Le système des mutuelles HCR au bord de l’implosion

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L’accord devait remettre à flot les finances du système de mutuelles des CHR et élargir les garanties des salariés. Il a été torpillé après le refus de signature de l’Umih, rompant l’unanimité syndicale. Le chiffon rouge d’une augmentation de 118 % a effrayé la base, même si ce réajustement correspond en partie à une prise de conscience des réalités financières du dossier.

Malakoff Humanis et Klesia ont annoncé qu’il n’y aurait pas d’augmentation des cotisations de frais de santé au 1er janvier 2023. Crédits : Au Coeur du CHR.
Malakoff Humanis et Klesia ont annoncé qu’il n’y aurait pas d’augmentation des cotisations de frais de santé au 1er janvier 2023. Crédits : Au Coeur du CHR.

Le principe de la mutuelle obligatoire, qui représentait depuis 2016 une avancée sociale dans le secteur des cafés, hôtels et restaurants, est en train de se fissurer. Certes l’obligation demeure, mais le patronat est aujourd’hui ébranlé par la hausse du coût de cette assurance santé. En effet, cet été, les partenaires historiques du secteur depuis 2011, Klesia et Malakoff-Médéric, ont passé la cotisation mensuelle de 28€ à 47€, soit une hausse de près de 68% du coût global. La pilule se révèle d’autant plus difficile à avaler pour les patrons, car ils finançaient jusqu’à présent 50% de cette prestation.

Au terme de l’accord proposé à la signature aux syndicats d’employeurs et de salariés, les patrons auraient désormais dû supporter 65% de ce poids. Ainsi, pour eux, le coût mensuel par salarié et par mois représenterait 30,55 € contre 14 € avant, soit une augmentation de 118%. De la sorte, le gérant d’une brasserie de 10 salariés doit débourser 2 000 € de plus par an pour la seule mutuelle.

En revanche, l’accord devait être plutôt favorable aux salariés puisque la hausse mensuelle de cotisation n’excède pas 2 €. Mais surtout, le nouveau contrat de mutuelle devait offrir des garanties plus larges puisqu’elle prévoyait notamment la fin du reste à charge, dans le secteur de l’optique, du dentaire ou de l’audioprothèse.

Verdict sans appel

Mais l’entente cordiale qui régnait en juillet a vite volé en éclats. Si l’état-major de l’Umih s’est déclaré plutôt favorable dans un premier temps à ce texte, il a procédé à un rétropédalage après avoir consulté sa base. Dans un courrier interne en date du 19 juillet adressé à ses présidents départementaux, régionaux et des syndicats associés, la première organisation patronale du secteur invite ces derniers à se prononcer lors du conseil d’administration, « afin de prendre ensemble la décision de s’opposer ou non à l’extension ». Juste après cette réunion, un communiqué émanant de la centrale syndicale de la rue d’Anjou venait doucher les espoirs des syndicats de salariés : «Le conseil d’administration de l’Umih, réuni ce jour mercredi 3 août, s’est exprimé à une large majorité en faveur du droit d’opposition au projet d’accord de branche proposé par les partenaires sociaux.»

Ce vote n'est pas une rupture

Le verdict de la réunion a été sans appel puisque selon nos informations, 94 voix étaient contre sur 110 votants. Roland Héguy, président de l’organisation, dénonçait alors le texte en essayant de dédramatiser son geste : «Ce vote n’est pas une rupture, mais au contraire le signe d’une volonté de la branche de reconstruire un outil social le plus performant possible, dans l’intérêt des chefs d’entreprise et de leurs salariés. »

Pour les salariés, le revirement de l’Umih représente une douche froide, « Klesia et Malakoff-Humanis nous avaient assuré que toutes les organisations allaient signer, nous étions soulagés », raconte Stéphanie Dayan, secrétaire nationale CFDT Services. Puis l’Umih informe la CFDT et les autres syndicats que Roland Héguy a décidé d’interroger la base, et se dirige vers une non-signature, puis vers une opposition totale. «On n’a jamais vu ça, souffle un acteur syndical proche du dossier. Ça rend la suite du dialogue social particulièrement compliquée. On est totalement tributaires des élections à l’Umih et de la résolution – ou non-résolution de leurs conflits internes »

Pour 1€ encaissé, 1,50€ dépensé

Le GNC, composante de l’Umih, a lui aussi dénoncé le texte. En revanche, deux syndicats patronaux, le SNRTC (chaînes) et le GNI l’ont signé. Didier Chenet, président de cette dernière organisation, a justifié sa décision dans un courrier aux adhérents par deux arguments. Il a d’abord insisté sur l’urgence de «sauver notre régime de branche», en pointant du doigt les déficits récurrents : «Aujourd’hui, pour vous donner un ordre d’idée, pour 1 € de cotisation encaissé, 1,50 € en frais de santé est dépensé. » Il a ensuite plaidé pour un geste social : «L’objet de cet accord est aussi, malgré le contexte difficile du régime, d’apporter aux salariés une nette amélioration de leur couverture santé sans frais supplémentaires».

La rupture a laissé des traces à l’Umih. ThierryGrégoire, président de la branche des saisonniers et ardent défenseur du texte, a regretté que cet accord ne soit pas signé ; ce qui, selon lui, «n’allait pas dans le sens de l’histoire ». Mis en minorité, celui qui était jusqu’à présent pressenti comme un possible futur président du syndicat est aujourd’hui marginalisé. A contrario, cette victoire du non a donné des ailes aux opposants les plus radicaux à l’accord, à l’image du restaurateur parisien StéphaneManigold, candidat officiel à la succession de Roland Héguy à la tête de l’Umih (élection le 27 octobre).

Comme les syndicats patronaux qui ont signé ce texte ne sont pas majoritaires, il n’y a plus d’accord. La répartition du coût de la mutuelle se fait donc toujours à 50-50 entre l’employeur et le salarié. Pour trouver une mutuelle de substitution, l’Umih propose à ses adhérents une formule à 30€ mensuels, portée par le groupe Colonna, un acteur important de l’ancien dispositif. Il était en effet le gestionnaire des flux de fonds assurés par Klesia et Malakoff Humanis. Mais poussé en dehors du jeu par les deux compagnies, Colonna serait rentré par la fenêtre à l’occasion de cette rupture en proposant une offre à 30€.

Des augmentations significatives devraient intervenir dès janvier 2023

À la tête d’un portefeuille «majoritairement constitué d’indépendants groupés en associations de franchisés, notamment d’Accor et de Burger King», le président du groupe, Xavier Colonna, précisait ainsi sa manœuvre dans une interview à L’Argus de l’assurance : «Nous ne faisons que répondre à une sollicitation forte des entre-prises qui tombe manifestement à pic. Les garanties de l’offre Colonna Partners répondent à leurs besoins.»

Cette offre, en association avec la Mutuelle générale, ambitionnait de proposer un tarif entre 30€ et 32€ aux professionnels, bien en deçà des 47 imposés par Malakoff et Klesia. Mais selon un courtier qui tient à garder l’anonymat, cette proposition serait irréaliste et condamnée à brève échéance : «Des augmentations significatives devraient intervenir dès janvier 2023.» Un discours repris par Klesia dans sa communication destinée aux restaurateurs adhérents.

iTexte issu d'un courrier envoyé par Klésia à ses adhérents le 29 août à propos du régime frais de santé HCR.
Texte issu d'un courrier envoyé par Klésia à ses adhérents le 29 août à propos du régime frais de santé HCR. Crédits : Au Coeur du CHR.

Il faut reconnaître que la note salée que représentait cet ajustement de mutuelle est dure à avaler pour les trésoreries alors que les salaires ont déjà été négociés à la hausse en début d’année et que les employeurs commencent à provisionner des sommes pour alimenter les primes de pénibilité, qui devraient vraisemblablement découler du deuxième volet des négociations sociales. La brutalité de l’annonce des « + 118 % » a fait des ravages. Elle résulte pourtant d’une longue période d’attentisme.

Les dés étaient pipés

Rappelons qu’au 1er janvier 2016, lorsque la mutuelle devient obligatoire, Klesia et Malakoff Humanis, déjà partenaires de la profession, acceptent de réduire la cotisation mensuelle de 32 € à 28 € et garantissent qu’aucune augmentation n’aura lieu avant cinq ans. Cette offre conduit alors les deux acteurs à profiter d’un volume appréciable d’assurés.

Car si en 2013, le Conseil constitutionnel interdit la désignation d’un partenaire privilégié par un syndicat, le tarif alléchant et la recommandation des organisations syndicales ont assuré néanmoins à Klesia et à Malakoff Humanis une clientèle importante qui, selon la FGTA-FO, représenterait 85% des salariés du secteur CHR, soit un peu plus d’un demi-million d’assurés. «Les dés étaient pipés car la situation n’était pas tenable, confie un observateur du dossier. D’un côté, les syndicats ne voulaient pas entendre parler de hausse de tarifs ; de l’autre côté, ils réclamaient en même temps toujours plus de garanties.»

Le juste prix

Résultat, Klesia évoquait récemment un déficit annuel global estimé à 50 M€ par an pour le régime. Il devenait urgent de mettre à plat le dossier et cette manœuvre s’est faite dans la précipitation. Dernièrement dans nos colonnes, Laurent Duc, président de la branche hôtelière de l’Umih, reconnaissait une certaine précipitation et regrettait qu’aucun appel d’offres n’ait été lancé. Cette absence de mise en concurrence aurait pu avoir un effet positif dans le cadre d’un marché de cette ampleur. À cet égard, un courtier fait remarquer qu’Axa propose une offre à 35 € pour les clients individuels. Même si elle ne présente pas les mêmes garanties, il estime que le juste prix d’une mutuelle se situerait «un peu en dessous des 40 €, mais pas à 47 € !».

iDans sa communication, Klésia revient sur le déficit chronique du système de santé des HCR.
Dans sa communication, Klésia revient sur le déficit chronique du système de santé des HCR. Crédits : Au Coeur du CHR.

En négociant l’accord, les parties prenantes ont sans doute sous-estimé l’aspect psychologique de leur ambitieux projet. Elles ont ainsi regroupé en une seule fois trois étapes douloureuses : l’ajustement à la réalité des coûts ; l’augmentation de la part patronale et l’accroissement des garanties. Il aurait peut-être fallu habituer progressivement les professionnels depuis des années à la réalité des coûts d’une mutuelle efficace.

Par Jean-Michel Dehais et Vianney Loriquet