Cocktails prêts à boire : une recette qualitative et facile
- Temps de lecture : 8 min
Alors que le cocktail s’ancre progressivement dans les habitudes des Français, proposer une offre qualitative n’est pas forcément possible pour tous les CHR. La solution : les cocktails prêts à boire. Non seulement l’offre s’est diversifiée depuis la Covid-19, mais elle connaît en plus une belle montée en gamme.
La déferlante cocktail en France continue de se confirmer. La préparation se classe ainsi à la quatrième place des boissons alcoolisées préférées des Français (31%, +2 points vs 2023), selon l’édition 2024 du Baromètre Sowine/Dynata, en hausse de deux points par rapport à 2023. Face à ce constat, les CHR, et ce quelle que soit leur typologie, ne peuvent faire l’impasse sur ce produit dans leur offre. Néanmoins, il n’est pas forcément aisé de proposer une carte complète de cocktails avec des recettes éprouvées et maîtrisées. D’autant plus dans un contexte de difficultés à trouver de la main-d’œuvre compétente, accentuées par une conjoncture économique particulièrement rude.
Les cocktails prêts à boire, aussi appelés RTD (pour « ready-to-drink » en anglais) ou prémix, peuvent apparaître comme la solution pour bon nombre de professionnels. Une situation confirmée par le distributeur France Boissons: « Nous constatons un intérêt des clients pour [ce] segment […] même s’il reste encore en devenir. Les données sont encourageantes sur la consommation depuis 2021. Et la sortie des restrictions Covid, marquée par deux phénomènes : l’augmentation de la consommation de cocktails hors domicile et l’augmentation du turnover des équipes de service dans les établissements ne permettant pas de les former à la mixologie. »
Depuis la Covid…
La pandémie a en e et donné un coup d’accélérateur, aussi bien au segment général du cocktail, qu’à sa version prête à boire. « J’imagine que la Covid a favorisé la consommation de cocktails à domicile et a donné envie d’en consommer hors domicile. Il est certain que la tendance de consommation de cocktails et la volumétrie des spiritueux ont grimpé en flèche depuis », abonde Camille Delettrez, directrice marketing & communication de C10. Les données du distributeur présentent d’ailleurs une idée du développement : +55% en valeur et +65% en volume entre 2022 et 2023 sur les quelques marques identifiées en RTD dans son catalogue. Néanmoins, Camille Delettrez se veut prudente sur ces chiffres qui peuvent se révéler trompeurs : « Il s’agit d’un marché qui reste petit en termes de volumétrie. »
Pour preuve, les marques prévues au catalogue de C10 ne sont disponibles que dans 1,5% de ses points de vente. Le segment apparaît ainsi comme une niche. « Nous avons une consommation différente de celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni, pays dans lesquels ce produit est beaucoup plus entré dans les mœurs. Il y existe davantage de marques aussi bien en grande distribution qu’en CHR, avec des prix plus accessibles », indique Anne-Laure Charrier, directrice France, Suisse et Europe de l’Est de Brewdog. Le brasseur écossais dispose de la gamme Wonderland Cocktails, disponible en canette uniquement pour le marché britannique. En France, la création est seulement présente dans ses pubs. Dans l’Hexagone, les cocktails prêts à boire « sont des niches qui n’ont pas vocation à représenter des volumes colossaux », ne manque-t-elle pas d’ajouter.
Cette situation n’a néanmoins pas empêché de nombreux acteurs à se lancer. Ce qu’a constaté Guillaume Sudre, cofondateur, avec Ely Fall, de la marque Ely’s Cocktail en 2017. « Il n’y avait rien à l’époque. Depuis que je suis arrivé, 15 à 20 acteurs se sont lancés et sont toujours là », décrit celui qui possède une gamme d’une dizaine de références, pour une production annuelle comprise entre 150.000 et 200.000 litres. Même son de cloche du côté d’Airmail Cocktail, lancé en 2020, au moment de la pandémie de Covid-19. « Voilà quatre ans, il y avait très peu d’acteurs. Aujourd’hui, il y en a plus et ils perdurent », raconte Magalie Canto, cofondatrice avec Germain Canto et Guillaume Charrier.
De plus, la diversité croissante de l’offre a entraîné un développement de la demande. « En retour de terrain, nous commençons à avoir des demandes pour ces produits-là. En 2020, en France, personne ne connaissait la catégorie. Ils comprennent l’intérêt », confirme la représentante d’Airmail Cocktail, qui propose sept recettes signatures et sort cet été cinq classiques, tels que le negroni et l’Old Fashioned.
De multiples avantages
De nombreux atouts pour les CHR sont avancés par les fabricants de prémix. « Le service est plus rapide, affirme d’emblée Nicolas Michaud, fondateur de la marque MXO. Quand dix secondes suffisent pour servir un RTD. Alors que cinq minutes sont nécessaires pour un cocktail réalisé en direct. Le professionnel peut ainsi se concentrer sur le service, l’échange avec les clients ou encore l’expérience culinaire. » Le temps ainsi gagné peut également permettre un « gain d’argent parce qu’on peut sortir plus de cocktails en moins de temps, ce qui permet d’améliorer sa marge », complète Florian Migeon, directeur marketing du groupe Famille Piffaut Vins & Domaines, qui possède la marque Gabriel Boudier. Cette dernière, spécialisée dans les liqueurs et crèmes de fruits, propose aux bars des recettes de cordial mais également des prébatchs et des prêts-à-boire. Fin 2023, elle a sorti la gamme Speakeasy, quatre références de cocktails prêt à boire (bouteille de 70cl).
La maîtrise des coûts fait également partie des avantages de la solution. « Nous connaissons exactement le prix d’une dose avec un RTD et nous maîtrisons notre marge car si le serveur qui prépare une recette en direct verse 5cl de vodka au lieu de 4cl, cela peut aller très vite », ajoute ainsi Nicolas Michaud, de MXO. Les coûts peuvent par ailleurs être limités sur les stocks, moindres et sans une multitude de produits entrant dans les recettes, mais aussi sur la gestion des déchets, ces derniers connaissant de fait une baisse.
L’adoption d’une telle solution permet également au CHR de servir des cocktails de qualité homogène et donc de lui assurer une régularité. « Le niveau d’attente des consommateurs se trouve aujourd’hui très lié à ce qu’ils ont consommé avant. La régularité est donc importante et constitue peut-être un facteur clé de succès », note Camille Delettrez, de C10.
Enfin, l’atout qui peut particulièrement résonner chez un professionnel des CHR est celui lié au personnel. « Il existe d’énormes problèmes de ressources humaines dans la restauration, il est compliqué de fidéliser les salariés », avance Denis Lefranc, à la tête de la marque Argotier, créée en 2021, avec Thomas Guglielmetti et Luca Pandalfo. Après avoir produit en 2023 un total de 26.000 litres de prêts à boire, la marque ambitionne de dépasser cette année les 50.000 litres, avec 13 références dont dix recettes créations et trois classiques. Les prémix peuvent alors apparaître comme une manière de faire face au difficile recrutement des salariés. « Il n’y a pas d’inconvénient ; aucun client n’a fait machine arrière », se félicite même Denis Lefranc.
La question du prix d’un cocktail prêt à boire se pose cependant. « Le coût d’un cocktail tourne autour de 1,80€, en moyenne moins de 2€. Avec MXO, il peut coûter 2,10€. Le produit coûte plus cher de prime abord », explique Nicolas Michaud, de MXO, qui n’oublie pas d’ajouter qu’« on économise sur le service : les frais de personnel, les charges. C’est comme cela qu’on détermine un coefficient ».
En soutien du bartender
En outre, les producteurs ne se voient pas comme des adversaires des bartenders, mais plutôt comme des acteurs en soutien. « Les professionnels ont toujours ce réflexe de se dire : j’ai un barman, je n’ai pas besoin de cocktail en bouteille. Mais nous sommes là pour faciliter le travail du barman. Soit par la création d’une carte, soit en complément de gamme, en introduisant un tiers de recettes RTD qui partent aussi vite qu’une bière. Cela fluidifie le service et permet au bartender de se concentrer sur ses créations », défend Denis Lefranc, d’Argotier.
La Maison du Whisky (LMDW), via les références qu’elle propose comme Le Barteleur, All Possible Daiquiris, et Travellers Cocktails, se positionne pleinement en soutien. « Nous sommes plutôt sur des barmen qui maîtrisent leur sujet. Au Golden Promise – Whisky Bar (Paris, 2e), nous avons déjà deux cocktails prébatchés, mais les mixologues les finalisent eux-mêmes. Dans ce genre d’établissement, les clients attendent le rituel du bar », développe Didier Ghorbanzadeh, Global Ambassador de LMDW.
Malgré les diverses utilisations possibles et les nombreux avantages, les prémix souffrent toujours d’une image dégradée, liée à de mauvaises qualités organoleptiques. « Dans les années 1990 et 2000, beaucoup de Mister Cocktail sont apparus. Nous sentons encore un peu cette image. Mais il n’y a pas de préjudice. Une fois qu’ils goûtent, ils sont convaincus. Il faut une dégustation pour passer le pas », affirme malgré tout Magalie Canto, d’Airmail Cocktail. De son côté, Nicolas Michaud, de MXO, peut faire valoir le prix du meilleur cocktail en bouteille du monde qu’il a remporté lors des World Drinks Awards 2023. « Cette médaille va me donner de la légitimité. Il s’agit d’un enjeu important pour le cocktail en bouteille parce qu’aujourd’hui, dans la tête d’une partie des professionnels, les cocktails en bouteille sont bas de gamme », témoigne-t-il ainsi.
De manière générale, la qualité de l’offre a progressé, avec une attention toujours plus importante accordée à l’approvisionnement. « Je trouve que les recettes sont aujourd’hui plus équilibrées et se rapprochent davantage de ce que nous avons en tête, de la recette finale d’un barman », abonde Camille Delettrez, de C10. Suffisant pour convaincre toujours plus de professionnels et de clients ? « Je ne dis pas que cela remplacera un pan entier, mais les RTD se substitueront aux mauvaises options qui existent dans la restauration moyenne gamme. Une clientèle potentielle existe pour les brasseries et la restauration de moyenne gamme qui veulent offrir une expérience bonifiée sur les cocktails. Les cocktails prêt à boire ont une carte à jouer », conclut Florian Migeon, représentant de Gabriel Boudier.