La viande indétrônable dans les restaurants

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Sur les cartes des restaurants comme dans les préférences des Français, la viande demeure incontournable. Entre l’indétrônable burger, la tendance vers les préparations crues et l’utilisation de morceaux différenciants, la viande occupe toujours une place de choix.

Si elle est en recul à domicile, la consommation de viande augmente hors foyer en France, selon l’Office des viandes de Grande-Bretagne (AHDB). « La viande reste un produit très apprécié par les consommateurs, lance Bernard Boutboul de Gira Conseil, lors d’une conférence organisée par l’AHDB. Les Steakhouses où la viande est servie avec un cérémonial très pointu rencontrent un vrai succès. » Une vision partagée par l’interprofession Interbev qui constate que la viande reste toujours très plébiscitée par les chefs et les consommateurs. « Avec la reprise et un retour à une vie presque normale, on remarque que les gens choisissent toujours autant la viande au restaurant, avec toujours cette envie de se faire plaisir », estime Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev. D’ailleurs, même si les experts notent le développement du flexitarisme, la place des protéines animales dans l’alimentation reste centrale. Pour preuve, les chiffres montrent une augmentation de la vente de boucherie-charcuterie de l’ordre de 7,5 % 1. De son côté, Stéphanie Bérard-Gest, directrice marketing de Cha-ral, estime que les consommateurs vont davantage choisir certains plats de viande perçus comme complexes au restaurant, plutôt que de la cuisiner chez eux. « Nous allons au restaurant pour manger de la bonne viande, nous sommes à l’ère du manger mieux, peut-être moins de quantité mais de bonne qualité », ajoute-t-elle. Lors des Bocuse d’Or, qui ont eu lieu lors du Sirha Lyon les 26 et 27 septembre dernier, les viandes de bœuf Label Rouge ont été mises à l’honneur. Pour l’épreuve du « thème plateau », les candidats ont dû présenter au jury un paleron de bœuf Label Rouge braisé entier. « Le fait que les candidats utilisent le bœuf pour l’épreuve montre que les chefs ne veulent pas retirer la viande de leur carte et qu’ils continuent plutôt d’innover », note Emmanuel Bernard.

L’incontournable burger

En France, le burger a propulsé la consommation de viande à un niveau inégalé. Il est devenu un plat incontournable sur les cartes, à la fois en restauration assise et à emporter, avec près de 80 % de restaurateurs qui déclarent que le burger est devenu leader sur leur carte 2. Le nombre de burgers servis à table a tout simplement été multiplié par 14 en seulement 10 ans 3. C’est ce constat qui a poussé Socopa restauration à proposer le smash burger, un steak haché à presser et à servir écrasé. Parfait pour proposer des burgers à plusieurs étages, le smash burger a été pensé pour être un produit différenciant et pratique. « Chaque portion pèse 50 g, ce qui permet d’optimiser son coût portion », précise Déborah Béguin, responsable marketing restauration hors domicile et boucherie-charcuterie-traiteur chez Socopa restauration.

De son côté, Rougié a décidé de s’attaquer au burger premium, tout en restant facile à mettre en œuvre. Le groupe a mis au point un effiloché de canard confit, surgelé et portionné, pour que le burger de canard s’invite sur les cartes des restaurateurs. Grâce à sa surgélation, l’effiloché est croustillant à l’extérieur et reste moelleux à l’intérieur, en quelques minutes. « Nous voulions innover, proposer un produit facile à utiliser, qui soit différenciant et gourmand, détaille Alice Vasseur, chef de groupe chez Rougié. C’est pour nous l’occasion d’arriver dans le snacking, tout en gardant notre savoir-faire et en valorisant nos producteurs locaux. »

Tendance crue

Une autre tendance montante dans la gastronomie française, les préparations à partir de viande crue, notamment d’origine bovine. « Le développement de la viande crue au restaurant montre que l’on mange de la viande non pas uniquement pour se nourrir, mais pour se faire plaisir », estime Emmanuel Bernard. Dans cette mouvance, Charal restauration lance sa première gamme Chef ! développée en partenariat avec le chef étoilé Clément Bouvier. Une gamme surgelée et 100 % française destinée à tous les restaurateurs, avec trois recettes : un tartare coupé au couteau Label Rouge, un tataki et un carpaccio de faux-filet race Limousine. « Nous avons imaginé une gamme crue premium, qui allie créativité et qualité », lance Stéphanie Bérard-Gest, directrice marketing de groupe. Le chef Clément Bouvier, du restaurant étoilé Ursus à Tignes (73) a imaginé des condiments originaux. Pour le tartare, une sauce italienne tomate confite, olives noires, oignons rouges, huile d’olive et jus de citron et un crumble de pesto. Une moutarde fumée au bois mesquite et une réduction balsamique soja accompagne le carpaccio. Le tataki est, quant à lui, accompagné d’une réduction sauce soja sucrée vinaigre de cidre et de vin et sésame. « Les chefs peuvent exprimer leur créativité avec ces produits, l’idée est de proposer des recettes originales, mais qui laisse place à la touche du chef » , détaille le chef Bouvier. Grâce à la technologie IQF, la qualité est préservée et les produits ont été pensés pour être remis en œuvre rapidement. Le tartare est portionné (180 g) et se décongèle en 5 min dans l’eau tiède.

« Avec le manque de main-d’œuvre et la réalité d’un service, nous avons besoin de produits pratiques, de qualité et qui font gagner du temps », ajoute-t-il. Les produits sont différenciants, notamment le tataki de bœuf, une première dans le foodser-vice. De même, le carpaccio a été « prémiu-misé », selon les propres mots du chef. Autrement dit, le fait d’utiliser du faux-filet race Limousine permet au restaurateur de proposer un carpaccio de haute qualité. Le chef ajoute que cela permet une meilleure gestion du coût portion et une meilleure flexibilité pour les restaurateurs. De son côté, Socopa restauration s’est aussi attaqué à la viande crue, en proposant un gravlax. Des fines tranches de bœuf crues, marinées au sel et aux épices.

« L’idée est de montrer aux restaurateurs qu’ils peuvent proposer le bœuf autrement qu’en pièces ou en burger », commente Déborah Béguin. Ce produit prêt à l’emploi et facile d’utilisation se cuisine comme du saumon fumé. Toujours dans la tendance crue, la marque a aussi mis au point des sauces pour préparation de tartare.

« Nous avons préservé la texture dans cette sauce pour une qualité proche du fait maison », commente Déborah Béguin.

Diversifier son offre

Emmanuel Bernard d’Interbev tient toutefois à rappeler l’importance d’utiliser aussi des morceaux oubliés ou peu adoptés par les restaurateurs. « Le développement de la restauration commerciale a toujours généré un déséquilibre matière, mentionne-t-il. La clé est donc l’économie, il faut éviter au maximum le gaspillage. La réouverture des restaurants a vidé les stocks, en entrecôtes par exemple, il est donc urgent d’utiliser aussi d’autres morceaux. » Pour sensibiliser, mais aussi accompagner les restaurateurs, l’inter-profession a mis en place un outil pratique en ligne. Elle a créé l’impactomètre, une plateforme permettant de comprendre et valoriser l’équilibre matière, en mettant en avant les bénéfices gustatifs, financiers et de rentabilité possible grâce à la diversité des morceaux. Sur demande auprès d’Interbev, le restaurateur peut obtenir des idées d’emploi de différents morceaux et connaître les économies qu’il peut réaliser. Une démarche nécessaire, selon Emmanuel Bernard. « L’offre en viande française est là, à la condition de diversifier les pièces travaillées par les restaurateurs, mentionne-t-il. En 10 ans la situation a complètement changé, maintenant nous n’avons plus le choix. » Il invite par exemple les restaurateurs à cuisiner davantage les joues de bœuf, proposer du bourguignon ou encore travailler les abats. « Quand c’est bien cuisiné, cela met bien en valeur les capacités du chef », ajoute-t-il. De même, Interbev souligne l’importance de l’approvisionnement français, notamment avec sa campagne de valorisation des viandes de bœuf et de veau en restauration commerciale : « La viande française, ça rapproche », lancée au mois d’octobre. « Il y a un véritable intérêt pour la relocalisation, pour valoriser nos produits locaux, souligne Emmanuel Bernard. Les restaurateurs sont attachés aux races locales ; dans la Creuse, on mange de la Limousine, en Bourgogne du Charolais, c’est normal et cela fait partie de l’identité même des territoires. » Il ajoute que le consommateur est en recherche d’appellation et de label, notamment la viande Label Rouge. Un avis que partage Clément Bouvier. « La présence sur les cartes du Label rouge ou d’une race à viande telle que la Limousine rassure le consommateur, et plaît énormément », assure-t-il. Bernard Boutboul estime, de son côté, que de plus en plus, le consommateur veut manger des produits sourcés au restaurant. « Le consommateur veut savoir ce que l’on met dans son assiette », souligne-t-il. Si actuellement seule l’origine de la viande bovine doit être mentionnée, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a annoncé vouloir rendre obligatoire l’étiquetage de l’origine des viandes dans la restauration, commerciale comme collective « le plus rapidement possible en 2022 ». Une obligation qui pourrait une nouvelle fois pousser vers le choix du local.

Notes

1 Rencontres MeatLab Charal, octobre 2020.

2 Gira Conseils 2019-2020.

3 AHDB.

La place de la viande bio

Selon Interbev, la production de viande d’origine biologique a doublé en cinq ans. En 2020, la production d’animaux bio a continué de se développer, passant ainsi de 53 629 TEC (Tonne équivalent carcasse) en 2019 à 59 115 TEC en 2020, soit une progression de + 10 % en un an (tous circuits confondus). « Le bio au restaurant intéresse le consommateur, mais il n’est pas forcément encore prêt à payer la différence de prix avec le conventionnel », pense Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev. La filière s’organise, sous l’impulsion de la loi Egalim, puisque les repas servis en restauration collective devront, d’ici au 1er janvier 2022, compter 50 % de produits alimentaires durables de qualité, dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique. Grâce à cela, l’offre en viande biologique pour la restauration commerciale pourrait continuer de croître.

(Photo de Une Unsplash)

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