Colloque à l’assemblée nationale : alerte aux violences en cuisine
- Temps de lecture : 5 min
À l’Assemblée nationale, la table ronde « Alertes en cuisine » a dénoncé l’ampleur des violences dans la restauration.
Jeudi 25 septembre, l’Assemblée nationale a accueilli un colloque inédit intitulé « En finir avec les violences en cuisine ». Organisé à l’initiative du député Hadrien Clouet (LFI-NFP), il fait suite à une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur ces violences. L’objectif est de donner la parole à celles et ceux qui vivent, chaque jour, les réalités du secteur. Il s’agit aussi de briser l’omerta des violences en cuisine. Un secteur en crise, malgré ses 1,2 million de salariés. Derrière l’image idéalisée des chefs médiatiques, les témoignages décrivent une hiérarchie brutale, une précarité salariale et des violences multiples — économiques, sexistes, racistes ou psychologiques. « L’idée, c’est de tendre le micro à ceux à qui on ne le tend jamais », a résumé Hadrien Clouet en ouverture.
La première table ronde, intitulée « Alertes en cuisine ! », a été animée par le député LFI Hadrien Clouet. Autour de lui, plusieurs voix engagées ont pris la parole : la journaliste et autrice Nora Bouazzouni, qui a publié Violences en cuisine : une omerta à la française, ainsi que des représentant·es des collectifs Bondir·e, MEP et En cuisine contre la loi raciste. Tous ont dressé un constat commun : la violence dans la restauration n’est ni marginale ni accidentelle, mais systémique, profondément ancrée dans l’organisation du secteur.
Nora Bouazzouni : des données qui fissurent le déni
La journaliste et autrice Nora Bouazzouni, qui enquête depuis cinq ans sur les violences en restauration, a présenté les résultats d’un travail collectif mené avec la cheffe Camille Aumont Carnel. Leur questionnaire, lancé en 2020, a recueilli plus de 3 500 réponses. Les chiffres leur permettent aujourd’hui de démontrer l’ampleur d’un système. 81 % des victimes sont des femmes, 18 % des hommes. Plus de 40 % travaillent depuis moins de cinq ans. Les 18-20 ans représentent 18 % des répondants, les 26-30 ans un quart. 53 % des violences proviennent de collègues directs. Elles prennent majoritairement la forme d’insultes sexistes ou racistes. Un tiers des cas concerne des restaurants étoilés. 46 % des victimes n’ont jamais dénoncé ces violences. Parmi celles qui l’ont fait, 45 % constatent que rien ne change. Seuls 6 % des auteurs ont été sanctionnés.
« Chaque jour, je reçois de nouveaux mails. On ne peut plus dire que c’est marginal. La honte change de camp », a insisté la journaliste. Elle a rappelé que la première enquête date de 2014 : « Il a fallu dix ans pour qu’un colloque comme celui-ci ait lieu. » Pour elle, le déni demeure puissant : « Un cheffe trois étoiles a encore récemment assumé publiquement que la maltraitance était normale. Tant que ce discours perdure, rien ne bougera. » Très émue, elle a salué l’initiative parlementaire : « Quand Hadrien Clouet s’est emparé du sujet, j’ai pleuré. La porte vient de s’ouvrir, il ne faut pas qu’elle se referme. »
Bondir·e : prévenir dès l’école
La présidente du collectif Bondir·e, Vittoria Nardone, a rappelé que la restauration reste un métier en tension. En effet, on dénombre 250 000 postes vacants. Pour elle, lutter contre les violences est aussi une condition d’attractivité. L’association agit par la prévention, avec une vingtaine d’interventions par an dans les écoles hôtelières. « Dès leur premier stage, des élèves de 14 ans entendent ferme ta gueule salope. Beaucoup pensent que c’est normal, que c’est le prix à payer pour apprendre. » Samy Benzekri, secrétaire de l’association, a présenté la ligne d’écoute lancée en mars 2025. Elle recueille déjà des dizaines de témoignages et permet de rediriger les victimes vers des associations ou des avocats. Le collectif a également lancé une enquête sur la santé mentale. En parallèle, il élabore des formations sur les risques psychosociaux et sur les pratiques de management. Mais faute de financements, ces actions peinent à se déployer massivement.
Le racisme, une violence systémique
Le collectif « En cuisine contre la loi raciste ! », représenté par le chef indépendant Juan Pablo Rojas Pineda a rappelé que près de 40 % des employés de la restauration parisienne sont issus de l’immigration. Parmi eux 50 % sont des cuisiniers. Pourtant, ce sont souvent les moins écoutés et les plus exposés. « Le racisme est une violence à part entière », a-t-il martelé. Il a dénoncé une double peine. Comment se défendre face à des violences quand son droit au séjour dépend directement de l’employeur ? Le collectif milite pour la régularisation des travailleurs sans papiers. Il rappelle aussi que la restauration, censée incarner l’hospitalité, doit rester un lieu d’ouverture et non de discrimination.
MEP : redonner des droits aux travailleurs de TPE
Le collectif syndical MEP est composé de travailleurs et travailleuses de TPE, qui représentent 90 % des entreprises du secteur. Il milite pour faire respecter les droits fondamentaux. Parmi ses revendications : la régularisation des sans-papiers, l’instauration d’indemnités de coupure, une meilleure rémunération des horaires de nuit, la revalorisation du salaire minimum et la reconnaissance de la pénibilité. Leur objectif : casser l’isolement des salariés et construire une solidarité collective. Pour eux, la création d’une commission d’enquête est essentielle. En effet, elle permettrait de produire des données fiables et de porter ce débat dans l’espace public.
Des risques psychosociaux massifs
Au-delà des violences directes, les intervenants ont rappelé la prévalence des risques psychosociaux. Entre 15 et 20 % des accidents du travail sont liés à l’alcool. De plus, 9 % des salariés de la branche souffrent d’une addiction sévère, contre 3 % des actifs en général. La restauration fait ainsi partie des métiers les plus exposés, aux côtés de l’agriculture. Par ailleurs, plusieurs témoignages ont mis en lumière des dérives inquiétantes dans la formation. Certains mineurs se voient contraints de servir, voire de consommer de l’alcool. Un silence complice entoure ces pratiques, contribuant à leur banalisation.
Un tournant politique ?
C’est dans ce contexte alarmant que Nora Bouazzouni a conclu la table ronde. Elle a insisté sur l’absence remarquée des grands chefs et des syndicats à ce colloque : « Un million de travailleurs invisibilisés face à 700 chefs étoilés. En France, on a longtemps considéré qu’il y avait une exception culturelle pour la gastronomie, qui justifierait aussi une exception sur les violences. Il est temps que cela cesse. »
Pour Hadrien Clouet, la création d’une commission d’enquête pourrait marquer un tournant : « L’objectif est simple : que la parole des travailleurs ne soit plus ignorée et que le secteur change en profondeur. »