eau, comme bon nombre de produits alimentaires, bénéficie aujourd’hui d’un intérêt nouveau des consommateurs pour les origines, les terroirs. Les sources régionales, on en compte 89 en France, moins connues que celles des grands minéraliers, ont donc leur carte à jouer sur la scène des eaux « premiums ». « Ces eaux ont des qualités minérales et un terroir qui les distinguent, explique Laurent David, fondateur de la cave à eaux Eaux du monde. Nous prenons également en compte l’esthétique du flacon car il est indispensable pour valoriser le produit à table. » Certaines eaux minérales, comme Carola en Alsace ou Orezza en Corse, bénéficient depuis longtemps d’un attachement régional fort. Plancoët, par exemple, consacre 60 % de ses volumes à la restauration à table en Bretagne. Mais elles s’exportent de plus en plus au-delà de leur périmètre habituel. « Nous avons de la demande sur Paris car les restaurateurs veulent travailler avec des eaux du terroir, souligne Nicolas Cherdronnet. À une époque, il y avait davantage un engouement pour les eaux étrangères, mais la tendance générale à la relocalisation leur permet de se tourner vers des marques régionales comme les nôtres. » Et malheureusement en Île-de-France, la seule source qui fournit l’eau Lutécia est peu disponible pour la restauration.

La France compte 89 sources d’eau minérales. 

L’engouement pour ces caractères bien trempés est tel qu’il permet à des sources de renaître, comme celle du pays d’Aix-en-Provence, où est puisée à 808 m de profondeur, l’eau « 808 ». La marque, qui revendique une eau très faiblement minéralisée, a choisi de fournir essentiellement le CHR. En 2017, un collectif de chefs s’est même formé pour défendre l’eau minérale des terroirs français au même titre que n’importe quelle spécialité régionale, en partant du principe que « bien manger ne doit pas s’arrêter à l’assiette ». « Au quotidien, nous portons la responsabilité de donner aux Français l’accès à de bons produits, issus de nos terroirs, expliquent-ils dans un manifeste. Cela doit aussi passer par l’eau que nous proposons, celle qui accompagne nos mets. L’eau ne doit pas être le maillon faible de nos restaurants. » Dans la même veine, un concours international des eaux gourmets, organisé par l’ONG Agence pour la valorisation des produits agricoles, récompense depuis plusieurs années un certain nombre d’eaux françaises pour leurs qualités gastronomiques. Les eaux Mont-blanc, Zilia, Chantemerle, Saint-Amand, Thonon, Ventadour ou encore Vals figurent au dernier palmarès. Et les marques nationales s’y mettent aussi, Badoit Intense avec des cols aux couleurs des régions, Volvic avec une édition Auvergne exclusive pour sa bouteille prestige 75 cl.

De là à proposer une carte des eaux ?

Fort de cette richesse, pourquoi ne pas proposer une carte des eaux ? « En termes de valeur ajoutée, avoir une carte des eaux, c’est un peu comme proposer une carte de vins étrangers » , souligne Laurent David, d’Eaux du monde. Le goût prime alors sur l’esthétique à table et cette proposition mérite clairement d’être accompagnée en salle. Il ne s’agit pas à proprement parler de proposer des accords mets-eau, plutôt d’orienter le client vers des goûts qui conviendront à son palais et lui permettre de découvrir des produits plus typés selon leur minéralité. Une eau riche en calcium amène une impression de sucré, une teneur importante en magnésium un goût plus métallique tandis que le sel lui donne une saveur iodée. Avec un tel parti pris, il est recommandé d’adapter toute la mise en place autour du service de l’eau, à commencer par le lavage des verres, conseillé à la main et à l’eau chaude pour éviter le dépôt de calcaire et de produits lessiviels qui pourraient perturber les dégustations à venir. La température de service prend également plus d’importance, à l’instar du vin. Une eau minérale gazéifiée se sert généralement plus fraîche, entre 8 °C et 12 °C, qu’une eau minérale plate, idéalement chambrée (15 °C à 18 °C).

* Étude Les Français et l’eau du Centre d’information sur l’eau, novembre 2020.

** Infographie L’eau en restauration 2020, CHD Expert.

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