Le choix des couleurs dans un restaurant, loin d’être un détail
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Se rendre au restaurant, ce n’est plus seulement venir manger. La couleur jaune stimule l’appétit et motive, tandis que le vert met à l’aise et apaise. Le client est à la recherche d’une véritable expérience, dans laquelle les couleurs jouent un rôle majeur.
Les couleurs ont un impact considérable sur le mode de consommation des clients. Aujourd’hui, ils savourent d’abord avec leurs yeux avant de goûter avec leurs papilles. Mon travail est de les accompagner dès le démarrage du projet sur le choix et sur l’harmonisation des couleurs afin de créer une identité visuelle et une charte graphique cohérentes à leurs besoins » , explique Laurent Marivat, designer d’intérieur et fondateur de Contrast Deco. De fait, se pencher sur la psychologie des couleurs dans l’agencement de sa salle de restaurant peut se révéler particulièrement utile pour le restaurateur dans la conquête du client ainsi que sa stratégie de communication. De plus, les établissements affi rment de plus en plus leur personnalité, du bistrot au coin de la rue au restaurant gastronomique, en passant par la brasserie et elle peut se traduire dans le choix des couleurs et leur harmonisation.
Samy Ben Jazia, responsable communication et marketing chez Tork, a été membre du groupe projet de l’étude intitulée « Quelle est la couleur de votre établissement ? », menée en 2015 par le fabricant. Il affi rme : « Aujourd’hui, lors-qu’on regarde le panorama de la restauration, le client a besoin de se sentir rassuré et une vraie modifi cation s’est opérée et s’opère encore, dans l’approche des restaurateurs vis-à-vis des clients. La relation entre eux s’est resserrée. » Ainsi, de plus en plus de restaurants cherchent à se différencier et c’est « naturellement que la couleur s’impose » , précise-t-il. Cette étude, commandée par Tork à United Minds, a permis d’établir des schémas précis et récurrents des humeurs et des émotions suscitées par les couleurs. Les participants ont été plongés dans huit environnements de couleurs différentes. Pour bien comprendre leur réaction, des casques permettaient de mesurer leurs ondes cérébrales. « On a pris le parti de choisir une variable, la couleur et rien d’autre, afin d’imputer un changement et un comportement à la couleur et non à un facteur tiers », détaille Samy Ben Jazia. Les participants ont mangé un macaron au goût neutre, mais de la couleur de la salle de restaurant immersive dans laquelle ils se trouvaient. Les ondes cérébrales ensuite observées sont associées à différentes fonctions qui viennent servir quotidiennement un but dans notre vie. Par exemple, l’activité des ondes dites « alpha » croît dans des états de relaxation et de détente. Il en résulte que chaque couleur joue un rôle particulier dans l’expérience du convive.
À chaque couleur son rôle
Ainsi, le vert serait une couleur méditative, relaxante, calme et accueillante adaptée pour le déjeuner ou pour un café avec des personnes que l’on connaît. Selon les résultats et les réactions observées, la couleur orange n’est pas propice à l’apprentissage ni aux traitements de l’information, elle n’est pas non plus romantique et peut se révéler stressante. Le noir semble adapté pour des dîners et des apéritifs sophistiqués, il s’agirait pourtant d’une couleur peu accueillante et ennuyeuse, qui traduirait également des niveaux de concentration faibles. Couleur palpitante, le jaune stimulerait des ondes qui traduisent des états d’excitation et d’éveils élevés mais elle est également une source importante de stress. Un lien émotionnel fort et un haut niveau de créativité font de la couleur rouge une couleur de la romance, plutôt adaptée pour des apéritifs. Le bleu se veut calme, relaxant et accueillant. Cette couleur conviendrait au milieu familial, et serait propice à la créativité et à l’engagement émotionnel mais serait cependant inappropriée au luxe et aux rencontres d’affaires. De son côté, le marron est une couleur neutre, qui dégage de faibles indications dans toutes les longueurs d’ondes ; facile à associer, il favoriserait toutefois la relaxation. Le blanc est une autre couleur neutre qui ne susciterait pas d’émotions et qui est décrite comme une toile de fond sur laquelle les clients pourraient librement vivre n’importe quelle expérience.
Chercher l’originalité
La théorie des couleurs se situe au cœur des stratégies neuromarketing et des préoccupations des professionnels de l’aménagement intérieur. « L’harmonisation des couleurs n’est pas un domaine que les restaurateurs maîtrisent nécessairement. Plusieurs paramètres sont à prendre en considération, comme le choix des coloris, l’éclairage naturel, artificiel, l’orientation de la pièce ou tout simplement la hauteur sous plafond , concède Laurent Marivat. Sur certains chantiers, il arrive que mes clients aient déjà défini des couleurs à leurs goûts, mais il ne va pas forcément s’agir d’un choix qui va faire revenir les clients. L’atmosphère qui s’en dégage n’invite alors pas les clients à passer un agréable moment de par la mauvaise harmonisation des couleurs. » Ce dernier accompagne donc les établissements recevant du public, dont les CHR, dans leur réflexion sur l’aménagement et le design de leurs établissements. « Se mettre à la place du convive, c’est ce que mes clients restaurateurs ont du mal à faire, pour moi, c’est un plaisir. Il faut qu’on réussisse à raconter une histoire. On doit s’attacher à se demander de quelle façon il prendra du plaisir à patienter en attendant son plat », raconte-t-il. L’œil expert des architectes et designers d’intérieur, forts d’une expérience de terrain, est au-jourd’hui crucial pour définir l’identité d’un lieu. La couleur, bien plus qu’un phénomène optique, est l’essence même de l’identité d’un établissement, elle forge son caractère, cible un public et peut inconsciemment déclencher la faim ou l’excitation chez le convive.
L’architecte a récemment participé à la rénovation du restaurant La Casa Mia à Flins-sur-Seine (78). La particularité de cet établissement réside dans le fait qu’il soit composé essentiellement de baies vitrées, une vraie limite pour l’expert, qui ne disposait que d’un seul pan de mur à décorer en matériaux et en couleurs : « D’un même espace, de par la couleur, on aura réussi à marquer différentes ambiances et zones de consommation, indique-t-il, grâce notamment à un rouge toscan chaud, qui invite à la discussion et dynamise l’ambiance. » Le décorateur d’intérieur est ainsi parti de cette couleur prédominante (en rappel sur les banquettes), associée à deux autres teintes, le bleu sur les chaises et de légères touches de laiton sur le papier peint, pour créer une harmonie d’ensemble et donner un aspect plus gastronomique à ce restaurant.