Alors que le chiffre symbolique des 2 000 restaurants participants est attendu pour cette édition anniversaire, du 30 septembre au 13 octobre, l’opération Tous au restaurant, imaginée par Alain Ducasse, s’est imposée comme le rendez-vous national incontournable de la promotion de la gastronomie française. Une place en tête de gondole favorisée par la disparition progressive de l’autre grand rendez-vous annuel : la Fête de la gastronomie.
L’opération Tous au restaurant repose sur un principe simple : votre invité est notre invité. Ainsi, dans chaque établissement participant, pour un menu acheté (entrée-plat-dessert), le second est offert. Mais derrière L’ cette accroche promotionnelle réside l’envie de fédérer des clients et une profession autour de la gastronomie française. C’est ce que rappelle Stanislas Leblanc, directeur de l’opération : « Notre ambition est de démocratiser l’accès aux belles tables de France, ainsi que de mettre en avant notre industrie auprès du grand public. On veut donner envie aux gens de s’intéresser à la restauration dans son ensemble et, pourquoi pas, de susciter des vocations. »
LA FOURCHETTE À LA BAGUETTE
Lors de la première édition, en 2010, Tous au restaurant réunit une petite centaine de restaurateurs. Le succès est rapide, puisque dès la seconde année, ce sont 1 000 établissements qui rejoignent l’aventure. En 2018, près de 1 800 participants sont recensés et la barre des 2 000 devrait être franchie le 30 septembre, date de l’ouverture de l’opération 2019. Étalée sur deux semaines, la frénésie Tous au restaurant démarre pourtant quelques jours plus tôt, à l’ouverture des réservations. Chapeauté par La Fourchette, qui est devenue propriétaire de l’événement depuis quatre ans, le site internet de l’opération permet le contact entre le client et le restaurateur.
FAIRE AVANCER LES CHOSES
Selon Stanislas Leblanc, « il est possible de réserver sa table partout et à toute heure. De notre côté, ça rend le projet beaucoup plus fluide et clair, notamment pour suivre les réservations et garantir aux restaurateurs un affichage complet. Pour ces derniers, aussi, la plate-forme est primordiale : c’est là qu’ils s’inscrivent, qu’ils déterminent leurs jours de participation, détaillent leurs menus, leurs prix, etc. »
Côté professionnels, justement, on peut se demander ce que représentent ces deux semaines, mais également ce qu’elles leur apportent. François Gagnaire, de L’Anicia, considère l’opération comme une vitrine nécessaire : « À l’heure d’Uber Eats et de Deliveroo, c’est une façon intéressante de reconnecter les gens avec la salle de restaurant. C’est aussi le moyen de rappeler ce qui fait l’essence de notre patrimoine culinaire : la cuisine de saison, de marché, le travail en direct avec les producteurs, etc. » Un avis partagé par Pierre Sang Boyer, propriétaire de plusieurs restaurants parisiens : « C’est le moment ou jamais pour affirmer sa cuisine et ses valeurs. Les miennes sont profondément liées au terroir et à ma région ; alors, si je peux sensibiliser des clients et leur parler de la Maison Laborie dans le Cantal, où je me fournis en jambon et en saucisson, ou des noisettes du Mézenc, en Haute-Loire, j’ai l’impression d’avoir accompli quelque chose. Certes, pendant deux semaines, on ne gagne pas forcément d’argent sur ces menus, mais à un moment donné, il faut savoir perdre pour faire avancer les choses. »
Stanislas Leblanc reconnaît qu’au départ, les professionnels nourrissaient des réserves quant aux conséquences d’une telle opération sur leurs chiffres d’affaires. « C’est secondaire, assure-t-il. Au départ, il n’y a pas d’objectif de rentabilité ! C’est un peu comme la Fête du cinéma : ça permet de bénéficier d’un levier et d’une promesse forte. C’est aussi au patron d’adapter son off re, de voir s’il implique tout son restaurant ou seulement une partie. Et s’il ne gagne pas d’argent durant ces deux semaines, il n’en perdra pas forcément non plus. Il ne faut pas négliger les ventes additionnelles sur les boissons, etc. »
CLIENTÈLE DE PROFITEURS
Quant aux retombées sur le long terme, « on les espère, mais elles sont difficiles à quantifier, souligne le chef auvergnat François Gagnaire. Mais rien qu’en termes de communication et de fréquentation, c’est une réussite. » Pourtant, chez certains, cette visibilité est à double tranchant. David Rougier, qui a participé à l’événement il y a deux ans avec son établissement Coup d’Œil, en garde un souvenir amer : « Certes, j’étais complet tous les midis, mais ça a amené une clientèle majoritairement constituée de profiteurs qui se désintéressaient de ma cuisine et de ma démarche. Il n’y avait aucun plaisir ou dialogue. Ils étaient là pour les – 50 % et ne daignaient même pas prendre une eau, un café ou découvrir un vin, alors que je suis une cave à manger ! Bref, j’ai subi ces deux semaines. Sur le principe, cet événement est intéressant, mais dans les faits, je ne crois pas qu’il serve à démocratiser la gastronomie. »
Lors de sa première participation, François Gagnaire avait engagé l’ensemble de son établissement dans l’opération.
Tous au restaurant, les chiffres 2018
Typologie des participants :
1779 établissements participants
80% de restaurateurs indépendants
110 établissements étoilés, mais aussi de grands groupes
Données économiques :
52€ de ticket moyen
18€ en tarif d’entrée de gamme
440 réservations à la minute
Internet :
15 millions de pages vues
300 000 connexions dès la première heure d’ouverture des réservations
200 000 réservations en ligne
Vers un enterrement de la Fête de la gastronomie
Jusqu’en 2017, Tous au restaurant était partenaire d’une autre opération d’ampleur sur le territoire : la Fête de la gastronomie.
Créé en 2011 sous l’impulsion du ministère de l’Économie et dirigé par Sophie Le Bouleise Mise, puis par Jean-Jacques Pinet, cet événement, programmé sur un week-end en septembre, était devenu un rendez-vous populaire visant à favoriser les initiatives locales et les rencontres autour de la gastronomie, du produit à l’assiette.
Mais sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’événement a intégré le festival Goût de France imaginé par Alain Ducasse (visant à promouvoir la cuisine française à l’international, sous la conduite du ministère des Affaires étrangères). Certains dénoncent même dans cette extinction en douceur le résultat d’une opération de lobbying du célèbre chef, qui n’a jamais porté ce rendez-vous dans son cœur. Décalée au printemps 2019, la fête a vu son impact habituel réduit, même si de belles actions ont encore été menées. C’est le cas par exemple avec Claude Carat, président de l’association « Les amis de la Fête de la gastronomie », qui se désole de la tournure prise par les événements : « C’était une fête pour le peuple ! Où est le peuple avec Goût de France ? C’est très bien pour l’étranger, mais sur le territoire, la Fête de la gastronomie avait beaucoup plus de sens. Son esprit va sans doute perdurer grâce à des initiatives fortes (NDLR : on pense au Week-end gourmand du chat perché à Dole), mais sans le label étatique en soutien, l’impact ne sera pas le même, ça risque de se désagréger. » Si pour l’instant, aucune annonce officielle n’a été faite, tout porte à croire que la Fête de la gastronomie n’aura pas lieu en 2020.