Quand la brasserie se réinvente en banlieue

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La Cantine sauvage, Ma Cocotte, le Café la Jatte, Eugène Eugène ou encore Yaya… Nombreux sont les vastes établissements à s’être développés en banlieue parisienne. Avec des offres culinaires plus ou moins onéreuses pour la clientèle, un fil rouge demeure : la conception de lieux de vie adaptés à tous les moments de consommation afin de capter une large clientèle.

Sur la bouillonnante avenue du Président-Wilson, à quelques encablures de la porte de la Chapelle, en Seine-Saint-Denis, La Cantine sauvage fait figure de havre de paix. Entourée de supérettes, de restaurants à kebabs et de PMU, elle s’étire sur plus de 1 500 m² et réunit un restaurant de 400 places, un bar, une boulangerie-pâtisserie, des cuisines et un laboratoire. Ce « lieu de vie », comme il est d’usage de nommer ce type d’établissement aujourd’hui, a été pensé par le restaurateur Moosse Mokhtari et la cheffe Najoua Boussaid. « Je suis né et j’ai eu un café à Saint-Denis avant de reprendre une affaire à Paris en 1995, puis d’en ouvrir plusieurs autres », retrace Moosse Mokhtari. Parmi ses faits d’armes, on peut citer Le 79, Le 164 ou encore Le 138 ; des bars notamment réputés pour être particulièrement animés la nuit. Aujourd’hui à la tête d’une dizaine d’établissements, il a lancé La Cantine sauvage en 2018. « L’idée vient d’abord de Najoua Boussaid qui est issue de la restauration, tempère-t-il. Najoua a développé l’offre culinaire, tandis que moi je suis davantage actif sur la décoration et la partie bar. Elle m’a proposé d’unifier le travail en créant un labo pour approvisionner nos établissements parisiens. »

Ce qui ne devait être qu’un laboratoire s’est mué en un véritable restaurant proposant petits déjeuners, brunchs, déjeuners et dîners… L’intégralité du pain et des pâtisseries ou encore des pâtons à pizzas provient d’ailleurs du labo de La Cantine sauvage. Avant la crise sanitaire, le tandem est parvenu à attirer jusqu’à 700 couverts dans cet ancien hangar aujourd’hui richement décoré et constellé de fauteuils club et Chesterfield. « Cet espace-là, c’est aussi une façon de ramener du confort à Saint-Denis. J’ai souhaité faire un clin d’œil à mon département d’origine en créant ce lieu qui nous ressemble », commente Moosse Mokhtari. Ce dernier, en véritable passionné, est davantage animé par l’accueil des clients que par la rentabilité. Hors Covid-19, il estime tout de même que la jauge de 200 couverts par jour est souhaitable pour assurer la bonne marche des lieux. Le succès est au rendez-vous et le bouche-à-oreille semble particulièrement efficace : « À Saint-Denis, ce n’est pas comme à Paris. Quand tu satisfais un client, tu en gagnes 20 et ainsi de suite. » La carte de La Cantine sauvage n’a rien à envier à certains néo-bistrots parisiens mais, naturellement, les tarifications ont été adaptées (le ticket moyen oscille entre 15 et 20 €) et la cheffe Najoua Boussaid se rend quasi quotidiennement au Marché de Rungis.

« J’ai souhaité faire un clin d’œil à mon département d’origine en créant ce lieu qui nous ressemble. »

Gros porteurs

Des gros porteurs de l’acabit de La Cantine sauvage, on en trouve de plus en plus en banlieue parisienne, même si la crise sanitaire a certainement ralenti le développement de nouveaux projets. À Saint-Ouen, c’est Ma Cocotte qui fait les gros titres. L’établissement était l’un des précurseurs en matière de grandes brasseries tendance évoluant derrière le périphérique. Conçus par le célèbre Philippe Starck, les lieux viennent d’être rachetés par le groupe Moma de Benjamin Patou et le groupe Eleni, codirigé par le cathodique Juan Arbelaez. Au sein d’une décoration industrielle mêlant différents objets chinés, on trouve ainsi plusieurs centaines de places assises.

À Suresnes, c’est le restaurant Ma caille qui a épousé la même formule : du bon et du beau, mais en dehors d’un Paris déjà saturé d’adresses branchées. Car la capitale n’a bien sûr pas l’apanage de ces lieux de vie d’un nouveau genre. Le Café la Jatte, à Neuilly-sur-Seine cette fois, cultive le même crédo. Le restaurant est abrité dans une large bâtisse du XIXe siècle richement rénovée. Il est complété d’une terrasse arborée de 200 places assises et dispose d’une vaste extension à l’allure d’un jardin d’hiver. Ce lieu de vie est l’œuvre de Mathieu Bucher, restaurateur bien connu à la tête d’une foultitude d’établissements, parmi lesquels Le Murat ou Le River Café. Du côté de Puteaux, Helena et Pierre Paraboschi ont lancé Eugène Eugène il y a déjà quelques années. Après avoir créé et exploité avec succès Durand Dupont à Neuilly, ils ont repris un imposant local équipé d’une grande verrière pour créer un restaurant avoisinant les 800 m² pour près de 300 couverts. « Nous ne sommes pas dans la rue la plus animée, mais nous captons une large clientèle en semaine comme le week-end. Il s’agissait de créer un lieu de vie dans une banlieue qui n’est pas forcément adaptée à ce type d’affaires », explique Helena Paraboschi. Le succès s’est là aussi révélé immédiat avec des créneaux de consommation parfaitement exploités. Grâce à une carte orientée brasserie, des déjeuners et des brunchs, le couple attire des familles comme une clientèle d’affaires. Contrairement à La Cantine sauvage, Eugène Eugène (300 à 400 couverts par jour) accepte les réservations et ne mise pas nécessairement sur une importante rotation de tables. Le ticket moyen est nettement plus élevé et vient se fixer, au déjeuner, à 40 €.

« Il s’agissait de créer un lieu de vie dans une banlieue qui n’est pas forcément adaptée à ce type d’affaires. »

Si la crise sanitaire contrarie le bon fonctionnement des CHR, les grandes brasseries semblent avoir de l’avenir devant elles. « Il y a une demande de la part des clients de banlieue », confirme Helena Paraboschi. Moosse Mokhtari, quant à lui, confie que différentes mairies de Seine-Saint-Denis ont fait appel à lui et sont intéressées par le développement de ces lieux de vie sur leurs territoires.

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