À quelques pas du parc des Buttes-Chaumont (Paris 19e), le Bar fleuri a traversé les époques sans bouger d’un iota. À tel point que les habitués y dégustent les mêmes plats depuis 30 ans et que le prix du poulet rôti n’a pas pris un centime depuis les années 1990. Ce pilier du quartier est aussi devenu une curiosité prisée des touristes, grâce à sa popularité sur les réseaux sociaux.

Le Bar fleuri est le seul rescapé d’une époque où les studios de cinéma et de télévision mettaient le quartier des Buttes-Chaumont en ébullition. Le bistrot a vu l’âge d’or des émissions de variétés, dont la plupart ont été tournées à deux pas. Jacques Chancel, lorsqu’il animait « Le Grand Echiquier », occupait régulièrement une table, comme l’essentiel des vedettes de l’époque, dont Coluche, immortalisé à sa place préférée, près de la fenêtre. La salle semble figée dans une époque sans fin. Celle d’un repère rassurant qui a réussi à garder pendant 45 ans la même cuisinière… Et qui n’a pas changé de menu depuis 30 ans. Martial Moro a repris cette institution il y a 25 ans avec sa sœur Joëlle. Restaurateur plutôt businessman dans sa vie d’avant, il a finalement succombé à l’âme du lieu. Désormais, c’est une sorte de vigie du quartier. «J’ai presque un rôle de concierge, s’amuse Martial Moro. Il y a une ambiance exceptionnelle dans ce quartier, l’identité du Bar fleuri s’est créée autour. Les voisins me laissent les enfants lorsqu’ils ont une course à faire. Parfois même, ils me les envoient le midi s’ils ne vont pas à la cantine. Et je rends pas mal de petits services.»
Image d’Épinal du bistrot parisien
On vient au Bar fleuri entre deux rendez-vous, pour déjeuner entre collègues ou pour maîtriser son porte-monnaie. Car ce qui fait désormais déplacer les foules, c’est l’imbattable poulet rôti fermier à 6,86 €. «Le prix n’a jamais bougé, même avec le passage à l’euro, explique-t-il. Je veux que tout le monde puisse venir manger chez moi.» Le fournisseur historique joue le jeu des volumes et le patron obtient un prix imbattable. Le reste de la carte ne flambe pas pour autant. «Nous sommes des patrons qui travaillons tous les jours, nous ne nous contentons pas de regarder le chiffre d’affaires. Certains n’ont toujours pas compris que mettre un gérant, cela coûte cher.» Ici, c’est encore possible de manger pour 50 € en famille. Entrées de 3,65 € à 6,95 €, plats à 15,95 €et 20,95 €, suggestions autour de 12 €, desserts entre 3 € et 7 €. Malgré tout, le ticket moyen s’en sort bien.
«Le poulet est un produit d’appel. En restant toujours sur les mêmes produits, on arrive à garder le cap.» La petite carte ne lasse pas la clientèle. Les services, uniquement le midi en plus du bar le reste de la journée, tournent à plus de 120 couverts, jusqu’à 200 le samedi. Et aux beaux jours, la file d’attente remonte le trottoir. Chacun sait à quoi s’en tenir, pas de surprises, mais des repères sûrs faits maison. Les rillettes du Mans servies en large tranche, la bavette à l’échalote ou encore la tarte au citron meringuée. Même s’il a fini par ajouter deux salades à son offre, Martial Moro n’a pas cédé aux sirènes du burger. Ici, la star reste le poulet : il représente 80 % des ventes.
En cette période d’inflation, le plat a fait le tour des réseaux sociaux, à tel point que l’établissement est devenu une destination pour les touristes de passage à Paris. «Ça a été exponentiel, nos volumes sont passés du simple au double au cours des trois dernières années», expliquent les patrons. Un succès fou, limité par les 50 places en salle. La terrasse estivale fait monter la jauge d’une vingtaine de place, et Martial Moro lorgne désormais sur un terre-plein de l’autre côté de la rue pour installer d’autres couverts. «Je pourrais servir le soir, je remplirais même plus que le midi. Mais je ne veux pas créer de nuisances pour le quartier et, avec cette terrasse, nous pourrions contenter plus de monde.»