Le thé joue la qualité
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Le thé, consommé aussi bien chaud que froid, profite de l’image naturelle et de bien-être, d’où un nombre de consommateurs sans cesse en augmentation. Aux CHR de savoir répondre à cette demande correctement en accordant une attention particulière au choix du produit ainsi qu’au service.

Avec une hausse de 14% des ventes de thé en valeur, entre 2022 et 2023, au sein de son réseau, le distributeur C10 savoure la belle santé du segment. « Nous sommes vraiment dans une tendance très positive », lance Camille Delettrez, directrice marketing, et ce, en dépit d’une baisse de 9% cette fois en volume pour la même période.
Sans oublier la très faible part de cette plante dans ses ventes globales: le poids du thé chaud n’est en e et que de 0,13%. Un résultat de niche s’expliquant par le traditionnel commerce direct entre le professionnel CHR et la marque de thé, voire le torréfacteur. Ou même la grande distribution. « Le thé est quasiment présent dans tous les établissements. Mais il n’y a pas toujours eu une offre spécifique pour les CHR. Nous avions ainsi des achats de thé réalisés par les professionnels dans la grande distribution », développe ainsi la représentante de C10. Une situation qui a toutefois connu une évolution. « Cela a changé avec l’intérêt croissant de la clientèle sur la qualité du thé bu. Cela a permis à l’offre de se développer, avec des produits plus qualitatifs et premium », ajoute Camille Delettrez.
Un constat s’impose en effet. Celui d’un consommateur qui s’est davantage tourné vers cette boisson, avec une recherche d’informations. « C’est le client qui a les clés. Et nous voyons que les Français ont une appétence pour le thé qu’ils n’avaient pas avant. Les boutiques de thé qui ont fleuri ont poussé le consommateur à s’intéresser à cette boisson », avance François-Xavier Delmas, chercheur de thés et fondateur de la marque Palais des Thés.

Celle-ci compte 120 boutiques dans le monde, pour moitié en propre et pour moitié en franchise. « Voilà 30 ans, le thé était une boisson de grand-mère. Son image a aujourd’hui changé. De grands progrès ont été réalisés », poursuit-il. De nouvelles typologies de consommateurs sont alors apparues telles que les hommes et les jeunes. « Depuis deux ans, nous avons recouvré l’ensemble des ventes de 2019. La catégorie du thé ne cesse de croître dans le monde et la place du CHR continue d’augmenter. Il s’agit d’une catégorie qui attire une jeune clientèle soucieuse de mieux s’alimenter. Leur niveau d’exigence ne cesse de progresser », analyse pour sa part Abdelkader Sayah, directeur du développement commercial hors domicile de Lipton Teas and Infusions. Le groupe possède environ 30% de parts de marché en France et commercialise les marques Lipton, Lipton Yellow et Pukka dans le CHR.
Un service à revoir
Forcément, face à ces nouvelles demandes, les hôtels et les restaurateurs tendent peu à peu à faire évoluer leur offre. Ces derniers partent d’ailleurs de loin. « Le sujet du thé est souvent la cinquième roue du carrosse, n’hésite pas à lâcher Émile Auté, fondateur de la maison du même nom, qui importe du thé et en produit en Bretagne. Pourtant, il s’agit du dernier produit que nous mettons sur la table. Je le dis aux restaurateurs : “ Vous connaissez tous vos producteurs, maraîchers, éleveurs et vignerons mais la dernière chose que vous mettez sur la table est soit un thé acheté chez votre marchand de café, comme si vous alliez acheter votre poisson chez le boucher, soit un thé qui provient de la boutique d’à côté ! À quel moment, est-ce pour vos clients une découverte à la hauteur des efforts que vous faites pour tous les autres produits ? ” »
De plus, c’est aussi bien au niveau de la variété de thés proposés que des conditions de service que le bât blesse. « On ne sait pas depuis combien de temps il infuse. Il n’y a pas d’attention à la température de l’eau. Or l’eau est le premier ingrédient du thé. L’eau bouillie possède peu d’oxygène et ne permet pas de révéler les saveurs. Il n’y a pas de connaissance du produit », déplore Émile Auté.
Pourtant, il l’assure : « Ce n’est pas si complexe. En quelques heures, j’arrive à former les équipes. Le prix du café augmentant, le thé reste la meilleure marge du bar. Je ne comprends pas que les équipes ne s’y intéressent pas. » Un écueil d’autant plus dommageable que le produit est constitutif de l’expérience client, selon François-Xavier Delmas : « Le thé ne coûte pas cher et peut vous permettre de développer votre image de marque, le tout pour un investissement assez peu onéreux. »
Une offre de plus en plus qualitative
Néanmoins, les habitudes tendent à évoluer dans le bon sens. « Hier, il y avait une sorte de thé. Aujourd’hui, beaucoup de CHR apportent une boîte à la fin d’un repas. Ils permettent un choix et encouragent le consommateur à revenir. Comme il est fait attention aux origines du café, il est fait attention à posséder une gamme de thé diversifiée et qualitative », salue Camille Delettrez. Les marques font également preuve de pédagogie en ce qui concerne le service qui conditionne la qualité finale du thé. Elle dépend de trois paramètres : le grammage en thé, la température de l’eau et la durée d’infusion. Les marques inscrivent ainsi les informations principales sur les sachets.
En complément, Kusmi Tea organise des formations avec certains de ses clients « pour les sensibiliser ». Même fonctionnement du côté d’Émile Auté qui connaît la réalité de la profession des CHR, pour avoir été pendant 20 ans restaurateur : « Je me permets de traduire le protocole de service et j’adapte les techniques à la réalité d’un service. »


Par ailleurs, l’évolution s’effectue à deux vitesses, en fonction, naturellement, du type d’établissement. « Dans les CHR classiques, il reste un produit complémentaire. Nous n’allons pas y développer une carte de thés. Nous nous orientons davantage sur la question du prix. Quand il s’agit du thé en produit complémentaire, le CHR se laisse guider. Il nous fait confiance. Pour les établissements plus prestigieux, il y a un travail sur le type de thé, la saisonnalité avec une boisson qui tient plus au corps l’hiver et est plus légère l’été », analyse ainsi Benjamin Herdalot, directeur commercial pour Dammann Frères.
La marque dénombre en outre 350 thés disponibles en vrac et échange constamment avec ses clients sur leurs envies. Un phénomène qui, finalement, s’inscrit dans la logique globale d’un établissement : si une attention toute particulière est accordée au choix des mets, le thé entre alors en ligne de compte. « Ce qui se passe est extrêmement intéressant, s’enthousiasme Alice Bureau, fondatrice du Conservatoire des Hémisphères, qui compte deux boutiques à Paris. Les plus grandes maisons nous sollicitent car elles sont plus attentives à cette boisson. Elles veulent la même exigence dans tous les produits qu’elles proposent. »
Aussi, le thé a vu son champ des possibles être extrêmement élargi à travers des modes d’utilisation bien plus variés. « Le thé commence à prendre un virage un peu différent, confirme le représentant de Dammann Frères, Benjamin Herdalot. Nous sensibilisons la haute gastronomie à utiliser le thé dans des recettes sucrées, salées mais aussi en mixologie. Nous pouvons également réaliser une union avec un accord thé et mets. » Et François-Xavier Delmas (Palais des Thés) de renchérir : « Durant les dix dernières années, le thé est sorti de la théière et les chefs s’en sont servis. Il existe une vraie demande pour le thé en sauce ou en accompagnement. »
Une orientation vers le bien-être
L’essor s’est également joué sur le terrain du bien-être. À la manière de ce que propose Kusmi Tea. Parmi ses 33 références de thé et infusion destinées aux professionnels des CHR, la marque compte, notamment, Rituel Sommeil, une nouveauté sortie à la fin de juin 2024, « orientée hôtellerie mais elle peut aussi convenir lors des dîners aux restaurants », précise Jonathan Beck, directeur des ventes du pôle CHD, et d’ajouter : « C’est en proposant un produit un peu plus plaisir, différent des autres, que nous arrivons à attirer de nouveaux consommateurs, en développant les infusions et en le cherchant sur l’aspect bien-être. »
La demande est devenue plus précise et se segmente entre les références classiques et celles plus originales, souvent conçues comme des recettes signatures d’une marque. « Il existe cette volonté de développer sa propre identité », souligne Alice Bureau (Conservatoire des Hémisphères). De plus, « les CHR sont à la recherche de produits plus innovants et respectueux de l’environnement parce qu’ils reflètent l’image de l’établissement dans lequel ils sont », complète Abdelkader Sayah (Lipton Teas and Infusions).
En cela, la tendance est aux références RSE : commerce équitable et pratiques raisonnées, voire la certification bio. Baronny’s, la marque exclusive à C10, dispose de références bio depuis environ cinq ans. « Le bio a bien progressé et sa volumétrie est quasi équivalente à celle en non bio », révèle Camille Delettrez (C10). Cependant, à l’image du secteur des produits biologiques qui n’a pas le vent en poupe actuellement, l’offre peut se trouver en difficulté à cause de son prix. « Nous avons imaginé une proposition bio mais les clients y sont de moins en moins sensibles. Avec l’inflation, ils font la part des choses », constate en effet Benjamin Herdalot (Dammann Frères).

Malgré cela, les acteurs du thé restent ambitieux et se révèlent confiants en l’avenir, alors que la consommation s’étale désormais tout au long de la journée. « La catégorie thé dans les CHR ne cesse de se développer en valeur et en volume. Il existe un attrait de plus en plus fort pour les thés et les infusions, conclut Abdelkader Sayah (Lipton Teas and Infusions). Les acteurs du CHR développent aujourd’hui une vraie stratégie pour améliorer et développer leur offre. »