Le nouveau segment superstar

  • Temps de lecture : 5 min

Les brasseries parisiennes se définissent en partie par leur ouverture sur une large plage horaire. Encore faut-il savoir animer tous les créneaux. Or, celui du petit déjeuner est en plein boom, dont il serait dommage de ne pas profiter.

« Même si le cœur de métier des brasseries est plutôt le déjeuner ou le dîner, il faut que ces professionnels s’emparent du petit déjeuner. C’est une vraie opportunité de faire la différence. » Cette opinion, exprimée par Blandine Daugenet, responsable marketing pour Bridor, se base sur des données chiffrées. The NPD Group, dans son analyse de 2017, « Le boom du p’tit déj », relève que le segment a gagné 13 points en visites entre 2012 et 2016, et que dans un marché global de la restauration, qui a vu sa fréquentation augmenter d’1% en 2016, le petit déjeuner, lui, a crû de 5% sur la même période. Maria Bertoch, experte pour The NPD Group, considère que « le petit déjeuner est le nouveau segment superstar » , et que deux phénomènes forts expliquent cette tendance : l’ouverture de nombreux coffee-shops et l’évolution des habitudes des consommateurs, plus nomades (70% des visites petit déjeuner se font à emporter en 2016). Selon la même étude, les grands gagnants de ce boom, avec des croissances à deux chiffres en 2016, sont les sandwicheries et les coffee-shops. Mais rien n’empêche les brasseries de tirer leur épingle du jeu.

Une touche d’originalité

Les patrons de brasseries peuvent tenter de se différencier par une offre originale. Blandine Daugenet propose ainsi les B’Break de Bridor, et notamment la variante aux 5 céréales et fruits secs, qui évoque le müesli, un élément qui, d’après elle, s’invite de plus en plus dans le petit déjeuner des Français. Et, de manière générale, le client est de plus en plus demandeur d’une offre healthy. La Brasserie d’Aumont, située au sein de l’hôtel de Crillon, A Rosewood Hotel, a ainsi développé une formule « Bien-être » comprenant jus détox, thé, omelette blanche, granola maison, açai bowl, etc. « À l’ouverture, en 2017, ces demandes étaient rares et réalisées seulement sur commande. Puis, elles sont devenues quotidiennes, au point que nous avons fini par créer cette formule », explique Aurélie Ponce-Baldassari, directrice de la restauration de l’Hôtel de Crillon.

Pierre Daridan, directeur de la brasserie La Coupole, n’a pas fait le même choix. Il compte retravailler l’offre matinale de sa brasserie en y ajoutant prochainement des œufs brouillés au chariot – en plus des œufs à la coque qui font déjà partie de l’une des formules de l’établissement. L’avantage de ces deux préparations étant qu’elles n’empiètent pas sur la mise en place du déjeuner. De la même manière, la brasserie Lazare, ouverte depuis cinq ans, a mis des œufs à sa carte voici six mois, en réponse à une forte demande, notamment de la part de sa clientèle étrangère.

Et beaucoup de tradition

Tout miser sur l’originalité de l’offre serait toutefois une erreur. Tous les professionnels interrogés insistent sur le fait que ce sont les classiques du petit déjeuner à la française qui sont principalement attendus par la clientèle. Les best-sellers de Bridor demeurent ainsi le croissant et le pain au chocolat, suivis par le pain aux raisins et le chausson aux pommes.

« Notre clientèle veut plutôt des choses simples, rassurantes, très françaises, assure Clarisse Ferreres, associée du restaurant Lazare. Ceux qui voudraient des bowls, par exemple, ne viennent pas les chercher en brasserie. » Ainsi, l’unique formule à 11 € du Lazare comporte boisson chaude et jus pressé, ainsi qu’une viennoiserie ou une tartine, soit tous les indispensables d’un petit déjeuner de brasserie. Et cette offre fonctionne très bien : le restaurant est toujours complet au petit déjeuner, littéralement « pris d’assaut », selon Clarisse Ferreres, qui précise que mieux vaut réserver pour ce créneau.

« Les clients retiennent surtout deux choses du petit déjeuner : la qualité du pain et des viennoiseries, et celle du café », ajoute Aurélie Ponce-Baldassari. Car la présence des produits classiques ne suffit pas : encore faut-il qu’ils soient qualitatifs, d’où l’importance de les sourcer et d’indiquer sur la carte la marque de thé proposé, l’origine des viennoiseries, voire leur composition, si par exemple un beurre labellisé est utilisé ou si les jus sont pressés maison.

Mais le problème qui se pose alors est celui du positionnement tarifaire. Car, selon Pierre Daridan, « aujourd’hui, les gens font attention au rapport qualité-prix, mais aussi aux petits prix. Un établissement comme La Coupole doit essayer de perdre son image de restaurant cher et proposer des offres moins coûteuses, pour s’ouvrir à une nouvelle clientèle ». En vertu de ce principe, une offre à 4,50€ a été ajoutée aux deux préexistantes, tarifées à 7,50€ et 13,50€, lors de la reprise de La Coupole par le groupe Bertrand en 2017. Et le chiffre d’affaires au petit déjeuner a également doublé depuis les travaux menés l’an passé, notamment grâce à la rénovation de la terrasse. Car l’un des atouts des brasseries, par rapport aux bistrots souvent plus exigus, est d’offrir un environnement reposant et de l’espace, et donc de permettre les rendez-vous d’affaires. Le petit déjeuner devient justement l’un des moments privilégiés pour les réunions de travail.

Avantages et inconvénients d’une brasserie d’hôtel

Une brasserie incluse dans un établissement comme l’Hôtel de Crillon a des atouts évidents. Elle peut mobiliser les ressources du reste de l’offre de restauration de l’hôtel, que ce soit en termes de personnel ou de produits. La carte du petit déjeuner de la Brasserie d’Aumont comporte ainsi une omelette à la truffe et les clients peuvent commander des plats ne figurant pas au menu. Mais un grand pouvoir implique de grandes responsabilités : dans un hôtel, le petit déjeuner est doublement important. Non seulement il est le repas qui débute la journée, mais il est aussi la dernière impression que le client garde en quittant l’hôtel. Car ceux qui viennent petit-déjeuner à la Brasserie d’Aumont sont à 80 % également clients de l’hôtel. Pour le personnel, cela représente à la fois un avantage et une charge supplémentaires. « Pour que le petit déjeuner soit attractif, le service doit être efficace, c’est-à-dire rapide, mais également doté d’une capacité d’interaction, note la directrice de la restauration de l’Hôtel de Crillon. On peut par exemple créer un lien en demandant au client si sa nuit s’est bien passée ou si le shopping prévu la veille s’est bien déroulé. » Un autre enjeu important pour une brasserie d’hôtel est de parvenir à attirer une clientèle extérieure. La Brasserie d’Aumont y parvient notamment grâce à l’existence de l’entrée située rue Boissy-d’Anglas, qui facilite l’accès aux clients qui seraient intimidés à l’idée de franchir la grande porte de l’établissement, sur la place de la Concorde.

PARTAGER