L’épicerie s’impose dans la restauration

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À défaut de pouvoir accueillir leurs clients et de proposer de l’alcool en dehors de la vente d’un plat à emporter, les restaurateurs ne peuvent plus compter que sur la livraison et la VAE. Pour attirer l’œil et varier les leviers de chiffre d’affaires, bon nombre d’entre eux ont créé des corners assurant la vente de produits d’épicerie. Une activité hybride qui devrait perdurer après la crise sanitaire.

Mathieu Boulay qui a ouvert, avec Jacques-Marie André et Hadrien Fondsera, L’Apéro Saint-Martin, un bar-restaurant-épicerie situé quai de Jemmapes (Paris 10e), ne pensait probablement pas être à l’origine d’une offre vouée à se pérenniser quand il s’est lancé dans la restauration en 2018. L’Apéro Saint-Martin a misé sur le concept fédérateur de l’apéritif français ; un credo qui trouve bien des adeptes en temps de pandémie. Le succès est tel que l’établissement dispose de sa plateforme de vente en ligne et de click & collect. On retrouve aussi les vins, les terrines, fromages et autres salaisons de L’Apéro Saint-Martin sur epicery.com, plateforme web qui a affiché une croissance fulgurante durant la crise sanitaire. Si l’offre de Mathieu Boulay est aujourd’hui parfaitement structurée, d’autres restaurateurs ont découvert le métier d’épicier avec le confinement. Corso, concept de brasseries parisiennes à l’accent italien qui compte trois unités à Paris (deux autres ont baissé le rideau), a mis ainsi en place son offre d’épicerie depuis le début de l’année.

L’établissement, qui a ouvert ses portes en 2007, a connu une véritable révolution dans sa façon de capter la clientèle. Cette cantine de quartier est parvenue, grâce à la vente à emporter de plats et de produits d’épicerie, à maintenir un lien étroit avec les habitués tout en servant les clients de passage. Les penne sauce boscaiola connaissent un franc succès et proviennent directement des cuisines de Corso mais, concernant l’épicerie et la vente de produits frais, le restaurant s’est allié à Terroirs d’Avenir, distributeur qui promeut l’agriculture paysanne et la pêche durable. « Nous avons développé la vente à emporter lors du second confinement, puis l’épicerie dans la foulée. Au début, nous vendions les paquets de pâtes que nous utilisons pour nos plats, ensuite nous avons ajouté des pâtisseries, des biscuits, des produits frais comme la mozzarella, des conserves, des fruits et légumes », égraine la responsable de Corso.

La profusion des produits attire l’œil des passants. 

Un modèle pérenne ?

La responsable du Corso explique que l’épicerie est devenue un incontournable et les patrons de l’établissement, Arthur Lemaire et Thierry Costes, entendent maintenir un corner dédié à la vente de ce type de produits. « Les consommateurs ont changé leurs habitudes, ils sont plus nomades et mangent à l’extérieur, donc nous allons poursuivre cette activité », indique-telle. Si cette vente additionnelle ne représente pas un formidable levier de chiffre d’affaires, elle permet « de perdre moins d’argent que si le restaurant était fermé » et, en attendant la réouverture des établissements, « l’épicerie a le mérite de créer de l’offre et donc de la demande » avec des étals garnis de mets alléchants.

La responsable de Corso ne raisonne plus en panier moyen, mais fait état de tickets allant de 1 € pour le café à emporter, jusqu’à 80 € pour les clients qui assurent ainsi leurs courses de la semaine. La mise en place d’une offre d’épicerie n’est pas l’apanage des établissements de quartier. Le Bouillon Pharamond, véritable paquebot habitué aux forts volumes de clientèle, s’est lui aussi jeté dans l’aventure avec une gamme ne comportant pas moins de 400 références. Les deux associés qui pilotent cette institution, Christophe Prechez et Benjamin Moreel, ont mis les petits plats dans les grands en inaugurant une enseigne dédiée en face de l’établissement : Le Petit Bouillon Pharamond, l’épicerie. « Avec le restaurant, nous étions dans une démarche de mettre à l’honneur les producteurs normands et nous avions déjà l’ambition d’ouvrir une épicerie. Nous avons accéléré ce projet durant le confinement », témoigne Christophe Prechez.

Christophe Prechez et Benjamin Moreel ont lancé Le Petit Bouillon Pharamond L’Épicerie.

Ce dernier et son associé ont ainsi mis la main sur un local de 90 m permettant la mise en œuvre des plats commercialisés le midi en VAE (il n’y a pas de livraison) et la vente des produits d’épicerie : fromages, terrines, fruits et légumes, farines et pâtes, confiseries et confitures, etc. « Cela ne permet pas d’éponger les charges du Bouillon Pharamond qui demande un grand volume de couverts, mais l’offre traiteur fonctionne bien, tout comme la vente de charcuteries et de fromages. L’épicerie est un complément pour un client qui achète par exemple un bœuf bourguignon et qui repart avec des gâteaux et du vinaigre en plus de son plat. Nous proposons aussi une cave à vins dont les ventes sont bonnes » , dévoile-t-il.

En lançant Le Petit Bouillon Pharamond, Christophe Prechez et Benjamin Moreel ne sont plus de simples restaurateurs. Ils assurent désormais un nouveau métier hybride avec une offre d’épicerie qui viendra appuyer l’activité du restaurant le moment venu : « Nous voyons cela comme un accompagnement du restaurant avec une vitrine de producteurs qui met en avant leur travail. Économiquement, nous pensons que l’épicerie va se développer car les consommateurs sont en quête de produits régionaux. » Là encore, les deux patrons misent sur le volume de vente car la marge sur les produits d’épicerie est faible, notamment pour conserver des prix accessibles et rester fidèle à l’esprit bouillon. Le ticket est ainsi très variable, entre 10 € et 70 €, et trois salariés sont mobilisés pour assurer le bon fonctionnement de l’annexe.

400 références sont disponibles au Petit Bouillon Pharamond. 

Les chefs aussi 

L’épicerie n’est pas que la nouvelle activité de certains restaurateurs, elle est aussi l’affaire de chefs qui proposent leur cuisine en bocaux. Après avoir lancé son offre « Dwich » (une gamme de sandwichs), le chef Nathan Helo de Dupin propose désormais ses plats réconfortants en bocaux.Il met à l’honneur des classiques comme la blanquette de veau ou la daube de sanglier avec sa polenta crémeuse. D’autres bocaux à partager à l’apéritif sont proposés par le chef, comme une terrine de sanglier ou des rillettes de sardines et moutarde à l’ancienne. Ecaterina Paraschiv, la cheffe à l’origine d’Ibrik Café et d’Ibrik Kitchen a elle aussi conditionné ses recettes emblématiques en bocaux : on retrouve des plats mijotés traditionnels comme les Sarma (roulés de feuilles de chou fermenté renfermant une farce de porc et riz) ou encore le goulash de poulet. Des grands noms des fourneaux, à l’instar d’Olivier Nasti et de Joseph Viola, ont également enfilé la casquette d’épiciers. Tous témoignent d’un complément d’affaires non négligeable à la VAE et la livraison durant cette période inédite de fermeture des établissements.

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