Lutter contre les clients fantômes

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Envoyer un message de rappel, demander une empreinte bancaire, retenir une somme moyenne en cas d’absence ou encore faire payer le repas en avance. Les restaurateurs envisagent des solutions face aux clients, indélicats ou tête en l’air, qui n’honorent pas leur réservation.

Les clients fantômes peuvent entraîner une perte du chiffre d'affaires estimée entre 15 % et 20 %, d'après Zenchef. Crédits : Andrew Seaman.
Les clients fantômes peuvent entraîner une perte du chiffre d'affaires estimée entre 15 % et 20 %, d'après Zenchef. Crédits : Andrew Seaman.

Toulouse, jeudi soir. Il est 20 h 50 quand des clients – qui avaient pourtant réservé pour 21 h dans l’après-midi en passant devant l’enseigne – appellent pour prévenir de leur retard de trente minutes et annoncer qu’ils ne seront finalement pas deux, mais quatre. Le gérant et propriétaire du Magnum à Toulouse (31), une cave à manger de terroir, doit s’adapter en plein service. Changer son placement de tables, informer la cuisine… Mais il peut s’estimer heureux que ses clients n’aient pas annulé. Pis encore, qu’ils ne soient pas venus du tout, sans prévenir. Cette situation, appelée no-show, que l’on pourrait traduire par « ne pas se présenter », signifie qu’un client ayant réservé une table ne s’est pas déplacé au restaurant, sans annuler sa réservation, laissant une table vide en plein service.

Des conséquences dramatiques pour le restaurateur

Si pour le client, cela peut paraître anodin ; pour les restaurateurs en revanche, les conséquences sont nombreuses. Cela engendre des pertes financières, une perturbation dans l’organisation ou encore un surplus de produits et du gaspillage alimentaire. « Si des gens ne viennent pas, on perd du chiffre d’affaires et cela met à mal l’organisation pendant le service. Cela nous met vraiment en colère, on passe toujours en dernier », affirme Jean Terlon, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) en Île-de-France. Si aucune étude n’existe vraiment pour quantifier ce phénomène, le site de réservation The Fork l’estime à 20 % par service. Même son de cloche du côté de Zenchef, qui note que cela peut représenter une perte du chiffre d’affaires entre 15 % et 20 %.

Le no-show, ce n'est pas parce que les clients sont malintentionnés, c'est une question d'oubli et de problème de communication.
Xavier Zeitoun, P-DG de Zenchef

Jean Valfort, P-DG de Dévor, a déjà dénoncé publiquement ce phénomène, notamment le « faux plan » d’un client ayant réservé dans son établissement pour huit personnes un samedi soir : « Mais en quoi est-ce si grave ? C’est grave avant tout parce que cela prend de l’ampleur. Surtout quand le restaurant vient de se lancer […] Et surtout lorsqu’on ne dispose pas de 300 couverts. Huit sièges vides dans une salle de 40, ça va assez vite […] C’est surtout qu’un restaurant, c’est avant tout une entreprise. Avec des équipes, des frais, des emprunts. On a vite tendance à l’oublier, dans le tourbillon du service à tout prix, du client roi et de l’absence totale de considération pour celui qui reçoit. Mais c’est une réalité économique que de dire qu’un tel comportement est dangereux pour la survie des restaurants. »

Utiliser le digital

Pour aider les restaurateurs à réduire le nombre de clients fantômes à chaque service, plusieurs solutions digitales ont vu le jour ces dernières années. Des plateformes comme The Fork, Gues-tonline, Prestachef, Teletable ou encore Businesstable permettent de réserver une table en ligne. The Fork a même établi un plan d’action « anti no-shows » pour lutter contre le phénomène. Lors de la réservation en ligne, le site demande aux clients de remplir un formulaire. Une confirmation sera automatiquement envoyée par mail ou SMS et ils seront relancés quelques heures avant la réservation.

Selon la plate-forme, cet outil a permis de réduire de 24 % les no-shows. Grâce à cette stratégie, ils peuvent par ailleurs identifier les clients susceptibles de ne pas honorer leur réservation. L’algorithme va calculer un score de fiabilité, en fonction des réservations précédentes du client, et ainsi anticiper le risque de no-show. Au restaurateur ensuite de choisir d’accepter ce client ou non. Le site propose également une liste d’attente afin d’optimiser le taux de remplissage de la salle.

De son côté, Zenchef propose la réservation via leur plateforme, sans commission, afin de gagner du temps. Le client reçoit ensuite une confirmation par mail et par SMS, ainsi qu’un rappel avant l’heure de la réservation. Selon leurs données, cela permet de réduire le no-show à 1,5 % en moyenne. « Il y a plus de chances que les informations soient correctes en remplissant un formulaire sur Internet que par téléphone, assure Xavier Zeitoun, P-DG de Zen-chef. Le no-show, ce n’est pas parce que les clients sont malintentionnés, c’est une question d’oubli et de problème de communication. Avec la confirmation de réservation et le rappel, c’est radical. » Il pense en outre que le digital « rend le rapport avec le client encore plus fort ». La plateforme propose aussi de refuser les clients ayant déjà pratiqué le no-show.

S’approprier les outils

À Biarritz (64), le restaurant Epoq a choisi la solution Zenchef pour ses réservations. « On peut organiser le plan de table sur l’application, cela nous a permis de mettre deux services en place au lieu d’un après les confinements », explique Élodie Matray, responsable des réservations depuis deux ans. Si cette solution a permis un gain de temps inestimable, les employés préfèrent en revanche envoyer eux-mêmes les rappels aux clients. « La plateforme le propose mais on envoie un SMS type que l’on a préparé manuellement à chaque client quelques heures avant l’heure de la réservation, c’est beaucoup plus sûr et on préfère maîtriser cette partie-là », ajoute-t-elle.

Si des gens ne viennent pas, on perd du chiffre d'affaires et cela met à mal l'organisation pendant le service. Cela nous met vraiment en colère, on passe toujours en dernier.
Jean Terlon, Vice-président de l'Umih Île-de-France

Malgré ses efforts, le restaurant enregistre toujours près de 10 % de no-show par jour. « Ce sont les risques du métier, on le sait », relativise la responsable qui n’envisage pas de solutions plus drastiques. « Déjà qu’il faut parfois réserver plus d’une semaine à l’avance pour avoir une table chez nous, s’il faut payer et prendre le risque de perdre de l’argent pour aller dîner, on ne préfère pas imposer ça à nos clients », assure-t-elle. Face à son succès, le restaurant prévoit même une liste d’attente, en cas d’annulation de dernière minute, lors des moments de forte affluence comme la période estivale. Le bistronomique a également créé une annexe à son restaurant pour déguster du vin et des tapas de manière plus spontanée.

La solution du prépaiement

Plus radicale, la solution du prépaiement est également adoptée par plusieurs établissements. Une stratégie empruntée à l’hôtellerie et au tourisme, commune à l’étranger notamment chez les Anglophones, mais encore très peu utilisée en France. « Ce n’est pas dans nos gènes de restaurateurs ; mais dans les hôtels, cela n’a jamais posé de problème, c’est aussi une question d’habitude », note Jean Terlon.

En France, quelques tables d’exception ont pourtant choisi de l’adopter. C’est le cas du restaurant de Régis et Jacques Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid (43). Au moment de réserver, le site demande un prépaiement de 50 € par couvert. La note sera complétée par le client après le repas. L’établissement étant complet six mois à l’avance, les clients pourraient oublier leur réservation et un no-show dans un gastronomique serait dramatique pour le chiffre d’affaires. L’étoilé Aspic (Paris, 9e ) a quant à lui opté pour l’empreinte bancaire. Aucun montant n’est débité, mais si les clients n’honorent pas leur réservation ou n’annulent pas avant 7 h du matin le jour même, ils seront débités de 95 € par couvert. Selon Zenchef, l’empreinte bancaire a permis de faire totalement disparaître le no-show.

Pratique récente

Si les solutions tendent vers le digital, certains le voient au contraire comme une barrière au contact humain. Selon Jean Terlon de l’Umih, cette pratique du client fantôme est récente et accentuée par les réservations en ligne.

« Pourquoi les gens font ça alors qu’ils ne le faisaient pas avant ? Je pense que derrière leur écran, ils ne prennent pas conscience qu’il y a des humains. Avant, quand on téléphonait, il y avait un contact, même minime. C’est très important d’avoir les gens au téléphone, au son de la voix, on sait si la personne est fiable, aimable… », pense-t-il.

Pour lui, le no-show n’était pas un sujet il y a vingt ans. « Les gens font plein de choses à la fois quand ils sont sur Internet. Comme c’est impersonnel, ils ne se sentent pas responsables, ils oublient et se disent que le restaurant trouvera bien quelqu’un d’autre alors qu’à 20 h, si la table est perdue, c’est impossible », assène-t-il. Le restaurateur y voit aussi un manque de respect envers la profession. « Parfois, ils décommandent une heure avant, d’autres fois ils ne préviennent pas du tout. Certains ont réservé pour 15 et arrivent à six sans prévenir ou inversement. Les clients ont peu de respect pour notre profession, mais ils oublient que c’est un métier de service, pas de servitude. »

Des solutions radicales

Le patron du Magnum à Toulouse a lui gardé son « bon vieux cahier de réservations ». « Chez moi le papier fait foi », assure-t-il. S’il accepte les réservations en ligne, il recopie chaque demande sur son carnet. « J’ai une salle très étroite et je peux parfois recevoir deux fois quatre personnes mais pas quatre clients à la même table, je veux garder la main sur mes réservations », explique-t-il. Alors que certains restaurateurs mettent en place des mesures pour éviter les annulations, d’autres préfèrent tout simplement ne plus prendre aucune réservation. Le restaurant Janine à Bayonne (64) a fait ce pari risqué.

« Pour des questions de praticité, on ne veut pas passer notre temps au téléphone en plein service », justifie le chef et gérant David Legeay. Si l’établissement a la chance d’être rempli presque à chaque service, il essuie néanmoins des effets pervers. « On perd une certaine clientèle puisqu’on ne peut pas trop accueillir les groupes qui veulent réserver, avoue-t-il. Parfois, je reçois des messages pour réserver sur Google ou Instagram, mais on n’y répond pas. »

Ouvert uniquement pour le service du midi, l’établissement pratique la politique du « premier arrivé, premier servi ». « Certains clients ont compris le principe, et parfois ils se pointent à midi pour garder une place pour les autres qui arrivent plus tard, remarque le chef. Alors que notre business model se base sur un gros renouvellement de clientèle, les gens restent rarement plus d’une heure à table. »

Le chef David Legeay reconnaît : « C’est un pari et un luxe à la fois de se permettre de ne pas prendre de réservations, mais si j’étais ouvert le soir, je serai sûrement obligé d’accepter. » De plus, dans des petites villes comme Bayonne, les réservations, notamment en ligne, restent moins fréquentes que dans la capitale. Si le no-show agace les restaurateurs, les consommateurs, eux, n’ont pas toujours conscience des effets que leur comportement peut provoquer. S’ils étaient sensibilisés à ce phénomène, cela pourrait peut-être réduire le nombre de clients fantômes.

Réaction insolite

René Redzepi, le chef doublement étoilé du Noma à Copenhague s’était fait entendre sur le sujet du no-show en 2012. Il a posté sur le réseau social Twitter une photo de lui avec son équipe faisant un doigt d’honneur avec comme commentaire : « Un message de l’équipe du Noma aux gens des tables restées vides hier soir. » Son restaurant gastronomique est par ailleurs précurseur en matière de prépaiement, il a été l’un des premiers en Europe à pratiquer cette stratégie.

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