L’entrecôte parfaite, entre mythe et réalité

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L’entrecôte est un morceau de choix, et une promesse de gourmandise carnassière. Attention donc à ne pas décevoir les hautes attentes des clients. Voici quelques pistes de réflexion.

Rechercher l’entrecôte parfaite c’est un peu la quête du Graal. Les avis des experts divergent sur les critères à privilégier. Le boucher Olivier Metzger rappelle que la perfection en la matière n’a pas de définition : les préférences varient suivant le pays ou la région de consommation, ou selon la mémoire gustative de chacun.

Les avantages de la jeunesse

« Les entrecôtes représentent cinq à douze kilos sur une carcasse de 250 à 600 kg : c’est négligeable! D’où la rareté de cette pièce », souligne Olivier Metzger. Seules les côtes de la 4e à la 8e peuvent prétendre, une fois désossées, à l’appellation entrecôte. Et tout le monde se les arrache, pour leur teneur en gras, leur tendreté et leur saveur. Mais plusieurs écoles s’affrontent. « En Grande-Bretagne, la tendreté est primordiale, contrairement à la France où l’on apprécie les goûts plus forts », souligne Rémi Fourrier, directeur d’AHDB France. L’entrecôte est théoriquement une garantie de tendreté, car elle est riche en gras interstitiel – également appelé persillage – infiltré dans les tissus musculaires. Selon la quantité de tissu conjonctif présent, la viande sera plus ou moins ferme. Ainsi, pour assurer une parfaite tendreté, les Britanniques favorisent les très jeunes animaux, de moins de trente mois, chez qui le tissu conjonctif est moins formé. Ces bêtes ont également l’intérêt d’être plus petites. Leurs carcasses de 300 à 350 kg permettent de découper des entrecôtes de 200 g environ, qui peuvent être servies en portions individuelles tout en conservant une belle épaisseur. « Pour avoir des portions au goût actuel, les carcasses très lourdes ne conviennent plus, considère Rémi Fourrier. Aujourd’hui, les gens font attention à leur ligne et à leur santé. Comme l’entrecôte est un produit très gras, ils ont tendance à en consommer moins. » La recherche britannique de tendreté passe également par le mode d’alimentation des bœufs et génisses, élevés en système herbager en plein air, par la suspension pelvienne de leur carcasse qui tire ainsi moins sur les muscles qu’une suspension par le jarret, ou par une maturation de sept à vingt et un jours imposée par les cahiers des charges des grandes surfaces.

Selon Rémi Fourrier, la qualité de la viande se joue en grande partie à l’abattoir, et dépend de l’état de l’animal quand il arrive à la saignée, de la façon dont il est paré, suspendu, maturé, etc.

L’expérience de la vieillesse

« Les jeunes bovins britanniques sont intéressants pour les restaurateurs, parce qu’ils sont tendres et de la bonne taille, confirme Jean-Christophe Prosper, boucher et conseiller du grossiste en viandes GRG. Mais ils manquent de saveur. Donc il faut aller chercher de l’aubrac, de la salers ou de la normande, qui sont petites, avec un goût particulier, et bien marbrées. » De plus, leur chair peut être maturée. Une quinzaine de jours suffit à développer les flaveurs et à permettre à certaines enzymes de fragmenter les fibres musculaires de la viande. Toutefois, la maturation à un coût : celui de la manutention, du stockage ou de la perte de la partie oxydée de la viande, qui ne pourra pas être consommée. La question du prix influe sur le choix de la race. « Dès qu’on rentre dans des appellations connues, comme charolaise ou limousine, on est sûrs d’avoir un rapport qualité-prix correct,  affirme Marc Vanhove, fondateur des Bistro Régent, avant de faire part de ses arbitrages. La charolaise est élevée de façon presque industrielle, mais la salers ou l’aubrac nous obligeraient à élever nos prix. » Le choix de l’entrecôte dépend donc de la clientèle visée et du positionnement de l’établissement, mais aussi du moment de l’année. « Je crois vraiment à la saisonnalité des races, révèle Jean-Christophe Prosper. En fonction notamment des dates de mise au pré, le rendu peut être très intéressant à des périodes particulières. En janvier, je conseillerais de miser sur les races de montagne comme l’aubrac et la limousine. » En raison de cette multiplicité de facteur, la relation avec son boucher semble particulièrement essentielle pour choisir une entrecôte.

L’entrecôte des Bistro Régent est servie avec la sauce (secrète) Charmelcia, de la salade verte, et des frites allumettes.

L’épreuve du feu

Une entrecôte, d’aussi bonne qualité soit-elle, ne sera parfaite que si sa cuisson est bien menée. Or, celle-ci dépend de la typologie de la viande. « Plus elle est grasse, plus elle aura besoin d’une cuisson au feu pour caraméliser les protéines. Au Japon, elle est si grasse qu’elle est consommée en sukiyaki (la fondue japonaise, NDLR). Plus elle est maigre, plus elle aura besoin d’une poêle ou d’une plancha, pour éviter qu’elle ne sèche », décrit Olivier Metzger. Mais tout dépend à nouveau des goûts individuels. Ainsi, Marc Vanhove privilégie les morceaux de 400 g et d’au moins un centimètre d’épaisseur, qu’il demande à cuire deux à trois minutes par côté pour un résultat saignant. L’entrecôte est ensuite servie avec la sauce secrète des Bistro Régent, et des frites, parce qu’il n’« y a pas photo, c’est le meilleur avec la viande ! ». Mais Jean-Christophe Prosper conseille tout l’inverse. Il affirme que « l’entrecôte saignante ce n’est pas une hérésie… mais presque. Son gras va avoir une texture spongieuse, pas vraiment cuit. D’où l’intérêt d’une cuisson plus poussée, limite à point, pour retrouver les sucs du produit et ses arômes particuliers ». Selon lui, l’entrecôte doit donc avoir une épaisseur de trois à quatre centimètres et se retourner cinq ou six fois durant la cuisson, pour obtenir une croûte de chaque côté tout en conservant un cœur presque rosé. Le conseiller de GRG bannit toute sauce trop forte qui cacherait le produit, et suggère une double garniture composée d’une purée chaude qui pourra être mélangée au jus de la viande et d’une salade froide pour rafraîchir l’ensemble. La conclusion de notre quête est donc que si celle-ci peut être menée en suivant les conseils de grands sages, elle est avant tout individuelle. 

En janvier, Marc Vanhove conseille de miser sur les races de montagne comme l’aubrac et la limousine.

Jean-Christophe Prosper chez GRG, à Rungis

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