Le raz-de-marée de la dématérialisation

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La digitalisation a conquis le marché de la restauration depuis plusieurs années déjà, mais force est de constater que la crise sanitaire a amplifié le phénomène. Plus une typologie d’affaires n’échappe aujourd’hui à ces solutions numériques dédiées, et le digital s’est imposé comme un levier incontournable de chiffre d’affaires.

Les yeux vissés sur sa tablette numérique, Lucien Robert visualise un flot de commandes s’accumuler sur son écran. Les plateformes Deliveroo et UberEats semblent lui donner du grain à moudre tandis que la vente à emporter (VAE) apparaît plutôt anecdotique. En parallèle, il gère ses stocks ou les dates de péremption de ses produits avec E-Pack Hygiene et scrute sa comptabilité à l’aide de son logiciel de caisse Tiller, start-up française récemment avalée par le groupe SumUp. Doucement mais sûrement, Lucien Robert, qui exploite un restaurant spécialisé dans les viandes premiums, a vu les outils numériques s’imposer en cuisine comme en salle. Et depuis la fermeture des restaurants, il « ne connaît plus un patron ou un gérant qui n’a pas recours à une solution numérique, quelle qu’elle soit. » Assurément, la Covid-19 aura imposé la digitalisation à marche forcée, alors que le secteur du CHR est lourdement pénalisé par la crise sanitaire. Selon l’Observatoire Xerfi Spécific, les chiffres sont alarmants : 51 % des indépendants estiment « difficile à catastrophique » la situation de leur trésorerie et le chiffre d’affaires du secteur s’est effondré sur l’ensemble du quatrième trimestre 2020, enregistrant une baisse de 78 % par rapport à 2019. Si toutes les régions sont touchées, les restaurants franciliens et ceux de la région PACA souffrent le plus. Pour XerfiSpécific, le numérique a été salvateur, puisque 64 % des restaurateurs interrogés estiment que les différents outils digitaux les ont aidés à traverser la crise (principalement la réservation, le paiement et les menus en ligne) et près de neuf sur dix continueront à les utiliser. « Les établissements assurant la livraison de repas à emporter ou en livraison à domicile restent ouverts pour préparer les commandes et assurer leur retrait via le click and collect. 75 % d’entre eux rapportent que la vente à emporter est un bon moyen de rester en contact avec la clientèle », note l’Observatoire.

De la prise de commande…

Pour répondre aux nouveaux besoins des restaurateurs, des jeunes pousses et des entreprises mieux installées dans le paysage se taillent la part du lion. Outre les pionniers que constituent Tiller ou L’Addition, on peut citer RXDigital, dont la solution a été lancée par un restaurateur, Laurent Villa. « Certains pensent déshumanisation quand on parle digitalisation, c’est tout l’inverse, explique-t-il. Nous observons dans nos dix brasseries digitalisées depuis 2017, que nos équipes en salle ont plus de temps pour accueillir et conseiller le client, le stress en moins de mal noter la commande. Nous avons noté que notre outil dégage en moyenne 30 % de temps technique à nos équipes. » Alors que les établissements de France et de Navarre ont le rideau baissé, RXDigital présente bien des avantages. Le client passe commande depuis son smartphone via une application gratuite. Cette commande est directement envoyée en cuisine aux postes concernés pour qu’ils entreprennent la préparation. En salle, le responsable et les équipes disposent aussi d’une interface (RXserveur) qui leur permet d’identifier immédiatement le client par son nom et prénom, contribuant à humaniser la relation. Le client paye toutefois (dans la majorité des cas) sa commande en ligne. « La transmission instantanée aux cuisines, le suivi de commande et le paiement en ligne permettent d’agir efficacement sur la productivité du restaurant, martèle Laurent Villa. Par ailleurs, notre outil RXDigital permet aussi de gérer le marketing par le digital en proposant directement des off res personnalisées aux clients, sur le principe du yield management comme cela se fait déjà dans l’hôtellerie. Cette digitalisation de l’activité augmente le chiffre d’affaires et donc l’excédent brut d’exploitation (EBE). Alors que l’EBE est en moyenne de 10 à 17 % pour un bon gérant, celui de nos restaurants est à 22 % grâce à RXDigital. » Cette solution vient d’ailleurs d’être étendue à la livraison via l’application RXEat.

« Certains pensent déshumanisation quand on parle digitalisation, c’est tout l’inverse. »

… À la gestion des textiles

Si la gestion et l’encaissement des commandes figurent parmi les éléments les plus digitalisés, d’autres paramètres qui composent la vie d’un établissement, fermé ou non, peuvent aussi être dématérialisés. L’ogre digital s’invite parfois là où on ne l’attend pas et notamment… dans les vêtements professionnels. Initial, la marque de location-entretien de textile du groupe Rentokil-Initial innove avec ID.Track, un service proposé à partir du marquage RFID UHF des vêtements de travail dans une démarche de simplification du suivi des collectes et des livraisons. Cette solution repose sur une puce RFID Ultra haute fréquence (UHF) intégrée dans les textiles ; une technologie dite « sans contact » permettant aux vêtements d’être scannés. Ce service garantit aux usagers la « traçabilité des articles en temps réel tout au long des cycles de rotation, depuis la collecte du linge sale jusqu’à la livraison du linge propre sur le site du client. » La digitalisation conserve de beaux jours devant elle… La crise sanitaire engendre incontestablement de nouveaux usages qui devraient perdurer et même s’imposer définitivement sur le devant de la scène numérique. Certains restaurateurs ont accéléré leur transformation digitale. Mais, si la plupart des professionnels se sont tournés vers la digitalisation, d’autres sont fermés depuis des mois, estimant qu’ouvrir partiellement ne serait pas rentable. Il s’agit peut-être d’un postulat à reconsidérer.

Le phénomène dark kitchen

En matière de digitalisation, c’est la tendance la plus marquante de 2020 : le développement des dark kitchens ou « cuisines fantômes », ces restaurants sans salle, mais équipés de cuisines entièrement pensées pour la livraison. Précurseur lors de son lancement en France en 2018, Dark Kitchen, cofondé par le restaurateur Jean Valfort (Astair, Zola, Bocca Nissa), est aujourd’hui ancré dans le quotidien des Parisiens et des Bordelais avec plus de 500 commandes par jour sous cinq marques phares ; Fat Fat, Saint Burger, Smash Burger, Mama Tacos et Holy Chick. Pour mener à bien ce projet, Jean Valfort a travaillé pendant six ans sur la R&D du modèle. Aujourd’hui, Dark Kitchen c’est quatre hubs, cinq marques virtuelles sur quatre segments avec des produits frais et de qualité, une chaîne de production optimisée et digitalisée, des packagings spécialement conçus pour le transport ainsi qu’un algorithme sur les habitudes de consommation géolocalisées. Le modèle fait des émules puisqu’en 2020, le groupe Not So Dark a levé la modique somme de 20 M€. Le principe demeure le même, avec des marques virtuelles conçues exclusivement pour les plateformes de livraison. Not So Dark est à l’origine de ComoKitchen, Gaïa, JFK, Recoleta, Maison dumplings, 6AM et Torpedo.

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