Ce réseau social musical vient de reprendre ses sessions le 3 octobre au Social Bar. Sans scène, ni micros, ni sono, ni public, le Buff artistique et festif remplit les bistrots.

Les habitués au comptoir n’en croient pas leurs yeux lorsque débarquent des dizaines d’inconnus chargés d’étuis de guitare, de saxophone, de clarinette, de ukulélé, ou simplement les mains dans les poches. Les instruments se déshabillent, s’échauffent, s’accordent, les cahiers de paroles passent d’une table à l’autre. De nouveaux arrivants se serrent sur les banquettes, d’autres surgissent avec un tambourin et il devient difficile de trouver une place assise. L’animatrice, une jeune femme prénommée Audrey, annonce un numéro de page et démarre un tube de Tracy Chapman. Le Buff commence ! Les habitués n’en croient pas leurs oreilles : la salle entière chante et joue, en acoustique, Mon amant de Saint-Jean, ou Le Lion est mort ce soir, sous les applaudissements nourris de tous. Les dîneurs sont aussi surpris que ravis, certains postent sur Facebook des photos de leur soirée familiale. Et lorsque passent les bougies d’un gâteau, une centaine de voix souhaitent « Joyeux anniversaire » en chœur géant.
« Bonne ambiance »
Une demi-heure de pause, pour commander à boire et discuter. Une voisine se marre : « C’est mon antidépresseur ! Il y a une vraie bienveillance, c’est comme une bande de copains. » Comme une fête où l’on n’aurait ni les courses ni la vaisselle à faire – une bonne définition du bistrot. Une autre participante, née en Meurthe-et-Moselle : « C’est ma bouffée d’oxygène. Les gens se parlent, c’est l’anticliché parisien. » Des Marseillais avouent avoir calé leur voyage à une date du Buff, au Social Bar agrandi et refait à neuf (25, rue Villiot, Paris 12e) ou chez l’Ami Justin (28, bd de Ménilmontant, Paris 20e) dont le patron, Ninor, apprécie « la bonne ambiance » et se déclare « fidèle » à ce rendez-vous. Depuis le confinement, les Buffs ont repris en plein air, et ce dimanche 3 octobre au Social Bar. D’autres sessions sont prévues. Stéphane Gabbay est l’initiateur de cette véritable pratique amateur, « sans jugement, sans formalités ni contraintes » ; les chanteurs et musiciens paient leurs consommations et c’est tout. Le café « partenaire » qui reçoit une centaine de clients pour la soirée règle à l’association une participation pour les animateurs. Jamais à court d’idées, Stéphane lance « le Buff qui danse » et « l’Improbuff » (à l’Impro-vi’bar, 3, rue Geoffroy l’Angevin, Paris 4e) et au Social Bar où l’on invente une histoire à partir de chansons improvisées, en mêlant les codes du théâtre et ceux du Buff. Il organise aussi des balades musicales le long des quais, des « Buffs solidaires et bénévoles » pour des centres d’hébergement de l’Armée du salut ou dans une ressourcerie Emmaüs. Le même concept inspire d’autres collectifs, tels Jamachansons.
Bœuf, jam, open mic
Un peu d’étymologie bistrotière : des musiciens, même qui ne se connaissent pas, « font un bœuf » lorsqu’ils jouent ensemble de manière décontractée ou improvisent sur des standards, en particulier de jazz. L’expression vient du restaurant parisien Le Bœuf sur le toit où se retrouvaient nombre d’artistes vers 1920 : la traduction anglaise est jam-session. Ne pas confondre avec la scène ouverte (open mic), durant laquelle des artistes se succèdent pour interpréter chacun deux ou trois morceaux – sans jouer avec les autres. Entre concerts, bœufs et scènes ouvertes, les bistrots accueillent des formes musicales d’une belle diversité et confirment leur rôle de réseau social et culturel.