Profession : artisan saucier

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En cuisine, les jus et les fonds de sauce revêtent une importance particulière. Pour faire gagner du temps aux chefs et proposer une alternative aux préparations industrielles, L’Artisan saucier propose des fonds et des jus de viande artisanaux, mais aussi éthiques. Le tout livré prêt à l’emploi.

Artisan saucier
Artisan saucier. Crédit photo : Alice Mariette.

Dés de poitrine d’agneau, échalotes, oignons, carottes, thym, romarin. Pour faire un bon jus, Benoît Moreau n’ajoute rien d’autre, ni sel ni additif. « Faire un bon jus ou un bon fond, c’est un savoir-faire et des produits de base de bonne qualité », résume-t-il simplement. Chaque semaine, fonds bruns, fonds blancs, jus de veau, d’agneau, de porc et de poulet sont préparés artisanalement dans ses cuisines. Benoît Moreau s’est formé à Ferrandi, dans le cadre d’une reconversion professionnelle.

Cet ancien professionnel de l’événementiel s’est rapidement passionné pour les jus et les fonds, réalisant leur importance dans la cuisine. « J’ai constaté que faute de temps, de moyens ou de place, les chefs ont parfois de la difficulté à les réaliser eux-mêmes ou utilisent des préparations industrielles », commente-t-il. En juin 2018, après une période de tests, il adonc lancé L’Artisan saucier, pour une opération avec Frichti et le chef Éric Frechon. « Actuellement, j’ai une trentaine de clients, des bistronomiques et des étoilés », dit-il. Accompagné par Juliette Camboulas, ancienne cheffe du 52 Faubourg-Saint-Denis et deux commis réguliers, cet artisan souhaite avant tout proposer un produit de qualité et éthique.

Fabrication artisanale

Dans les cuisines de L’Artisan saucier, les chefs ne quittent jamais ni des yeux ni des oreilles ses préparations. « En cuisine, on travaille tous nos sens et pour un jus, c’est encore plus vrai, car c’est un savoir-faire, ce n’est pas un protocole toujours régulier », explique Juliette Camboulas. Elle effectue successivement les étapes de coloration, mouillement et dégraissage, en restant toujours très attentive au crépitement et à la vapeur. « C’est à l’oreille que l’on sait s’il faut baisser la température », commente-t-elle. Pour l’équipe, ce procédé ne peut pas s’industrialiser, car une machine ne saurait pas s’adapter en cas de variation. « Il y a des phénomènes sur les fonds et les jus que personne ne comprend encore. Parfois on lance un jus de la même façon que d’habitude et le volume est totalement différent », illustre le chef. En travaillant du vivant, il est très difficile de prédire comment la matière première va réagir.

D’abord, les cuisiniers effectuent une étape de coloration de la viande et de sa garniture

« Parfois, on doit remuer toutes les deux minutes et d’autres, attendre cinq minutes. Cela dépend, ce n’est jamais prévisible, c’est d’ailleurs ce qui rend la tâche intéressante et pas lassante pour nous entant que cuisiniers », ajoute Juliette Camboulas. Comme pour tout produit artisanal, le client doit accepter qu’un jus ne ressemble pas à l’autre. « Nous assurons un résultat régulier, toujours bon, avec la même consistance, la même couleur, mais cela peut être différent en fonction des moments de l’année par exemple », précise Benoît Moreau.

Valoriser le terroir français

L’Artisan saucier travaille en direct avec le producteur. Benoît Moreau a pris le temps de chercher des exploitations assez proches de Paris avec lesquelles collaborer. Son objectif : bien connaître d’où viennent les produits qu’il va cuisiner et les conditions de l’exploitation. « Je suis allé sur place, pour voir comment sont nourris les animaux et connaître aussi les conditions d’abattage, raconte-t-il.

C’est très important, car si les bêtes sont stressées parce que l’abattoir est loin, on n’aura pas la même qualité de viande. Une bête mal élevée ou mal abattue va par exemple cracher beaucoup d’eau. » La qualité de la viande est d’autant plus importante que pour la fabrication de ses fonds et jus artisanaux, aucun additif ni exhausteur de goût n’est ajouté. « On prend la substance de la moelle, de l’os, donc si la bête a été élevée de matière industrielle, cela ne fonctionne pas », précise Juliette Camboulas. Par ailleurs, elle estime qu’en cuisine, il est souvent difficile d’assurer la traçabilité de tous les produits utilisés. « En tant que cheffe, j’étais parfois frustrée, car il est difficile de tout sourcer. Ce que j’apprécie ici c’est qu’en se spécialisant, on maîtrise mieux son sourcing », assure-t-elle. Dans une démarche écoresponsable, L’Artisan saucier souhaite aussi aider les producteurs à valoriser leurs bas morceaux. « Je demande ce qu’ils ont, ce qu’ils ont du mal à valoriser et je m’adapte, l’idée n’est pas de les faire produire plus », explique-t-il.

Les cuisiniers préparent les fonds et jus avec la même précision qu’un chef dans son restaurant.

Pour le veau par exemple, il utilise la parure, peu valorisable par ailleurs. Il travaille aussi avec le Groupement de producteurs de volailles de Licques, à qui il achète les carcasses et les ailes de poulet, qui ne se vendent que très peu en dehors de la saison estivale. En outre, en travaillant avec les producteurs, les morceaux sont plus charnus que s’il les prenait chez un boucher.

Intérêt pour les chefs

Si Benoît Moreau a choisi de proposer ce produit, c’est parce qu’il a bien conscience de l’importance toute particulière que revêtent les jus et fonds en cuisine. « Les jus et les fonds sont l’ADN d’un chef », mentionne-t-il. Son objectif est donc de proposer aux chefs de déléguer ce point important, tout en proposant un produit de qualité. « Les jus sont fondamentaux dans les plats, pense Juliette Camboulas. Ici, on utilise les mêmes procédés que dans les cuisines des restaurants, comme lorsque j’étais cheffe, c’est ce qui permet de garder la qualité de travail. » Le plus beau compliment que l’équipe ait reçu : lorsqu’un chef leur adit que le produit était aussi bon que si c’était lui qui l’avait fait. « Nous, on travaille comme des artisans. Cela va valoriser le travail du chef qui ne peut plus se permettre de le faire lui-même, parce qu’il n’a pas le temps, la place ou les employés », pense Juliette Camboulas. Ainsi, pour les chefs, il s’agit d’un véritable gain de temps, mais aussi de place et de personnel : un bon jus doit réduire plusieurs heures, mobilisant ainsi un employé et un fourneau.

« Le jus, on ne peut pas le laisser, c’est comme un bébé, justifie la cheffe. Dans les cuisines des restaurants, on a beaucoup d’autres tâches à effectuer, en quelques minutes notre jus peut brûler. Il faut un employé dédié, mais c’est très compliqué à avoir. » Cela permet aussi de proposer une alternative aux solutions industrielles qui existent sur le marché. En outre, les produits de L’Artisan saucier sont pensés pour s’adapter à toutes les cuisines.

Après la coloration et une étape intermédiaire de mouillage de la préparation, les chefs passent au dégraissage.

« Nos produits sont sans additif, proches de ce que peut faire un bon cuisinier, ont du goût, mais peuvent se retravailler. On sent beaucoup la viande et peu la garniture aromatique, donc pour un chef, c’est plus simple à personnaliser et il peut l’emmener là où il veut », explique Benoît Moreau. Si certains chefs utilisent ses produits tels quels, d’autres s’en servent comme mouillement ou pour assurer une certaine quantité, comme ce fut le cas au restaurant Le Perruche à Paris, qui a fait appel à eux pour pouvoir assurer le service des 600 à 700 couverts. « Comme cela, les chefs arrivent à avoir une quantité, tout en gardant le plaisir de faire eux-mêmes leur jus. Pour produire 10 l de jus par semaine, cela leur demanderait beaucoup trop de temps », détaille Juliette Camboulas.

Actuellement, les jus et fonds ont une DLC de deux mois, mais l’équipe travaille pour trouver des façons de la rallonger, sans additif toutefois dans la préparation. À noter, un jus maison ne peut se conserver que cinq jours. En outre, ils sont conditionnés au litre dans des poches en polypropylène (PP), qui assurent l’absence de migration de plastique. « J’aimerais améliorer ce point, cela me dérange de travailler avec du plastique, mais pour l’instant je n’ai pas trouvé d’alternative. Je veux travailler avec de l’inox, mais cela va impliquer des coûts monstres », estime-t-il. Selon l’équipe de L’Artisan saucier, utiliser leurs produits revient à environ 1 € par assiette servie. De son côté, Juliette Camboulas a effectué le calcul du prix de revient de la fabrication de jus et fonds lorsqu’elle était cheffe du 52. « Nos produits reviennent à la moitié du prix, car nous fabriquons en grande quantité », assure-t-elle.

Les jus de L’Artisan saucier sont préparés artisanalement et sont sans additif ni conservateur.

Continuer à grandir

Depuis ses débuts, Benoît Moreau n’a pas besoin de faire de publicité pour vendre ses fonds et sauces, le bouche-à-oreille a, jusqu’à présent, œuvré pour lui. Il aimerait toutefois continuer à se développer. Actuellement, l’équipe travaille dans les cuisines professionnelles partagées United Kitchens, à Nanterre (92). Maintenant que le marché est validé, l’objectif est de trouver leur propre local. À l’avenir, il souhaite aussi proposer d’autres produits comme un jus de homard, actuellement en phase de conception, mais aussi s’attaquer à la vente aux particuliers.

Benoît Moreau, à l’origine de L’Artisan saucier, et la cheffe Juliette Camboulas travaillent actuellement dans les cuisines professionnelles partagées United Kitchens à Nanterre (92).