La quête du haut de gamme

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L’univers de la charcuterie tend vers la qualité en restauration. Les savoir-faire artisanaux et régionaux sont de plus en plus recherchés par les clients épris de produits authentiques. Par ailleurs, l’impact sanitaire de ces salaisons est également davantage encadré.

Les moments de partage sont de retour. Et à l’heure de l’apéritif, la charcuterie réapparaît sur les tables des bars et des restaurants. Mais les clients portent aujourd’hui une plus grande attention sur la qualité du jambon, du saucisson ou de la terrine qu’ils s’apprêtent à déguster. « Nous observons une montée en gamme, une prémiumisation de la charcuterie. D’abord un attachement à des produits plus locaux, et ensuite tout un axe autour des produits avec plus de naturalité, constate Fabien Castanier, directeur général de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT). En CHR, l’angle terroir est très fort avec le développement des planches de charcuterie et des produits très qualitatifs. » Si les produits proposés dans les bars à vins ou les brasseries ne révolutionnent pas le monde de la charcuterie, la tendance « est plutôt sur un regain de qualité », confirme Yann Berson, à la tête du grossiste Dispéré. La demande est particulièrement importante sur la charcuterie sèche : la saucisse sèche, le saucisson sec, le jambon sec… « Les gens ont une grande attente sur les jambons ibériques. On peut trouver des bons jambons français, mais il faut fouiller un peu plus. Il y a aussi un petit retour de la triperie, de l’andouillette et des charcuteries à l’ancienne : l’andouille de Guémené ou de Vire. Ce sont des produits plus difficiles à trouver et donc plus chers », poursuit Yann Berson. Le chorizo –« notamment le chorizo français » -tout comme le pâté en croûte sont également des produits de plus en plus plébiscités, selon le directeur de l’entreprise de Rungis. Mais ce qui incarne le mieux le haut de gamme en charcuterie aujourd’hui est sans conteste l’offre originaire d’Espagne.

L’IBÉRIQUE EN POLE POSITION

Le jambon sec issu du porc de race pata negra – nourri aux glands (bellotas) – est l’un des plus recherchés par les gourmets adeptes de charcuterie. Spécialiste des produits ibériques à travers son consortium de producteurs, Thierry Roland Garros propose une offre large aux grossistes, aux traiteurs et aux restaurateurs. À travers cette position d’intermédiaire entre les producteurs et les professionnels des métiers de bouche, il intègre la réglementation et la traçabilité à sa connaissance des produits. « Le monde de la charcuterie ibérique, ce sont des races à part entière. Une bonne partie d’entre elles vivent en liberté avec des affinages importants », précise-t-il. Dans son catalogue, on retrouve différents jambons mais aussi du chorizo ou du lomo. Concernant les jambons ibériques, Thierry Roland Garros garantit à ses clients « un minimum de 28 mois d’affinage », avec des dosages « très faibles » en sels nitrités (voir encadré). Avec la démocratisation du snacking, il s’est ouvert davantage encore aux restaurants. « Nous faisons des assiettes coupées à la main en pétales de jambon, réalisées par un cortador et calibrées en 50, 80 ou 100 g. Cela se développe bien dans le monde de la restauration. C’est sous-vide, facile à proposer, avec moins de tranchages à faire et donc moins d’accidents », témoigne le fondateur de VT Roland Garros. Le jambon serrano, certainement le plus vendu à travers le monde, est issu de porcs blancs dont la production n’est pas obligatoirement originaire de la péninsule ibérique. Mais il existe différentes catégories de serrano, en fonction de la durée de maturation du jambon : le bodega (de 7 à 11 mois), le reserva (de 12 à 17 mois) et le gran serrano (plus de 18 mois). Depuis 2013, l’entreprise de la région toulousaine LuxFood vend des produits artisanaux d’exception, dont du jambon ibérique. « Nous représentons la maison espagnole Jamon de Juviles, ils font de la qualité et la qualité traverse les frontières », témoigne son fondateur Philippe Trouïlh, dont la clientèle est française, belge, luxembourgeoise, suisse, allemande… « En CHR, ce sont des établissements qui recherchent du goût : des brasseries haut de gamme ou des tables gastronomiques aux tarifications élevées, mais qui mettent en avant l’origine du produit », insiste-t-il. LuxFood propose plusieurs catégories de jambons IGP (sans conservateurs, sans allergènes, ni nitrites) jusqu’au Bellota 100 % ibérique de 36 mois d’affinage. Outre les jambons espagnols, l’enseigne en ligne propose notamment une sélection raffinée de charcuterie corse de la marque U Lugo : coppa, lonzo, saucisson ou encore figatellu. Victime du succès de ce dernier produit, composé en majorité de foie de porc parfumé aux épices et à l’ail, il ne sera disponible qu’à partir de novembre prochain : « nous avons des clients en liste d’attente pour le figatellu », confie Philippe Trouïlh.

L’ESSOR DES CHARCUTERIES SANS PORC

En France, les charcuteries sont traditionnellement des préparations alimentaires à base de viande de porc. D’ailleurs pour obtenir un certificat de conformité, cela « doit être produit exclusivement à partir de viande de porc certifiée ». Dans les faits, la charcuterie est souvent associée aux salaisons et peut être constituée d’autres viandes comme le bœuf, avec lequel la réputée viande des Grisons est produite. La cecina d’Espagne entre aussi dans cette gamme de produits. « Elle possède un IGP depuis une vingtaine d’années avec neufs producteurs espagnols. En viande de bœuf, c’est la même catégorie que le bresaola [Italie] et la viande des Grisons [Suisse], estime Thierry Roland Garros. La cecina se démocratise en France aujourd’hui, et en restauration on peut proposer une déclinaison de bœuf. Cela permet de faire trois voyages dans différents horizons. » La charcuterie sans porc permet de respecter également les obédiences de chacun. « Nous avons une gamme de produits halal, avec de la cecina, un chorizo et cinq saucissons pur bœuf. Nous proposons cela depuis six ans, sachant que certains restaurants prennent du halal pour satisfaire tout le monde », remarque Thierry Roland Garros. Si Yann Berson observe aussi « une véritable évolution » dans l’offre de charcuterie, elle reste selon lui à « 80 % » porcine. « Depuis quelques années, il y a des rillettes et du pâté en croûte à base de volaille, avec principalement du poulet. Et depuis très peu de temps, il y a de la charcuterie végane. Je suis curieux et la première merguez végane que j’ai goûtée en 2015 m’avait surpris. Nous en avons maintenant une déclinaison », conclut le directeur de l’entreprise Dispéré.

Moins de sels nitrités à l’avenir

La consommation de charcuterie est pointée du doigt, depuis 2015, par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Selon cette agence de l’OMS, la charcuterie est classée comme « cancérigène avéré pour l’homme ». De nombreux scientifiques incriminent les nitrites et sels nitrités ajoutés aux charcuteries, permettant de colorer ou de conserver plus longtemps les produits. Si l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) estime qu’il y a « encore des lacunes dans les connaissances » concernant ces additifs, un rapport parlementaire publié en janvier dernier recommande l’interdiction progressive des nitres d’ici à 2025. « Nous avons baissé le seuil réglementaire [en sels nitrités] de 20 % en 2016, et nous inclurons une nouvelle baisse de 20 % dans le Code des usages de la charcuterie en 2021 : nous attendons la validation de la DGCCRF », assure Fabien Castanier, directeur général de la Fédération des industriels charcutiers, traiteurs, transormations de viandes (FICT), représentant près de 300 entreprises du secteur en France.

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