Nouveau bras de fer autour des mutuelles

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Alors que la gestion du système des mutuelles par les branches est paralysée depuis un an, après le refus de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) de signer l’extension de l’accord, un nouveau texte appuyé par les syndicats de salariés et le GHR a fait son apparition. Toujours opposée au principe, l’Umih veut reprendre la main et piloter un nouvel appel d’offres.

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Crédits : Unsplash

Le 12 mai dernier, le dossier des mutuelles de santé du secteur de l’hôtellerie-restauration est revenu sur le devant de la scène. Jamel Hamdaoui, président du syndicat national CFE-CGC Inova HCR, a en effet demandé l’extension de l’accord paraphé le 22 décembre 2022, qui vise à réguler l’action des mutuelles de santé dans la profession. Il est soutenu en cela par les autres organisations de salariés, mais aussi le GHR (GNI et SNRTC). Ce nouveau texte mis à l’approbation est pratiquement identique, à deux détails près (dont une clause de revoyure), au projet d’extension rejeté par l’Umih et le GNC, il y a un peu moins d’un an. Jamel Hamdaoui espère que la nouvelle équipe qui dirige l’Umih acceptera de revoir sa position et signer le nouveau texte : « Si elle persiste dans son refus de l’extension, nous irons vers un référencement ; ce qui signifie que seuls les signataires de l’accord pourront se retrouver autour d’une table. » Il faut rappeler qu’en 2010, la profession a signé un accord pour se doter d’une mutuelle couvrant chacun de ses salariés. Deux institutions de prévoyance, Klésia et Malakoff Médéric, avaient été désignées comme assureurs.

La mutuelle a été prise en otage
Didier Chenet, Président du CHR

Un troisième acteur, Colonna Facility, gérait le dispositif. En 2015, un libre choix avait été donné aux assurés qui ne sont plus obligés de passer par les assureurs prédésignés. Toutefois, cette libéralisation n’a guère ébranlé Klésia et Malakoff Médéric, qui ont conservé un portefeuille qui regrouperait 80% des effectifs de la profession. Ils bénéficiaient toujours de l’appui et de la référence des syndicats patronaux et salariés qui gèrent paritairement le dossier. Ils sont ainsi demeurés les piliers du système. Mais la crise sanitaire a brouillé les cartes. Avec l’explosion des dépenses de santé, les caisses se sont vidées et, en 2022, les partenaires se sont retrouvés autour d’une table pour négocier un nouvel accord passant notamment de 32 à 47€ le coût de la cotisation mensuel et portant la part patronale de cette cotisation de 50 à 65%. « À l’époque de l’accord, nous étions tous d’accord sur le principe, et Hervé Bécam, ancien vice-président de l’Umih qui représentait son syndicat à la table des négociations, nous a présenté la ratification de l’extension comme une formalité », confie Didier Chenet, président du GHR. Pourtant lors du conseil d’administration de l’Umih du 28 juin 2022, les négociateurs ont été mis en minorité. L’extension de l’accord a été rejetée par 77% des voix ; ce qui a marqué le début de l’errance dans la gestion paritaire du dossier.

La disgrâce de Colonna

Officiellement, la base de l’Umih aurait rejeté cet accord, effarouchée par un coût de la part patronale de la mutuelle qui faisait plus que doubler. Mais surtout, le syndicat de la rue d’Anjou était en pleine campagne électorale. Les cinq binômes qui se disputaient alors la succession de Roland Héguy et d’Hervé Bécam se sont emparés de l’argument. « La mutuelle a été prise en otage », commente Didier Chenet. Les opposants à l’extension au sein de l’Umih auraient aussi été fortement encouragés au refus par le groupe Colonna, qui venait d’être évincé par Klésia et Malakoff Médéric. Une décision qui prendra effet au 1er janvier 2024. L’entreprise Vivinter reprendra alors la gestion du dispositif. Dans les rangs des syndicats, on explique que la double casquette de Colonna, à travers ses filiales Facility (gestion) et Broker (courtage), commençait à agacer les deux instituts de prévoyance. Colonna propose, depuis un an, une mutuelle de santé à 36€ en partenariat avec la Mutualité française. Mais, cette proposition n’a pas fait florès puisque les portefeuilles de Klésia et de Malakoff Médéric sont restés pratiquement stables depuis lors.

Le vrai sujet, c'est la gouvernance !
Éric Abihssira, Vice-président de l'Umih

D’ailleurs, l’Umih a choisi de ne pas faire de préconisations à ses adhérents en matière de mutuelles. Le nouveau vice-président, Éric Abihssira explique que l’accord de 2010 est toujours en vigueur : « les salariés continuent d’avoir une mutuelle qui est celle de la branche. Nous avons simplement la volonté de trouver une porte de sortie au dialogue social et ramener les IP [institutions de prévoyance, NDLR] historiques à la voix de la raison ». Il estime par ailleurs que « le prix n’est pas le seul sujet, il faut qu’il soit pérenne et qu’il mette à l’abri nos salariés d’un assureur qui ne pourrait plus être à la hauteur de leurs attentes ». Il ajoute même, à propos de la hausse des prix de la mutuelle, que ses adhérents « sont davantage mis en difficulté avec d’autres sujets comme la crise de l’énergie, des PGE [prêts garantis par l’État, NDLR] », et de conclure : « le vrai sujet, c’est la gouvernance ! »

L’Umih veut reprendre la main

Partisan de l’extension, Didier Chenet estime que « 47€ est un bon prix, voire un très bon prix. D’abord, le tarif n’avait pas augmenté depuis 11 ans. Ensuite, le Covid a été un “booster” de consommation de santé. Pendant les fermetures d’établissements, les salariés ont commencé à prendre soin de leur santé et ils en ont pris l’habitude, et c’est d’ailleurs souhaitable ». Catherine de Bruyne, directrice de la négociation sociale du GNI, rappelle que l’année dernière « les caisses des mutuelles étaient vides et que pour 1€ de cotisation, le dispositif devait débourser 1,60€ de frais de santé, ce qui correspond mécaniquement à l’augmentation requise. Une étude du Crédoc estime que le coût mensuel moyen d’une mutuelle en France est de 60€. Avec un prix de 47€, nous sommes dans la norme, si on considère que la moyenne d’âge des salariés des CHR est plus faible et qu’ils ont moins de dépenses de santé que la moyenne ». Le GHR évoque enfin que l’accord a permis de renforcer les garanties avec un volet de prévention, d’assistance, un deuxième avis médical, la téléconsultation et que les négociateurs ont obtenu l’assurance qu’il n’y aurait pas de délocalisation des centres de traitement.

Du côté le l’Umih, le nouveau vice-président, Éric Abihssira, se montre toujours opposé à l’extension de l’accord et rappelle qu’il avait déjà voté contre à l’occasion du conseil d’administration de l’Umih, en 2022. Il regrette que les syndicats de salariés aient refusé récemment la médiation de Igas (Inspection générale des affaires sociales) qui avait proposé d’auditer le dispositif. Samuel Yim, secrétaire fédéral de la CFDT, justifie cette position. « Je ne me vois pas accepter un rapport qui n’implique aucun engagement préalable de la part de l’Umih. Pourquoi attendre davantage ? Je déplore un manque de maturité de l’Umih dans le dialogue social. » Ainsi, dans les syndicats salariés, beaucoup font valoir que les généreuses déclarations sociales de Thierry Marx dans les médias sont en contradiction avec l’attitude de blocage de son syndicat sur le dossier. À la manoeuvre au sein de l’Umih, Éric Abihssira tente de reprendre la main et annonce sa volonté de « mettre en chantier trois dossiers : la prévoyance, le fonds d’action sociale et le financement du paritarisme. Il est important que les organisations de salariés et patronales puissent financer elles-mêmes leur dialogue social et ne pas être dépendantes de contribution de partenaires historiques qui, par le passé, ont été essentiellement les assureurs du régime de santé ». Une déclaration qui tendrait à dénoncer une certaine opacité du système et qui fait bondir Catherine de Bruyne : « Il y a une idée fantasmée qui insinue que des acteurs s’en mettent plein les poches : les assureurs, mais aussi les organisations syndicales. Mais, en réalité, tout procède d’une logique mathématique. Croyez-moi, si le gestionnaire ou l’Umih avaient trouvé mieux, ils auraient été inondés par les adhérents ». Du côté salarié, Samuel Yim la rejoint totalement en expliquant : « Si l’Umih fait allusion à nos partenariats, ils sont rédigés noir sur blanc, transparents et légaux. »

L’Umih trouve peu d’échos

Éric Abihssira souhaite aussi créer un observatoire « pour appréhender de la manière la plus précise possible la façon dont évoluent nos dépenses sociales et notre grille des salaires ». Il entend également reprendre l’initiative en lançant un appel d’offres en trois volets : « fixer le prix du marché, négocier la répartition avec les organisations syndicales, retrouver la gouvernance de ce régime par les acteurs sociaux, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Nous souhaitons que ce soit les organisations salariales au terme de l’appel d’offres qui désignent les deux ou trois assureurs qui auront été pressentis. Les organisations patronales, quant à elles, nommeraient les gestionnaires. À partir du moment où Klésia et Malakoff Médéric répondraient à l’appel d’offres, il y a peu de chance pour qu’elles ne soient pas désignées de nouveau comme assureurs. Le sujet, c’est la gouvernance et la transparence. Le dossier doit être géré par les instances paritaires. »

90% des entreprises sont restées chez Malakoff Médéric et Klésia
Jamel Hamdaoui, Président du syndicat national CFE-CGC Inova HCR

Les solutions mises en avant par l’Umih trouvent globalement peu d’échos. Catherine de Bruyne explique : « La recommandation est la seule solution proposée par l’Umih. Cela équivaut à ce que SOS Malus est aux assurances automobiles. C’est le seul endroit où on vous assure lorsque vous présentez une forte sinistralité ». « Ce serait suicidaire pour l’éventuel assureur qui se présenterait, renchérit Jamel Hamdaoui. D’abord, 90% des entreprises sont restées chez Malakoff Médéric et Klésia et ont accepté le nouveau tarif. Ensuite, dans le cadre de la recommandation, l’assureur aura l’obligation de prendre toutes les entreprises qui se présenteraient, quelle que soit leur sinistralité, et appliquera possiblement un tarif autour de 60 à 70€. Enfin, dans cette hypothèse, nous ne pourrons plus piloter le régime. »

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