De plus en plus d’opérateurs calibrent leurs rouges pour la période estivale en allégeant les tannins, limitant le degré alcoolique et en misant tout sur le fruit. Certains recommandent même le seau à glace, voire les glaçons !
L’été 2024 est marqué par une nouvelle tendance, l’éclosion des rouges d’été à consommer frais, et même avec des glaçons pour les plus audacieux. Déjà, au printemps 2022, la Maison Brotte, à Châteauneuf-du-Pape (Vaucluse), avait lancé un Rouge Frigo. Depuis, le domaine Boisson à Cairanne a sorti un côtes-du-rhône sans sulfites sous le nom Petit Boisson Rouge avec un baigneur en costume de bain, bien visible sur l’étiquette. Vieux Papes (Castel) parie sur un degré alcoolique limité avec une gamme Papoté à 10 °, dans laquelle on repère un rouge, assemblage de merlot et de carignan, très axé autour des fruits rouges.Et cette année, plusieurs grosses cylindrées du monde vinicole se positionnent sur le créneau, à commencer par Gérard Bertrand.
Une fois de plus, le propriétaire négociant languedocien fait partie des pionniers. Il a mis sur les différents marchés cinq cuvées rouges calibrées pour une consommation estivale. Parmi elles, le Chouchou. Ce rouge ne titre pas plus de 11°. Il provient d’un assemblage de grenache, de cinsault et de syrah, vendangés durant une période de fraîcheur. La macération n’excède pas une journée afin d’extraire un peu de couleur, des arômes de fruits rouges tout en évitant les tannins. Gérard Bertrand décline aussi Rouge clair, un grenache très clair, entre le rouge et le rosé qu’il recommande de servir frais (13 °). Mais Trouble s’affirme comme sa cuvée de rouge d’été la plus surprenante car il s’agit d’une gamme de vins non filtrés et non collés. Il conseille de servir le Trouble rouge frais, non glacé. Dans cet assemblage syrah grenache, une partie de la syrah est macérée à froid pour limiter l’extraction des tannins.
Oser la fraicheur
Michel Chapoutier a lui aussi bien cerné cette problématique avec son Rouge Clair, présenté comme « une excellente alternative au rosé ». Il est ainsi conseillé de servir cette nouvelle cuvée entre 10° et 12°. Et il ne craint pas de briser les tabous en laissant le choix : in the rocks ou on the rocks ; c’est-à-dire dans le seau à glace ou avec deux glaçons au fond du verre. Le vigneron de Tain-l’Hermitage indique qu’il a ainsi voulu « décontracter les rouges. Les jeunes aiment les boissons fraîches comme les cocktails. Le blanc et le rosé profitent de cette tendance, mais les rouges qui se consomment à température ambiante se coupent ainsi d’une partie des consommateurs, d’où leur baisse de consommation. Je pense que le vin est en train de mourir car il se ghettoïse dans un snobisme suicidaire ». Michel Chapoutier estime qu’il est temps de changer son fusil d’épaule. « Cela fait cinq ans que je demande à Agrimer de créer un clairet générique qui pourrait être intégré dans de nombreuses AOP françaises. En attendant, les Italiens ont pris de l’avance. Ils vendent aujourd’hui plus de vin rouge clair que de rosé. En France, on fait tout le contraire. L’AOP côtes-du-rhône a ainsi fait augmenter d’un degré le niveau d’alcool minimum des rouges et a accru l’intensité colorante. »
C’est pour cette raison que le Rouge clair est sorti de l’AOP pour être commercialisé avec la mention Vin de France. Les macérations durent entre une semaine et dix jours. Les raisins sont soumis à des températures de vinification plus basses afin d’obtenir un vin rouge moins tannique, sur la fraîcheur et le fruit. Michel Chapoutier a aussi privilégié un assem- blage dominé à 80 % par le grenache, dont les tanins soyeux correspondent bien au postulat de la cuvée. À l’avenir, il n’est pas certain de maintenir une proportion de 20 % de syrah. « La fraîcheur, explique le vigneron, accentue le mordant des tannins. » C’est la raison pour laquelle la nouvelle cuvée tente d’arrondir cet angle. Le passage du rouge par le réfrigérateur implique aussi la limitation du degré alcoolique. Ainsi Rouge clair a été vinifié à 14,5 ° avant d’être descendu de 2 ° pour titrer 12,5 °.
