Quand le handicap rime avec réussite

  • Temps de lecture : 6 min

Trop d’entreprises vivent l’obligation d’embauche de travailleurs handicapés comme une contrainte. Pourtant, celles qui se prêtent à l’exercice ne le regrettent pas et beaucoup évoquent même des expériences très positives. Dans ce domaine plus que dans tout autre, il faut dépasser les a priori.

Depuis 2015, les entreprises privées de plus de 20 salariés sont soumises à une obligation d’embauche de personnes handicapées, à hauteur de 6 % de leur effectif. 2 509 établissements de la restauration étaient éligibles à cette mesure en 2017…

Et le secteur se tient plutôt bien dans les rangs, puisque qu’il emploie 5,85 % de l’effectif total, soit 4 470 travailleurs handicapés.

Dans les faits, cette obligation légale n’impose pas que chaque restaurant, traiteur ou café doivent embaucher physiquement des travailleurs handicapés ; d’ailleurs, moins de la moitié sont en emploi direct (44,5 %). Ils peuvent sous-traiter certaines tâches à des établissements spécialisés ou payer une contribution financière de compensation. Pourtant, certains établissements ont trouvé dans le handicap la voie vers la réussite.

Le handicap comme signature

À Paris, à l’angle de la rue saint-Augustin, dans le 2 arrondissement, Aymeric accueille les clients du Café Joyeux dans un large sourire. Il laisse ensuite la main à Marie-Rose, chargée de prendre et de servir les commandes, qui met tout de suite à l’aise ses clients par quel ques mots bienveillants. Si le lieu peut se démarquer par son décor jaune et noir piqué de mobilier rétro, le Café Joyeux est surtout particulier par ceux qui y travail lent. Aymeric et Marie-Rose sont trisomiques et, comme leur vingtaine de collègues atteints de troubles mentaux, ils sont les visages et les mains de l’entreprise.

Créé par Yann Bucaille, le Café Joyeux a pris le parti d’embaucher uniquement du personnel handicapé, en CDI, et deux encadrants.

Ici, on peut prendre un café, manger une part de gâteau, prendre un menu (soupe ou salade, plat du moment et dessert), une part de quiche ou une boisson. Jean-Baptiste Dziurda, issu de la restauration traditionnelle, est responsable de l’établissement : « Je ne connaissais absolument pas le handicap, confie-t-il. Mais il ne faut pas avoir peur… Ils ont une telle motivation ! Je n’avais jamais vu ça. Bien sûr, il faut avoir la modestie de revoir certains procédés ou matériels. Ça peut être fait sans avoir forcément beaucoup de perte. En échange, ces personnes handicapées apportent plus de joie et moins de conflits. »

Le handicap : le Café Joyeux en a fait sa signature et dépasse allègrement les obligations légales en termes d’emploi de personnes handicapées. Mais l’emploi de personnes handicapées nécessite-t-il de faire un type de restauration pensé pour elles ?

Hervé, cuisinier au Paul Scarlett’s.

Hervé, cuisinier au Paul Scarlett’s.

« Largement capables de tenir »

Dans son sondage réalisé fin 2018, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion de personnes handicapées (Agefiph) dévoile que 85 % des dirigeants d’entreprise de plus de 20 salariés, tous secteurs confondus, se déclarent prêts à embaucher des personnes en situation de handicap. S’ils s’accordent à dire à 92 % que « les entreprises qui s’engagent et s’impliquent en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap participent au développement d’une société meilleure, plus juste et plus ouverte », la moitié pensent qu’il existe « une difficulté objective du fait de la nature des postes proposés » .

Pour Nicolas Cadet, chef au Paul Scarlett’s, porte de Clichy, il faut parfois « un peu plus de temps, répéter plus souvent, montrer les gestes… Mais c’est finalement comme lorsque l’on a un apprenti ou un commis » . Le cuisinier est bien placé pour savoir qu’avec un peu plus de patience qu’un employé lambda, un travailleur handicapé peut faire du très bon travail : le Paul Scarlett’s est un établissement et service d’aide par le travail (ESAT).

Ce restaurant, qui existe depuis plus de trente ans, fait une centaine de couverts le midi et est fier d’avoir obtenu, il y a six ans, le titre de « Maître restaurateur » , devenant ainsi le seul ESAT avec ce label. La structure gère plusieurs cuisines, en plus du Paul Scarlett’s et, en tout, une soixantaine de personnes (cuisine du personnel, club de direction d’Ene-dis à la Défense, hôpital Rothschild).

Les membres de l’équipe sont atteints de troubles mentaux, ce qui n’empêche pas Nicolas Cadet de leur « mettre la pression comme dans un restaurant normal » Et il faut croire que sa technique porte ses fruits, car au prestigieux label s’ajoute la satisfaction de voir certains éléments embauchés ailleurs, dans le circuit classique.

C’est le cas de Gloria, 27 ans, qui avoue avoir « appris sur le tas ». Après trois ans à l’ESAT et un an en détachement au restaurant ERDF à La Défense, elle a intégré une formation en alternance pour obtenir un CAP cuisine, à la Brasserie Mollard, à Saint-Lazare. « Ils sont largement capables de tenir, ajoute Nicolas Cadet, mais c’est à nous de faire les démarches pour leur trouver un employeur ».

Nicolas Cadet, chef au Paul Scarlett’s, estime qu’il faut faire preuve de pédagogie comme avec un apprenti ou un commis non handicapé.

Nicolas Cadet, chef au Paul Scarlett’s, estime qu’il faut faire preuve de pédagogie comme avec un apprenti ou un commis non handicapé.

Une réserve de travailleurs

Le chômage des personnes présentant un handicap (19 %) est plus élevé que chez les personnes valides (9 %) et dure en moyenne deux cents jours de plus. Que le handicap soit présent depuis la naissance ou survenu en cours de vie (accident ou maladie, par exemple), des mesures d’accompagnement existent pour les employeurs. L’Age fiph est l’interlocuteur principal en termes de conseil, de soutien dans l’emploi ou pour conclure des accords entreprise concernant le handicap (c’est le cas de certains grands groupes de la restauration). Le réseau des Cap emploi, Pôle emploi, l’ANRH ou le réseau Gesat, par exemple, conseillent et accompagnent sur mesure.

Les établissements ne souhaitant pas embaucher physiquement une personne handicapée peuvent avoir recours à la sous-traitance avec des entreprises adaptées ou des ESAT, dans la limite de 50 % de leur obligation. Elles peuvent également accueillir des stagiaires à hauteur de 33 %, mais il s’agit d’une mesure peu utilisée dans la restauration. En 2017, seuls 8 stagiaires ont été déclarés via la DOETH, la déclaration annuelle obligatoire d’emplois de travailleur handicapé.

Les entreprises n’utilisant aucune de ces possibilités se voient obligées de verser une contribution à l’Agefiph. Pour chaque salarié manquant, le montant annuel s’élève à 400 fois le smic horaire si l’effectif est compris entre 20 et 199 salariés ; à 500 fois pour des entreprises de 200 à 749 salariés et 600 fois s’il y a plus de 750 employés. De l’argent qui, chaque année, aide l’Agefiph à introduire, former et maintenir les emplois des salariés handicapés.

PARTAGER