Le saké : un produit identitaire à la carte

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Depuis quelques années, chefs et sommeliers se muent en ambassadeurs du saké japonais. Loin des clichés du spiritueux de mauvaise qualité servi dans certains établissements, le saké japonais est un breuvage traditionnel, à l’étonnante complexité, qui ouvre des horizons insoupçonnés à la carte des boissons et des mets.

Le création du saké est datée entre 400 et 300 avant J.-C. Crédits : L'Atelier du saké.
Le création du saké est datée entre 400 et 300 avant J.-C. Crédits : L'Atelier du saké.

Il y a encore une décennie, on avait de lui l’image d’un spiritueux bas de gamme servi en guise de digestif dans une tasse en porcelaine qui découvrait un personnage dénudé. Loin des clichés, le saké japonais que l’on découvre en France aujourd’hui affiche un tout autre profil.

À l’inverse du saké chinois, un produit distillé qui titre à 40 °, le saké japonais est une boisson issue de la fermentation du riz. Il est même l’emblème des alcools les plus complexes et identitaires du Japon, que ses habitants appellent le « nihonshu ». Pour comprendre pourquoi une telle assimilation a été faite dans l’esprit du consommateur entre ces deux breuvages, il faut remonter le temps jusqu’à l’ouverture du Japon au XIXe siècle.

Saké ou nihonshu

Depuis le VIe siècle, le saké était alors le mot généraliste employé pour désigner des boissons à base de fermentation de riz. Puis, dans les années 1920, il a pris le nom de nihonshu au Japon pour se différencier des autres alcools. Mais à l’étranger, le nom de saké, plus facile à retenir, est resté.

iLe saké Kokushi Muso Cocoo Junmai, produit par la maison Takasago Shuzo à Hokkaidô (Japon), accompagne parfaitement les plats à base de champignon. Crédits : L'Atelier du saké.
Le saké Kokushi Muso Cocoo Junmai, produit par la maison Takasago Shuzo à Hokkaidô (Japon), accompagne parfaitement les plats à base de champignon. Crédits : L'Atelier du saké.

Or, de nos jours, celui vers lequel se tournent les palais des plus fins dégustateurs est bien le nihonshu, cette boisson fermentée identitaire, un breuvage délicat issu d’un savoir-faire ancestral et d’une sélection rigoureuse des matières premières, à l’instar des vins de notre territoire. Tantôt complexe, tantôt puissant, frais et vif, aromatique, sec, pétillant… le nihonshu se consomme chaud, tiède, frais ou chambré et sa dégustation déploie une richesse épatante due à un mode d’élaboration sophistiqué.

Trésor du Japon

Alcool traditionnel, le saké japonais requiert un savoir-faire ancestral. D’aprèsJSS, quelque 1 661 brasseries, que l’on appelle aussi« kura », sont répertoriées au Japon et en produisent selon des techniques anciennes et très innovantes, dans les 47 préfectures.

Plus le riz est poli, c'est-à-dire plus on élimine ses couches extérieures, plus on se rapproche de son cœur et plus il sera goûteux, et il livrera un profil aromatique intense au saké.
Leopoldo Puzielli, Promoteur de la culture du saké

Au pays du Soleil-Levant, on consomme lenihonshupour le nouvel an, les mariages ou les cérémonies, mais aussi à la maison avec des plats typiques comme le nabe ou l’udon, des sashimis, dans les restaurants et les izakayas (bars à tapas japonais). Pour décrypter un tel engouement, il faut savoir qu’à ses origines, vers 400 à 300 avant J.-C., le saké était élaboré à partir de riz mastiqué et recraché dans une jarre. Nommékuchikamizake, il servait alors d’offrande aux divinités dans le cadre du culte Shintô. Plus tard, le saké fut consommé à la Cour impériale et, au Moyen Âge, il était servi à la table des guerriers et des familles bourgeoises. Au XVe siècle, des centaines de petits magasins de sakés émergent à Kyoto tandis qu’il est également élaboré dans les temples de Nara. Il faudra attendre le XXe siècle pour le retrouver dans les foyers japonais.

Procédé d’élaboration complexe 

Le saké japonais se compose de quatre ingrédients : de l’eau, du riz, du koji-kin et des levures. Constitué de 80 % d’eau, il en faut 30 à 40 litres pour produire un litre de saké. Il peut s’agir d’une eau dure, c’est-à-dire riche en sels minéraux, qui donne des sakés à la texture dense et aux saveurs riches ou d’une eau douce, très rafraîchissante, utilisée pour la production de sakés fins et aromatiques. Il en existe 3 000 types différents.

Puis vient le choix du riz, car on ne produit pas de saké sans cet ingrédient clé. Au Japon, on admet 126 sortes de riz à saké, un nombre réévalué chaque année, et des riz de bouche, dont les plus gros volumes sont cultivés dans la région de Hyogo. « Ils sont de différentes variétés et sont classifiés par rapport au taux de polissage du riz. Plus le riz est poli, c’est-à-dire plus on élimine ses couches extérieures, plus on se rapproche de son cœur et plus il sera goûteux, et il livrera un profil aromatique intense au saké », explique Leopoldo Puzielli, promoteur de la culture du saké dans huit capitales gastronomiques dont Paris, avec le soutien de la maison Dassai, et sommelier certifié de saké par la Saké Sommelier Association (SSA).

Le choix des ingrédients

Parmi les sortes de riz à saké, on recense, par exemple, le Yamada Nishiki, qui donne un profil fruité et très aromatique au breuvage ; le Gohyakumangoku, pour des sakés secs et subtilement parfumés et le Omachi, aux notes terreuses. On utilise ensuite le koji-kin, un champignon microscopique qui provoque la saccharification de l’amidon du riz, c’est-à-dire qu’il transforme l’amidon du riz en sucre.

À la suite de cette étape, c’est au tour des levures (plus de 2 000 variétés différentes, dont une vingtaine très populaires) d’entrer en action en transformant le sucre en alcool. Tout comme le koji-kin, elles apportent de nombreux arômes au saké. Sans leur action, le trio formé par le riz, l’eau et le koji donne une boisson sucrée que l’on nommeamakaze. Et, à l’instar du vin, ces différents éléments sont combinés au gré d’assemblages spécifiques à chaque kura.

Initiation à la dégustation

Depuis quelques années, le saké japonais fait entendre sa voix en France. Notamment par le biais d’institutions comme la Maison du saké fondée par Youlin Ly, l’un des rares Français à pouvoir revendiquer le titre de« Saké samouraï »et le coauteur de l’ouvrageSaké, paru aux éditions Hachette en novembre 2021, ou encore via l’Atelier du saké, une entité du groupe Foodex dont la maison mère n’est autre que Takara Shuzô, leader dans la production de sakés. Celle-ci assure un rôle de promoteur de la diversité de la production de sakés japonais et organise des formations de professionnels et des initiations à la dégustation de sakés japonais.

iRéservé aux chefs, sommeliers, cavistes, l'Atelier du saké (Paris, 16e) est un lieu permettant de s'informer, de découvrir et de déguster des sakés japonais de qualité.Crédits : L'Atelier du saké.
Réservé aux chefs, sommeliers, cavistes, l'Atelier du saké (Paris, 16e) est un lieu permettant de s'informer, de découvrir et de déguster des sakés japonais de qualité.Crédits : L'Atelier du saké.

Maryam Masure, son ambassadrice, reçoit des chefs, des bartenders mais aussi des sommeliers pour ouvrir les palais à ce produit rare et subtil. « Avec la crise sanitaire, le grand public et les professionnels ont pris le temps d’éveiller leur curiosité à la découverte de produits complexes dont le saké fait partie. Nous observons que les restaurateurs commencent à s’intéresser au saké, ce qui n’était pas le cas il y a trois ans. À force de formations, comme celles que nous leur proposons, ils commencent à s’éduquer à la connaissance du saké, à sa dégustation. Ils se sont piqués d’intérêt pour la culture de ce produit rare, et par conséquent les consommateurs suivent le mouvement », explique Maryam Masure.

Le saké tire son épingle du jeu en France

Fondée en 1953, la Japan Sake and Shochu Makers Association (JSS) a signé un partenariat avec l’Association des sommeliers français afin de lutter contre les stéréotypes liés à la fabrication et à la dégustation du saké et de participer à l’éducation sur le produit. « Les Français sont des prescripteurs mondiaux en termes de tendances gastronomiques, c’est pourquoi nous avons choisi de développer la notoriété du saké sur leur territoire », précisent les membres de l’association.

Preuve de cet intérêt croissant pour la culture du saké japonais, cours et centres de formation ne cessent de fleurir en France.« Avec la Saké sommelier association (SSA), basée à Londres, Xavier Chapelou a été l’un des premiers à booster la connaissance du saké en Europe. Désormais, en France, on peut aussi se former à l’école des maîtres saké à Paris, un centre agréé pour les cours sur le saké du WSET, disponibles en trois niveaux. L’Académie du saké, créée par le Saké Samouraï Sylvain Huet, propose également des cours de sakéologie »,ajoute Leopoldo Puzielli.

Produit aux multiples facettes

Complexe et passionnante, l’histoire du saké est à l’image de sa production multigenre car il existe de nombreux types de sakés. Cette diversité est liée au polissage du riz, à l’ajout d’alcool ou non, à la filtration, à la pasteurisation, à l’élevage du saké. Par exemple, il faut savoir que le Japon a établi une classification officielle selon le taux de polissage du riz. Les sakés ginjo doivent présenter un taux de polissage supérieur ou égal à 60 % et les daiginjo, un taux de polissage supérieur ou égal à 50 %.

« Ici, 60 % ou 50 % représentent le taux de matière qui reste et non le pourcentage de matière enlevée lors du polissage. […] Certaines maisons proposent de véritables exercices de style en mettant en avant des sakés issus de polissages extrêmes, jusqu’à 8 %. Les sakés à fort polissage, auxquels les levures ont donné des arômes floraux et de fruits sont dits ginjoka ou de style ginjo », écrit-on dans l’ouvrage Saké.

iWakaze est une jeune brasserie française de sakés. Ici, le Sake Yuzu Wakaze 13 % possède des notes de citron confit et de gingembre frais. Crédits : Wakaze.
Wakaze est une jeune brasserie française de sakés. Ici, le Sake Yuzu Wakaze 13 % possède des notes de citron confit et de gingembre frais. Crédits : Wakaze.

Il existe aussi des sakés auxquels on ajoute de l’alcool, on les appelle leshonjozo, fluides et légers en bouche. Mais aussi des sakés doux ou sucrés (leskoshu), des sakés secs, des sakés à bulles, des sakés bruts (ni filtrés ni pasteurisés), des sakés élevés en fûts… Si la très grande majorité des sakés est importée du Japon, certains Français se mettent aussi à en produire dans l’Hexagone. C’est le cas de Wakaze, une maison qui a adapté ses techniques de brassage acquises au Japon, aux conditions françaises et aux goûts des consommateurs. Elle utilise du riz Japonica cultivé en Camargue et des ingrédients 100 % français comme l’eau minérale ou les levures biologiques, sans oublier le koji. Distribuée chez les cavistes et dans une centaine de restaurants, son ambition est de démocratiser la connaissance du saké auprès des Français.

Commercialisation du saké 

« Pour commencer à inscrire le saké à sa carte, je recommande de se tourner vers un saké Junmai Ginjo en premier et un Jun-mai Daiginjo par la suite. Ce sont des types de sakés accessibles, fruités et floraux qui développent des arômes de poire, de pommeet d’épices. Pour les alliances avec les mets de haut vol, je recommande plutôt de se tourner vers des sakés Nama, ce sont des produits crus, non pasteurisés qui continuent de fermenter dans la bouteille », propose Maryam Masure.

Car, outre la cuisine japonaise, le saké s’associe avec tous types de plats, y compris le fromage, les fruits de mer et les mets à base d’œufs, difficiles à marier avec les vins. En cela, le saké japonais offre de multiples possibilités d’accords inédits pour valoriser sa carte des mets. « Mais il faudra penser à faire dialoguer cette proposition avec les plats à la carte, avec, par exemple, un petit descriptif organoleptique pour accompagner chaque référence présentée. Et on peut aussi jouer la carte du cocktail, en apéritif », conseille Maryam Masure. Sa recette : mettre deux ou trois glaçons dans un verre et ajouter des lamelles de concombre. Verser 80 ml d’infusion yuzu et citron, 50 ml de saké l’Atelier du saké et 10 ml de tonic. On peut ainsi servir jusqu’à 10 cocktails avec une bouteille de saké de 50 cl.

Plusieurs modes de consommation

On peut proposer de déguster les sakés à l’apéritif, pendant le repas ou en guise de digestif. Les sakés pétillants, et les sakés nature, frais ou chambrés se positionnent au moment de l’apéritif mais aussi tout au long du repas. Les sakés plus traditionnels sont réservés aux mets tandis que les sakés sucrés sont servis après le repas.

« Le saké se consomme traditionnellement tiède ou chaud, mais cela n’est pas dans les habitudes françaises. Pour que le produit soit adopté, je conseille donc de le servir frais, aux alentours de 6 °C, de préférence dans un verre à vin à hauteur de 9-10 cl »,recommande Maryam Masure. Mais on peut également utiliser les contenants traditionnels comme lesochokoet lesguino-mi, de petits verres en porcelaine, en émail ou en céramique propices à la dégustation de sakés traditionnels servis chauds. Enfin, le saké doit se conserver à l’abri de la lumière, dans un endroit frais. Une fois ouverte, la bouteille sera stockée au réfrigérateur et dégustée sous trois jours à une semaine. Par ailleurs, le Salon européen du saké, qui se tiendra à Paris du 1er au 3 octobre 2022, vous permettra de découvrir un panel de plus de 500 sakés pour enrichir la carte de votre établissement.

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