Apéritifs : le retour en grâce du vintage

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L’engouement actuel pour le terroir et le made in France pousse les consommateurs à renouer avec les anciens apéritifs. Autrefois jugés obsolètes, ils retrouvent d’autant plus facilement le chemin des tables que les saveurs amères reviennent au goût du jour. Cette effervescence du marché conduit même des marques à créer de nouvelles recettes plus sophistiquées.

La Maison Lillet produit 12 millions de bouteilles chaque année. Crédits : Helena Yankovska.
La Maison Lillet produit 12 millions de bouteilles chaque année. Crédits : Helena Yankovska.

Après une période de purgatoire, les vieilles marques d’apéritifs français suscitent à nouveau l’engouement du public. Encore très présentes sur les tables durant les Trente Glorieuses, elles ont été doucement éclipsées par le whisky, la vodka ou le rhum. Mais au moment où les Français redécouvrent leur terroir, ces boissons retrouvent une seconde jeunesse. C’est le cas, notamment, des vermouths français et autres apéritifs à base de vins promus par la Fédération française des vins d’apéritifs (FFVA). « Les consommateurs sont en quête de nouvelles saveurs, avec la redécouverte du goût amer. Et le mariage du vin, des épices et des plantes aromatiques que célèbrent les vermouths, les séduit tout en mettant à l’honneur le patrimoine français », observe Augustin Chazal, directeur de la FFVA.

Des apéritifs parfois nés au XIXe siècle

Avec 12 millions de bouteilles produites chaque année et une croissance à deux chiffres en 2021, la Maison Lillet fête ses 150 ans en 2022. La marque créée en 1872 par les frères Lillet à Podensac, dans la région bordelaise, a conservé sa recette inchangée depuis le XIXe siècle, composée de 85 % des vins du Sud-Ouest alliés à des infusions de fruits, d’écorces d’oranges douces et amères et de quinquina. « Son packaging, qui rappelle les codes du vin avec sa bouteille aux gravures inspirées de la ville de Bordeaux et ses dorures sur son étiquette aux accents vintage, rend hommage à son héritage et à sa longue tradition », expose Léa Belot, marketing manager de la marque.

« Toutes ces maisons et marques historiques, comme Byrrh ou Noilly Prat, qui ont connu un succès florissant et qui étaient produites en volumes très importants à la fin du XIXe siècle sont petit à petit tombées en désuétude. Mais, armées de leur imaginaire et de leur histoire riche, elles reviennent et surfent sur la vague de nouvelles recettes qui séduisent les amateurs de produits locaux », argumente Augustin Chazal.

Des emblèmes français

St Raphaël, l’apéritif de France appartenant au groupe Bardinet-La Martiniquaise, a, lui aussi, connu un succès retentissant comme en témoigne Stephen Martin, le Brand ambassadeur de la marque laquelle continue de développer ses deux recettes inspirées de 1830 : le Quina Ambré et le Quina Rouge. Lors de l’Exposition universelle de 1900 à Paris, St Raphaël disposait même de son propre pavillon et ce fut la première marque d’apéritif à offrir aux visiteurs une montée en montgolfière stylisée aux couleurs de son univers avec pour slogan : “Le St Raphaël Quinquina est le plus puissant des vins toniques”.

Depuis le grand retour des cocktails dans les années 2000, les barmen rivalisent d'inventivité en puisant dans le registre des marques désuètes, devenues branchées.
Guillaume Ferroni, Ancien barman, créateur de la Maison Ferroni

Côté spiritueux, les codes vintage de la marque Suze (Pernod), née en 1889, sont forts. En 130 ans d’existence, sa bouteille jaune orangé a très peu changé ! Et « l’emblème de l’apéritif à la française » – 3,5 millions de litres vendus -ne cesse de se réinventer. Question look, sa dernière édition limitée a été confiée à Hemma Lange, styliste, qui a réinterprété l’étiquette de la bouteille avec un motif de gentiane stylisée.

L’amer à boire

« Nous n’étions plus éduqués au goût amer, qui est présent dans les vermouths. Mais, depuis quelques années, avec l’explosion du spritz, l’amertume revient en force et cela rend ces boissons vintage plus accessibles », commente Augustin Chazal. Dans le St Raphaël, c’est le quinquina, un ingrédient clé de sa recette, qui apporte une légère amertume au breuvage. Dans leur ADN, toutes ces boissons apéritives étaient, à leurs origines, considérées comme des boissons de santé. La quinine, qui permettait de lutter contre les fièvres courantes à l’époque, est extraite de l’écorce de quinquina. Il faut d’ailleurs préciser que nombre de ces marques furent imaginées à l’origine par des pharmaciens.

Le vermouth de Chambéry (Savoie) de chez Dolin, Noilly Prat à Marseillan (Hérault), la Charente avec la Quintinye, Lillet dans le sud-ouest de la France, le Rinquinquin de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) ont tous en commun un véritable ancrage territorial et des origines 100 % françaises.

La Maison Lillet va encore plus loin en soignant son sourcing : non seulement elle s’approvisionne à 100 % en vins de la région mais elle se fournit en fruits à moins de 30 km du site de production. À Forcalquier, dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Distilleries et domaines de Provence jouent à 100 % la carte locale avec leurs cinq spécialités apéritives à base de vins, des recettes traditionnelles élaborées ici depuis 1898. Le Rinquinquin, leur produit phare écoulé à 60 000 litres par an, est élaboré à base de vin blanc, de pêche, de feuilles de pêcher, de sucre et d’alcool et il entre dans la composition de nombreux cocktails.

« Depuis le grand retour des cocktails dans les années 2000, les barmen rivalisent d’inventivité en puisant dans le registre de ces marques désuètes, devenues branchées, des sources d’inspiration aromatiques », estime Guillaume Ferroni, ancien barman, créateur de la Maison éponyme.

Le pastis innove

À l’heure de l’apéritif, le pastis a également modifié son image et redoré son blason. En 1990, Alain Robert, P-DG des Distilleries et domaines de Provence, crée une petite révolution aromatique dans cet univers en lançant son pastis Henri Bardouin animé par une ambition haut de gamme. « Nous considérons le pastis comme un véritable produit de dégustation, assure-t-il. Sa richesse organoleptique doit apporter un agrément à l’eau qui permet de désaltérer. C’est pourquoi il peut se déguster comme un vin », souligne-t-il.

Le pastis a pris la suite de l'absinthe qui a été interdite au début du XXe siècle.
Alain Robert, P-DG des Distilleries et domaines de Provence

Alain Robert vient encore d’innover avec sa jeune référence Henri Bardouin Pastis Prestige. La recette originale, qui mêle 65 ingrédients, s’enrichit ici par l’ajout de rose Centifolia, safran de Forcalquier, vétiver et poivre de Sichuan. Quatre « petits nouveaux » qui viennent complexifier d’arômes boisés et de notes fleuries la recette traditionnelle du Pastis original des Distilleries et domaines de Provence. Une entreprise qui a ouvert la voie de la dégustation pour le pastis.

La carte de l’artisanat

Depuis, de nombreuses maisons artisanales de spiritueux ont suivi le mouvement. C’est le cas de Guillaume Ferroni, aux abords de Marseille, avec son pastis millésimé estampillé Château des Creissauds et créé en 2012 avec l’objectif d’intéresser les collectionneurs : « C’est un pastis de domaine qui source nos propres plantes aromatiques sur notre exploitation de sept hectares. On ne travaille que de la plante fraîche marquée par l’intensité des variations climatiques de chaque millésime », justifie-t-il.

Il faut aussi rappeler que beaucoup de jeunes marques prometteuses émergent actuellement. Ainsi, l’Anis des Gones, créé en 2020 et présenté lors du dernier Sirha par Richard Ducret, président fondateur de Distillerie de Lyon, vient-il d’être couronné Meilleur pastis du monde lors du concours World Drinks Awards. « Le pastis a pris la suite de l’absinthe qui a été interdite au début du XXe siècle. Jusqu’en 1939, période de l’interdiction de fabriquer des apéritifs à base d’alcool, on trouvait toutes sortes de recettes anisées. Et en 1950, à l’heure du grand retour du pastis, on a observé un appauvrissement de la recette avec des produits très similaires », note Alain Robert.

Vers une complexification des recettes

Inscrites à contre-courant de la standardisation du pastis, les maisons artisanales valorisent aujourd’hui la complexité du produit ainsi que son ancrage territorial. C’est le cas du pastis Casanis, fabriqué par le groupe Bardinet-La Martiniquaise, un pastis typique à la double identité, corse et marseillaise. Il a choisi de se distinguer par son ancrage géographique, mais aussi par son mode d’élaboration : c’est l’un des seuls pastis de Marseille élaborés à partir d’une fine distillation d’anis vert et d’anis étoilé et par la lente infusion de la réglisse.

Ricard et Pastis 51, leaders incontestés du marché des anisés, ont décidé depuis quelques années de s’inscrire dans cette tendance de complexification des recettes. On a ainsi vu apparaître sur le marché Ricard plantes fraîches, en 2018, en valorisant une production locale avec des partenariats agricoles dans le sud de la France, la relance de la culture du fenouil aromatique et l’objectif de porter une agriculture 100 % durable d’ici à 2030. En 2020, la gamme Ricard Fruités bio élargit le portefeuille Ricard et sa campagne de communication « Born à Marseille » crée la surprise avec une incarnation forte des origines de la marque. De son côté, Pastis 51 (Pernod) se concentre sur le moment traditionnel de l’apéritif. Une façon de mettre en avant la filière et le produit dans la tonalité d’un marché en quête de sens.

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