Déjà populaire, la restauration italienne a connu ces dernières années des évolutions qui ont renforcé sa réussite. À Paris, l’essor de nouvelles enseignes spécialisées comme Big Mamma, la passion pour les pizzas, le succès des trattorias ou des restaurants gastronomiques en sont la preuve. C’est aussi le regard des Français sur la cuisine transalpine qui s’est trouvé renouvelé.
En trois ans, la restauration italienne dite « à table » a encore progressé en France. L’agence CHD expert, spécialisée dans les bases de données sur la consommation hors domicile, a comptabilisé cette année 14 000 restaurants de ce type sur notre territoire. Il y en avait 12 000 en 2017. Durant cette même période, les restaurants rapides (fast-foods) proposant de la cuisine italienne ont perdu du terrain : ils étaient 10 300 en 2017, et l’on n’en compte plus que 9 300 aujourd’hui. Ces chiffres témoignent de la montée en puissance des mets transalpins. Le panier moyen des restaurants italiens est également en progression et cette cuisine semble être considérée différemment par les consommateurs français.
Pizzas premium, la tendance du chic
« Depuis une quinzaine d’années, il y a une premiumisation de la pizza, considère Nicolas Nouchi, directeur des études de marché pour CHD expert. Avec la Pizza chic (rue de Mézières, Paris 6e), c’est la première fois que l’on pouvait constater les lettres de noblesse de la pizza, à travers des ingrédients de qualité et une bonne farine. C’est assez fréquent aujourd’hui de trouver un restaurant dans lequel vous pouvez manger une pizza même si vous intolérant au gluten. On apporte un bien-être avec une farine et un fromage de plus en plus travaillés. Il y a une premiumisation à travers l’assiette, la pizza al taglio [à la coupe, NDLR] a moins bien fonctionné que prévu en France. Le consommateur français aime manger sa pizza assis, de façon traditionnelle. » Il est difficile d’établir un classement des meilleures pizzérias de Paris, tant les bonnes adresses se sont multipliées.
Dans son classement 2020 publié en septembre, le site italien 50 Top Pizza recense six pizzérias parisiennes parmi le gratin européen (hors Italie). Le restaurant Bijou (Paris 18) s’est placé cette année sur la troisième marche de ce podium continental. L’établissement du chef Gennaro Nasti assure éveiller « la curiosité et le palais des gourmets » . Déjà à la tête de l’enseigne Popine (deux restaurants et un point de VAE, Popinette), Gennaro Nasti a créé Bijou pour « associer la cuisine gastronomique à la pizza », précise Simona Ena, directrice de l’établissement.
La pizza Tonno e Cipolla de Bijou récompensée par le Top 50 pizza.
Les pizzas sont faites ici avec des produits bio et la pâte est à base de blé complet ou semi-complet, de multicéréales et parfois même mélangée avec du champagne (cuvée Laurent Perrier). C’est la touche de la « pâte Bijou », avec laquelle est présentée la pizza Tonno e cipolla (thon rouge et oignons caramélisés), récompensée par le 50 Top Pizza. Mais cette pizza a aussi un coût bien plus élevé (35 €) que la plupart des pizzas proposées dans d’autres établissements parisiens de qualité.
Pizzas napolitaines, un savoir-faire unique du sud de l’Italie
S’il y a un style de pizza dont les Parisiens parlent aujourd’hui, c’est bien la napolitaine. De nombreuses enseignes se targuent de faire des pizzas napolitaines, mais toutes ne peuvent pas se revendiquer du véritable savoir-faire du sud de l’Italie. Il y a derrière cette pizza une tradition. « En France, nous sommes cinq à avoir le label de la Vera pizza napoletana, précise Guillaume Grasso, dont le restaurant éponyme (Paris 15) possède l’appellation attribuée par l’association Verace pizza napoletana. Il y a un cahier des charges à respecter, ce sont des contraintes, mais c’est un plaisir de voir la clientèle satisfaite. »
Guillaume Grasso est l’un des seuls pizzaïolos de France à avoir le label de la vraie pizza napolitaine.
La napolitaine présente une taille standard comprise entre 25 et 35 cm de diamètre et des bordures visibles mais fines. Elle doit être moelleuse et légèrement croustillante, après avoir été cuite au four à bois. « Nous sommes sur un temps de cuisson plus court », confie le cuisinier issu lui-même d’une famille napolitaine, et membre cette année encore du classement européen 50 Top Pizza (26). La question du prix n’est pas éludée par Guillaume Grasso. Si sa carte propose une pizza au caviar (facturée 95 €) –« en l’honneur de la pizzéria historique » de sa famille à Deauville – les pizzas de son établissement ne dépassent pas 18 €. Et ses six différentes Margherita sont comprises entre 11 et 13 €. Se fournissant à Rungis, où il trouve « des bons produits », Guillaume Grasso travaille six jours sur sept près de son four. Soucieux de la qualité et du service, il se considère davantage comme un « pizzaïolo » qu’un homme d’affaires : « Dans la restauration, il y a un coefficient multiplicateur de base qui est de 4 ou 5. Ici, j’ai un coefficient qui est plus proche d’un restaurant que d’une pizzéria. Mais je veux que tout le monde puisse venir chez moi. »
Décor et concurrence : l’impact des réseaux sociaux
Selon Guillaume Grasso, il a toujours existé de « bonnes adresses » italiennes à Paris, mais la nouvelle vague de restaurants serait venue « avec les réseaux sociaux ». « Avec la démocratisation de Facebook et Instagram, il y a un business qui s’est développé. Il y a une explosion de restaurants italiens et de très bonnes adresses. Mais le pourcentage d’artisans est faible, considère le pizzaïolo. C’est plus du business que de l’artisanat et de la tradition, c’est là qu’on perd l’âme italienne. » La restauration italienne concentre un pouvoir attractif à travers sa nourriture réconfortante mais aussi le décorum de ses établissements.
Le groupe Big Mamma – qui compte aujourd’hui huit enseignes installées dans l’Est (East Mamma, Ober Mamma, Libertino), le centre (Populare, BigLove), l’ouest (Mamma Primi), le nord (Pink Mamma) et le sud (La Felicita) de Paris – a voulu dépoussiérer le visage de la cuisine italienne en lui offrant un look plus urbain et branché, tout en conservant son identité culinaire avec des produits en provenance d’Italie. Plus récemment, le groupe Garry Dorr a lui aussi décliné différentes adresses de restaurants italiens dans une atmosphère italo-américaine et new-yorkaise (The Little Italy, Brooklyn Pizzeria, Manhattan Terraza, Madison Caffe et maintenant Bronx Pizzeria).
La Bronx Pizzeria, dernière adresse de Garry Dorr, reprend l’univers d’un commissariat new-yorkais
À l’instar de ces deux groupes, l’esprit de restauration italienne « sort de l’assiette» , remarque Nicolas Nouchi. « Avec East Mamma ou Mamma Primi, on fait appel à une mise en scène et un décor pour rester dans le folklore italien. Idéalement, il faut être italien pour travailler chez Big Mamma. C’est un critère de sélection dans lequel s’inscrivent une dynamique nocturne et l’atmosphère de la dolce vita à l’italienne », poursuit le manager de CHD Expert. Au sein des 200 places assises de sa dernière enseigne, la Bronx Pizzeria (Boulevard Pereire, Paris 17), Garry Dorr promet de s’appuyer aussi « sur des produits italiens, extrêmement bien sourcés » et une « équipe 100% transalpine » qui « anime le service d’une main de maître, en lançant à la cantonade des benvenuto ».
La décoration de cette trattoria nouvelle génération a été conçue par Pierre Canot, et reprend l’univers d’un New York « sous l’enfer de la prohibition » . Ces nouvelles enseignes veulent attirer aussi une clientèle moins dépensière. Et la stratégie du produit d’appel est un moyen efficace pour créer la demande : la pizza margherita semble avoir été celui-ci. Symboliquement à 5 € lors du lancement de Populare (Paris 2), ce mets simple et populaire est passé ensuite à 9 € puis à 11 € aujourd’hui. Garry Dorr résiste encore dans cette guerre des prix en proposant toujours ce produit d’appel à 5 € à emporter, et à 6 € (Brooklyn Pizzeria) ou 7 € (The little Italy) sur place.
L’esprit familial des Tratorrias
Malgré l’importance prise par les enseignes de groupe, les restaurants italiens plus intimes comme les trattorias ne sont pas en reste. Ouvert il y a neuf ans, Sale e pepe (Paris 18) est une adresse familiale qui satisfait une clientèle de plus en plus nombreuse. « Nous faisons une cuisine très simple, c’est une petite cantine. Nous proposons des pizzas, des pâtes, des carbonaras et nous varions ensuite avec les plats du jour comme des gnocchis, de la viande ou du poisson, énumère Clara Cavallaro, responsable et cogérante du restaurant. Nous avons la chance d’accueillir des gens du quartier, et durant le confinement cela était assez bien pour nous. »
Sale e pepe incarne la simplicité d’une restauration italienne qui a su prospérer. « J’ai commencé avec mon père, puis mon oncle et mon frère sont venus travailler avec nous. Maintenant, nous avons trois restaurants gérés par mes frères et sœurs », ajoute Clara Cavallaro. Depuis quatre ans, Sale e pepe existe également dans le 17 (rue Rennequin) et s’est installé tout récemment boulevard de la Vilette (19). Outre l’atmosphère conviviale, la réussite se trouverait dans « la simplicité et les produits frais », estime la responsable de l’unité de la rue Ramey.
La qualité des produits
Chez Buono sano bello (Paris 19), Brigitte Orlotti fait le même constat concernant l’importance des produits. « L’Italie a gardé le mythe des saisons. J’ai redécouvert la cuisine de produits en Italie. On se rend compte que la cuisine de produits est typiquement une cuisine italienne, plébiscitée pour des raisons écologiques, de bon sens et de goût. » Au sein de ce petit restaurant où l’on travaille aussi en famille, les pâtes fraîches sont fabriquées sur place, les produits sont naturels et les plats sont généralement compris entre 10 et 13 €. Mais la restauration italienne ne se limite pas aux trattorias et aux pizzérias.
Depuis avril 2018, Uncino (Paris 9) propose des menus dégustation constitués de produits biologiques, souvent issus de circuits courts. « La base de ma cuisine est italienne, mais finalement je fais ma propre cuisine, confie Gabriele Muti, chef et propriétaire de ce bistrot gastronomique. Nous faisons des pâtes, mais dans le menu à quatre (40 €) ou six services (58 €), il n’y a qu’un seul choix de pâtes. » Originaire de l’île d’Elbe, ce fils de cuisiniers offre « une cuisine qui prend son temps » . Il aime travailler les produits de la mer, comme le poulpe, la sèche, l’encornet ou encore la langoustine. Avec la volonté de respecter les saisons, Gabriele Muti concède également que « les produits » font la force de la cuisine italienne.
« J’aime cuisiner en monoproduit sur la stratification des saveurs. On essaie d’interpréter un seul produit. Pour une aubergine à la parmesane par exemple, je coupe l’aubergine, je la fais dégorger et je réutilise son eau pour préparer le plat. » La restauration italienne à Paris est décidément multiple et pleine de ressources. Son succès toujours grandissant pourrait prendre davantage d’ampleur.