La viande rouge reconquiert son identité

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Les réflexions sociétales sur l’écologie et la consommation de produits animaliers ont redéfini le rapport des clients aux aliments carnés. Dans cette période de questionnement où elle est en première ligne, la viande rouge reconstruit son identité en se positionnant comme un produit d’exception.

Récemment Les Inrockuptibles se sont penchés sur « la mode du métier de boucher ». L’hebdomadaire a évoqué le boom des inscriptions en CAP boucher et des nouvelles échoppes hybrides, mêlant boucherie classique et lieu de repas, de plus en plus tendance dans les grandes villes. L’article souligne ainsi l’intransigeance des consommateurs modernes pour qui la viande, et particulièrement la viande rouge, n’est plus un produit avec lequel on fait des concessions. Julien Férant, chef de marché en restauration commerciale chez Davigel, confirme : « Aujourd’hui, lorsqu’un client se déplace au restaurant, il veut une viande de très bonne qualité. Surtout dans la restauration de plaisir, du soir, où l’attente est encore plus forte. »

Le filet de la gamme « Bœuf de nos régions » de Davigel

25 races françaises


Avec ses 25 races, notre terroir semble apte à répondre de façon optimale à cette demande. Cependant, la viande rouge est une économie complexe et, plus que n’importe quel autre secteur, elle a besoin de temps pour appréhender les enjeux modernes. Selon l’artisan boucher d’excellence Jean Denaux, la France ne s’est d’ailleurs pas facilitée la tâche : « On a pendant trop longtemps considéré l’intérêt économique plutôt que la diversité d’identité des races. Par exemple, qu’une salers se doit d’être rouge rubis avec des pointes persillées, point barre. Le noyau de signature a donc été sacrifié sur l’autel du rendement, soit une notion difficilement compatible avec la viande car, quoi qu’on fasse, elle reste un produit cher à transformer, avec beaucoup de pertes. » C’est pourquoi la chaîne de production a besoin de se mettre au diapason. Le récent chevalier de l’Ordre national du mérite, Jean Denaux, continue : « Ici, on ne parle pas d’intermédiaires mais bien de métiers : les éleveurs, l’abattoir, les bouchers, les restaurateurs, bref toute une chaîne de professionnels compétents et altruistes. Or, lorsque j’ai commencé il y a trente ans, il y avait une sorte d’ignorance mutuelle du travail des uns et des autres. Aujourd’hui, un restaurant doit se retrouver dans le produit qu’il propose, connaître son histoire, ses spécificités, etc. »

En novembre dernier, Jean Denaux a reçu à Sens les insignes de chevalier de l’Ordre national du mérite.

Un fonctionnement vertical

Les fournisseurs l’ont bien compris, et leurs démarches vont dans ce sens, poussant plus loin encore la simple envie de traçabilité. Prenons l’exemple de Transgourmet et de sa gamme « Origine »  où l’on trouve du bœuf d’Aubrac et du Limousin. Aurélie Rossignol, directrice adjointe des achats, nous en dit plus : « Les quatre piliers de cette marque sont le développement durable, l’histoire du produit (et donc du producteur), un profil de goût élevé et un circuit le plus court possible. Aucun de ces piliers n’est facultatif. C’est pourquoi l’affiliation à ce programme prend du temps : nous devons apprendre à connaître les gens avec qui nous allons travailler, et vice versa. Ensuite, cette transparence, cette honnêteté, se répercute sur nos clients puisqu’ils achètent un produit qui se raconte dans l’assiette. » Davigel possède une envie similaire, en témoigne le lancement récent de la gamme « Bœuf de nos régions » qui veut aller plus loin que la caution VBF. Selon Jean Denaux, cette logique tient surtout du bon sens : « La viande rouge ne peut pas être un produit global qui se balade dans des containers en provenance de pays qui n’ont pas les mêmes normes. Son traitement doit être vertical, de l’élevage à l’assiette. Aujourd’hui, si un de mes clients demande à voir où et par qui sont élevées les bêtes qu’il achète, je suis capable de lui montrer. » Ces interactions et cette confiance entre les différents acteurs créent ainsi un cercle vertueux sur le long terme et surtout une viande caractérisée par sa régularité.

« Le noyau identitaire des races a pendant longtemps été sacrifié sur l’autel du rendement. »

La maturation : le signe de la revalorisation du secteur

Cela n’empêche pas d’aller chercher du bœuf d’exception hors des frontières, comme les races anglo-saxonnes Angus et Hereford qui sont de plus en plus prisées. Celles-ci ne sont pas forcément incompatibles avec la traçabilité et la verticalité évoquées par Jean Denaux. Bord Bia, office de promotion des produits agroalimentaires irlandais, le prouve avec son programme « Origin Green », soutenu par le gouvernement local. Bernadette Byrne, responsable viande, précise : « C’est un programme unique dans le monde qui s’inscrit dans une logique de développement durable englobant énormément de facteurs très contrôlés, du bien-être animal au rejet de CO2. Désormais, 90 % de nos exportations proviennent des 350 entreprises agréées par ce label. » Évoquer le bœuf irlandais c’est aussi s’intéresser à la maturation. Aujourd’hui, plus qu’une mode, ce procédé est devenu quasiment incontournable. Il faut le voir comme la conséquence logique de ce qui a été dit plus haut : une étape supplémentaire dans la revalorisation de la viande et de ses métiers. Néanmoins, de par le savoir-faire qu’elle suppose, cette technique a un impact tarifaire élevé, notamment pour la maturation sur os, responsable du goût. Des efforts sont faits à tous les niveaux pour la diversifier. Julien Férant partage son expérience : « Chez Davigel, nous faisons très peu de maturation sur os car, selon nous, elle s’adresse surtout aux artisans ou aux rares restaurateurs compétents en parage. Nous préférons mettre en avant la maturation sous vide qui, à défaut d’agir sur le goût, va apporter une régularité de texture, de tendresse. » 

Dans le numéro d’automne de sa revue « T », Transgourmet s’intéresse à la maturation.

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