Le poids des émissions carbone d’un restaurant à la loupe

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L’association Slow Food a calculé l’empreinte carbone des Résistants, un restaurant parisien ayant mis en place des pratiques vertueuses et un approvisionnement direct sans pour autant donner dans le locavorisme. Elle a fait la comparaison avec des restaurants classiques ayant une fréquentation équivalente et réalisant des émissions jusqu’à 4,5 fois supérieures. Au-delà de son impact sur la planète, la manière de travailler des Résistants séduit les clients par sa transparence.

L'équipe des Résistants, restaurant parisien du 10ème arrondissement. Crédit l'Auvergnat de Paris.

Le locavorisme, la réduction de l’empreinte carbone, sont des idées qui commencent à cheminer dans l’esprit des restaurateurs. Faute de points de repère, ces considérations restent toutefois assez abstraites pour les professionnels installés dans de grandes agglomérations. L’association Slow Food, qui défend des pratiques alimentaires vertueuses, notamment dans la restauration, vient de se pencher sur cette question à partir du cas de l’un de ses adhérents, Florent Piard, créateur de Résistants, rue du Château-d’Eau (Paris 10e). Elle a ainsi fait réaliser par la société de conseil Indaco2 une étude sur la réalité de l’empreinte carbone d’un restaurant s’efforçant de mettre en place des pratiques vertueuses.

Le cas de ce restaurateur de 33 ans est particulier. Après avoir travaillé dans le département fusion-acquisition d’une banque d’affaires, il a décidé en 2015 de changer d’orientation, pour s’engager dans un projet plus concret. Il y a trois ans, il a ouvert Les Résistants, rue du Château-d’Eau (Paris 10e). Il souhaitait, à travers ce projet, aller à contre-courant des pratiques habituelles pour mettre en avant les terroirs français dans une relation directe avec les producteurs. C’est cette relation qui a été la plus longue à mettre en place. Pendant près de deux ans, le jeune entrepreneur a sillonné la France pour aller à la rencontre de 250 producteurs et sourcer des approvisionnements directs. Il a ainsi noué une relation durable avec 120 d’entre eux, mais aussi une centaine de vignerons. Ils alimentent tous directement le restaurant, sans intermédiaire. Pour parvenir à ce résultat à des coûts abordables, le restaurant réalise des commandes importantes auprès de chaque acteur. Il fait par exemple venir des carcasses entières. « Nous achetons des vaches à hauteur de 550 kg, explique Florent Piard. Au départ, nous faisions devenir des demi-carcasses ou des carcasses, que nous partagions avec des confrères. Mais depuis septembre, nous avons ouvert un second restaurant, L’Avant-Poste. Nous pouvons donc faire venir un animal entier. »

En dix jours, les deux restaurants peuvent utiliser une vache ou un porc entiers. Toutes les pièces de la carcasse sont utilisées. Grâce à des recettes adaptées comme des bourguignons ou des pot-au-feu, les avants de l’animal sont écoulés. Cela implique bien sûr des menus qui évoluent en permanence et quotidiennement, même d’un service à l’autre. Les approvisionnements sont toutefois très variés, puisque le chef a le choix entre 9 races bovines, 7 races porcines, 7 races ovines et 4 races avicoles.

  

1 000 VARIÉTÉS

Dans le même ordre d’esprit, le patron a sélectionné des petits maraîchers (parcelles de 1 à 3 ha) qui travaillent en bio et proscrivent en outre le cuivre et le souffre. Le restaurant a ainsi accès dans l’année à plus de 1 000 variétés de fruits, légumes, légumineuses et herbe. Côté vins, Florent Piard sert exclusivement des vins bio, sans intrants, voire naturels ou contenant une dose de soufre très réduite.

Le restaurateur a vraiment poussé sa démarche jusqu’au paroxysme. Même le sel utilisé par le restaurant est expédié en directement vers Les Résistants par un saulnier installé dans les marais salants de La Barre-de-Monts, près de Noirmoutier. « Le seul produit que nous avons échoué à faire venir en direct, c’est le poisson, confesse Florent Piard. Son transport représente un casse-tête logistique que nous ne sommes pas parvenus à résoudre. Nous nous sommes adressés à un intermédiaire, Guillaume Gréaud (Ictus/ex-Poiscaille), qui connecte chaque nuit le chef de cuisine avec son réseau de pêcheurs. » Les captures proviennent toutefois de petits bateaux de moins de 12 m qui effectuent des sorties à la journée. La démarche de ce restaurant n’a cependant rien de locavore, même si son champ d’investigation en matière de produits est limité à la France. Les seules productions franciliennes utilisées sont des fruits, mais aussi les champignons de Paris ou les pleurotes et shiitakés achetés à un producteur de Méry-sur-Oise (Val-d’Oise).

L’IMPACT SUR L’ENVIRONNEMENT ?

67,34 TONNES DE CO2

Le bilan carbone des Résistants effectué par Indaco2 estime que le restaurant rejette annuellement 67,34 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions d’une voiture parcourant 187 064 km. Cela représente 2,24 kg de CO2. Ce bilan reste plutôt mesuré, puisque Slow Food indique qu’à fréquentation égale (30 000 repas/an), un restaurant traditionnel qui proposerait un menu identique unique, mais aurait recours à des distributeurs conventionnels, rejette deux fois plus d’émissions carbone (134 tonnes de CO2). Enfin, un restaurant se fournissant de manière classique qui ne fait pas d’efforts en matière de gestion des déchets et de la nourriture, qui propose des menus différents essentiellement basés sur la viande et les produits laitiers, présente un impact carbone 4,5 fois supérieur aux Résistants (301 tonnes de CO2).

La viande représente 13 % en volume des approvisionnements du restaurant. Grâce à cette utilisation mesurée des produits carnés, Florent Piard réduit fortement son empreinte. Il faut savoir que la viande est un produit critique, puisqu’à elle seule, elle représente 52 % des émissions de CO2 de l’établissement. Ce calcul intègre naturellement le poids des transports. Ce critère est déterminant, puisqu’il représente 94,9 % des rejets de carbone des Résistants. « Faire venir en direct une carcasse produite par un éleveur responsable présente un impact carbone réduit, assure Florent Piard. Mais c’est à partir du moment où l’on achète chez un distributeur de la viande produite en Pologne provenant d’animaux alimentés avec des céréales brésiliennes que le bilan va se détériorer en conséquence. »

Le restaurateur reconnaît toutefois que sa manière de travailler implique deux efforts. Le premier se déroule en cuisine, où le chef doit adapter ses recettes en permanence aux arrivages et aux saisons. En travaillant avec des approvisionnements directs, il a besoin de surfaces de stockage importantes (80 m², dont une chambre froide de 9 m²). Florent Piard, comme quelques autres restaurateurs parisiens issus de la nouvelle génération, travaille selon un modèle très différent de la plupart de ses confrères. Les clients n’ont peut-être pas vraiment conscience de ce bilan carbone vertueux, mais ils sont largement séduits par l’origine garantie des produits qui leur sont servis. La rentabilité est en effet au rendez-vous, puisque ce restaurant de 60 places sert en moyenne 130 couverts jour, avec un ticket moyen de 20 € lors du déjeuner et 40 € au dîner. Cette activité soutenue a permis au jeune entrepreneur d’ouvrir un second restaurant, L’Avant-Poste, au bout de deux mois d’exercice.

Infographies © SOURCES INDACO2

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